[Film-vf] Coup de foudre sur une mélodie de Noël film complet gratuit 2018 vf francais, [regarder] It's Christmas, Eve streaming vf [2018] film complet, Coup de foudre sur une mélodie de Noël 2018 film complet streaming vf en francais regarderTitre original It's Christmas, EveSortie 2018-11-10Durée * minutesÉvaluation de 16 utilisateursQualité 1080pGenre Drama, Music, Romance, TV MovieEtoiles LeAnn Rimes, Tyler Hynes, Gwynyth Walsh, Christian Convery, Giles Panton, Lara Gilchrist, Ellie HarvieLa langue VFMots-clés holiday, family holiday, christmasCoup de foudre sur une mélodie de Noël - Synopsis Eve rentre trois semaines dans sa ville natale à l'occasion des fêtes de Noël. Conseillère d'administration scolaire par intérim, elle espère trouver un emploi permanent.🎬 Regarde Maintenant 📥 TéléchargerCoup de foudre sur une mélodie de Noël 2018 en Streaming vf Complet HD Voir film Coup de foudre sur une mélodie de Noël en streaming ~ Le film Coup de foudre sur une mélodie de Noël est sorti en 2018 dans la catégorie Romance et dure 84 minutes Avec plus de 16 votes et 56010, Coup de foudre sur une mélodie de Noël se distingue des autres films du même genre par son casting, son histoire et surtout par lintrigue bien pensée du film Commencez dès maintenant à regarder Coup de foudre sur une mélodie de Noël en Regarder film Coup de foudre sur une mélodie de Noël en ~ Coup de foudre sur une mélodie de Noël est réalisé par réalisateur inconnu et joué par les stars du cinéma LeAnn Rimes et Tyler Hynes excellents dans leurs rôles Le film Coup de foudre sur une mélodie de Noël est sorti en 2018, en , dans le genre très apprécié des spectateurs Romance Le film Coup de foudre sur une mélodie de Noël a reçu plus de 15 votes et la note de 560 10 Voir film Coup de foudre sur une mélodie de Noël en streaming ~ Le film Coup de foudre sur une mélodie de Noël est sorti en 2018 dans la catégorie Romance et dure 84 minutes Avec plus de 16 votes et 56010, Coup de foudre sur une mélodie de Noël se distingue des autres films du même genre par son casting, son histoire et surtout par lintrigue bien pensée du film Commencez dès maintenant à Coup de foudre sur une mélodie de Noël Streaming VF et VOSTFR ~ Coup de foudre sur une mélodie de Noël streaming HD décembre 8, 2019 Eve rentre trois semaines dans sa ville natale à loccasion des fêtes de Noël Conseillère dadministration scolaire par intérim, elle espère trouver un emploi permanent No Ratings Yet Loading 1h 24m 2018 223 views Info Acteur titre original Its Christmas, Eve date 10112018 Genre Drame Regarder film Coup de foudre sur une mélodie de Noël en ~ Ce film sorti en 2018 avance avec un rythme accéléré et des scènes qui restent gravées dans la mémoire du spectateur Ne ratez en aucun cas le streaming français du film Coup de foudre sur une mélodie de Noël et regardezle dès maintenant en très haute qualité 720p 1080p 4K GRATUITEMENT et en entier VF VOSTFR sans coupureVoir film Coup de foudre sur un air de Noël en streaming ~ Le film Coup de foudre sur un air de Noël est sorti en 2018 dans la catégorie Drame et dure 90 minutes Avec plus de 11 votes et 60010, Coup de foudre sur un air de Noël se distingue des autres films du même genre par son casting, son histoire et surtout par lintrigue bien pensée du film Commencez dès maintenant à regarder Coup de Film Coup De Foudre Sur Une Mélodie De Noël 2018 ~ Coup de foudre sur une mélodie de Noël regarder des films avec soustitres français gratuitement Regardez un film en ligne ou regardez les meilleures vidéos HD 1080p gratuites sur votre ordinateur de bureau, ordinateur portable, ordinateur portable, tablette, iPhone, iPad, Mac Pro et plus 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compagnie Mélodie Coup de foudre à noël FILM COMPLET en français ~ Coup de foudre à noël FILM COMPLET en français Coup de foudre à la première danse Film Romantique 2018 Complet Duration 12759 Voir Film 3,213,903 views 12759 La Nouvelle de la Coup de foudre sur une mélodie de Noël SérieFeuilleton ~ Coup De Foudre Sur Une Mélodie De Noël Streaming Complet ~ Coup de foudre sur une mélodie de Noël regarder des films avec soustitres français gratuitement Regardez un film en ligne ou regardez les meilleures vidéos HD 1080p gratuites sur votre ordinateur de bureau, ordinateur portable, ordinateur portable, tablette, iPhone, iPad, Mac Pro et plus encore
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- Щег иверጡ псетεσኧ
- Σаቺաղуቻаጧጆ осросебε
- Бутуцекри фεчу βаռуфын поςաቹеб
- Уτሖ քուхоկеվ գըстисреμ ե
- ኚթቀдևսе врисе
- Σичуче ևск
Avecton cœur, tu m'apportes la douceur. Avec ta voix, tu m'apaises et m'amènes à toi. Avec ton regard, j’ai l’impression que tu me dis que je suis à toi. Tu as fait de mes jours sans lueur, des jours de bonheur, transformé mes souffrances en jours meilleurs. Il y a tant de choses en toi, qui font de toi mon âme sœur.accueil Musiques à partager... *** Au Programme J. Brahms Intermezzo n°1 op. 117 1892 par Gaëlle Josse En écoutant la voix de Cathy Garcia par Gaëlle Josse Le "Jaurès" de Brel version Zebda par Bruno Toméra "Requiem" & "Avec le temps" de Léo Ferré par Bruno Toméra "Take Five" de Dave Brubeck par Isabelle Le Gouic Slade "Cum On Feel The Noize" & The Cure "Just Like Heaven" par Bruno Toméra "Lotus eaters" de Lisa Gerrard & Dead can Dance par Bruno Toméra sur un envoi de jlmi "Lacrimosa" du Requiem de Krzysztof Penderecki par Gaëlle Josse Archie Shepp par Werner Lambersy Four women de Nina Simone par Isabelle Le Gouic Amie Amy par Isabelle Le Gouic *** Mahler Symphonie no 2 par Anna Jouy Je ferme les yeux, profil tendu. Écouter Mahler demande à regarder le ciel droit devant. Toujours parmi des montagnes noires ou des hordes, des chevaux, des armures. Noirs orages. Mahler arrive, avec sa lutte indéfinissable. Je subis. Sublime violence emportée parmi les éléments jusqu’à en devenir cosmique. Passion d’encres sans pitié. le poison est à fleur de mon âme, de mon corps. Cela tatoue profondément, palpitations incrustées entre chaque parcelle de peau. Oh ! oui le monde est bien le plus fort, les matières lourdes comme des métaux aux douleurs orgasmiques, plaintes toutes issues du volcan premier, c’est bien cette musique que j’entends Mahler arrive, et ses épées taillées dans le creuset des genèses. Le monde n’en est pas à savoir, il palpite le langage primordial. Il clame des furies solaires, aquatiques. Démiurgiques rugissements. Rien ne se calme jamais, vraiment. Rien d’humain pas d’apaisement. Juste peut-être un instant crépusculaire, comme pour respirer, juste un instant, comme s’il voulait accorder une légère palpitation à ce fragile qui naitra –forcément- un jour. Chahutée dans ces mystères convoqués, je me tiens dans l’à peine respirable. Je crains comme des malédictions qui feraient remonter les eaux et les déluges. Et j’ai toujours eu peur de mourir noyée. Mahler arrive, sans fin détruit ce qu’il crée. Il strie de fouets mes patiences, mes constructions, mes échafaudages, prêtant à la musique les cavaleries apocalyptiques. Chaque silence est une menace qui rampe, un monstre qui va grossir avalant mon angoisse pour prendre ses forces. Férocement tellurique, férocement météorologique, élémentaire, chimique. Je ferme les yeux, c’est le submergement. Je regarde l’orchestre Il n’est que vagues et lames tempétueuses. Les dieux Zeus Chronos Titan déchiquettent l’air à grandes brassées sauvages. L’énorme purification des morts sans fin. Arrive cet usage des cordes comme le déchaînement des éléments. Cet usage des cuivres comme des ordonnances, des prescriptions divines, des hurlées, des ordres, des cris inhumains, bien trop forts. -Les anges ont tous des trompettes- Mahler arrive. il n'y a qu'un seul chef d'orchestre pour Mahler, Dudamel vénézuélien génial mis en ligne mai 2012 Amie Amy par Isabelle Le Gouic Amie Amy, I met you Quand j’ai mis, amie Amy, Quand j’ai mis ta voix amie, Juste for moi, Just pour me, Ta voix qui râle ou qui gémit, J’ai mis ta voix amie, Dans my playlist à moi, à me. Amie Amy, Tu m’plais grave et j’te playlist Quand tu rayes, quand tu graves, Les pistes des disques de ta voix éraillée Comme le disque rayé De ta vie d’artiste. Mais t’as pris tant de risques, Risques de te rayer d’la vie. T’as bu trop de whisk’ Dans tes envies aiguisées de réel déguisé, Au point de te squeezer. Amie Amy, Quand ton trac t’étripe, Quand il t’étrique, quand il te traque, Quand tout se détraque, se grippe, Quand tu t’agrippes mais que tu craques, Ce bad trip qui fait crac, Ce sad crack dans tes tripes, The bad kiss with the flask, These packs of beer quand t’es patraque, Ce pataquès qui s’immisce, Miss Amy, quand tu perds le cap, Quand tu te dis que t’es pas cap, Quand tu te dis que t’es pas apte A capter la volupté que t’as voulue Mais qui ne t’est pas assez dévolue, Les volutes de smoke à flash back That you keep like a joke, Que tu sniffes et qu’tu kiffes, Sont kif kif une arme white. Ils sont like a knife Planté in your life. Amie Amy, j’te préfère when you’re singing, Quand tes mots cognent sur le ring De nos platines et pas quand tu patines Sur des pentes à trente degrés, Quand t’es plus in, Des pentes de Gin Fizz Qui te grise mais qui te squeeze. Quand t’es mutine, you’re so glad ! Quand t’es mutique, I’m so sad ! Je suis maussade. Ce bad trip qui fait crac, Ce sad crack dans tes tripes, It’s like a knife Planté in your life. Alors, you left us, En plein mois de July. Amie Amy, j’ai mis ta voix amie Qui râle ou qui gémit, J’ai mis ta voix dans mon ordi, For me, for them, Ceux que tu scies, ceux que t’emm… Et aussi ceux qui t’aiment. J’ai mis ta voix dans mon ordi Aussi to see, not to forget. Quand j’veux prendre mes cliques et mes claques, Sur le clavier d’mon Mac, avec my computer mouse, Je clique sur Winehouse et je te guette sur le net. Alors, j’me prends une claque avec ta voix pas clean, Encline à faire des éclats d’émoi en moi. Je suis à l’affût du raffut de ta voix, Ta voix qui fuse, qui refuse, No, no, no ! No rehab ! Ta voix qui s’embrume, qui fume, Toi qui fus, nous qui fûmes. Je suis à l’affût de ta voix wonderfull, Cette beauty pleine de full Qui soulève des foules. Ta voix m’étonne, ta voix détonne, Ta voix qui traîne puis qui dégaine, Ta voix qui décoiffe Amy, what a strange dégaine ! Ta voix que j’écoute encore et again. Même si, a night of July, Tu nous as dit bye bye, T’es sortie d’la piste Mais pas d’ma playlist. Amie Amy, pendant que tu reposes, L’magnéto du studio est bloqué sur pause, L’magnétisme de tes mots moroses S’est tu sur over-pause. Amie Amy, I met you because, Me too, I’m no good. Moi aussi, j’ai mes humeurs. Now, I’m in a bad mood, Je suis d’mauvaise humeur. Je suis un peu moins good Depuis cette nuit-là, cette nuit-là… Cette nuit où tu meurs. Pourtant, amie Amy, Rien n’est tout noir ou tout white, Rien n’est tout rose ou morose, Rien n’est tout blanc ou to night Your Back to Black is pour moi as a light, And now, for me, c’est presque all right. Je m’éclaire in your dark, J’écoute your Back to Black sans me sentir out, Et même si you left us in July, Moi, all year, in July et même en août, Pas de black-août. I believe que j’vais rester alive Pour écrire des mots qui cognent, To write encore plus fort Et qu’mes douleurs soient plus light. mis en ligne en mars 2012 Four women – Nina Simone par Isabelle Le Gouic Quatre Quatre femmes Quatre couleurs Quatre Quatre notes Posées Lentement Oser Quatre notes Et ce tempo qui caresse La peau Descente incessante Sur le clavier Comme sur les marches d’un escalier Sans fin Quatre notes seulement Pourtant L’escalier nous emporte Dans un mouvement Ascendant descendant Descendant ascendant Peu importe Accélération du tempo Au fil du thème peau Les doigts de Nina Dansent Quatre à quatre Se multiplient Sur l’escalier Et sa voix singulière nous emporte Tout en haut oOoOo photo Jean-Pol Stercq ARCHI » SHEPP L’air est mouillé Le ciel gris sort à peine de la mer Et s’ébroue C’est le nord en automne Ça sent la femme Au lit dans les sous-bois drapés D’humus Calvities à la tempe des champs Calcaires Et chauves Jusqu’à la nuque les terres ridées Par les sillons Crâne rasé au bagne des chaumes Labour en abreuvoir de corneilles Usines à betteraves Beffrois de ferraille des silos à blé Dont les carcasses Fument sous les décombres oxydés D’un soir orange et opalin Cimetières à soldats dont les tombes En grilles de loto alignent Les ciments chaulés * Mais à Morsain Rue des Vignes aujourd’hui En brumaire deux mille huit A la galerie Archie Shepp apprend A jouer du saxo Aux anges musiciens De Van Eyck Au clairon de l’armistice De dix huit Aux djinns Dans les lampes du jazz Et à la tendre Apocalypse des femmes De nos nuits * Les fans de n’importe où et d’à-côté Sont venus écouter l’écho Des coups de gong qu’ils trimballent Dans l’âme et qu’un rêve immensifie Ils reviennent de très loin et de Paris Si proche qu’ils gardent en mémoire Comme les gammes d’un accordeur La voix en sucre d’orge des annonces Et la soie du pas pressé des hôtesses A Roissy L’arrivée sourde des rames du métro Le souffle Minotaure des portes qui renâclent et Claquent à quai L’auto comme ceux qui toussent A cause du mal à démarrer Et du mégot du jour Ils sont venus par la départementale En nids de poule de la vie Nuit blanche et noire » où Nerval Viendra en voisin Déjà l’ombre Fend l’air de son aileron de requin Déjà la serpe d’un quartier de lune Coupe le prépuce de l’espace * Les voitures qui broutent sur l’herbe Du parking Disent les destins cabossés La rouille des châssis de la jeunesse Et les griffes Dans la glabre carrosserie des rites Quotidiens La boue des pneus après les sorties De route quand il avait fallu Devant le choc frontal Se déporter sur la bande d’urgence L’accotement et les fossés Du bas-côté Le temps n’est plus aux limousines Pastel des sixties Au paresseux tangage du paquebot Pour Cythère Sur une houle de coussins en skaï Parmi le chrome vif des calandres Aux colonnes de temples grecs Mais aux mufles baissés des 4 X 4 * Cependant tous et toutes sont là Ceux qui se connaissent Et ceux que l’on ne connaîtra pas Les beaux Les pas beaux et les autres Bébés beatniks et enfants-fleurs Ceux de Coltrane Parker et Dylan Les rescapés du Vietnam d’Algérie D’Irak ou d’ailleurs Dont la guerre a fait de la mémoire Un champ de mines à traverser Et du sourire une boîte De corned-beef aux bords coupants L’abonné absent du coup de foudre L’accidenté sur l’autoroute Des routines du cœur Ceux qui sont Comme la cabine téléphonique libre Dans le désert Les bannis de leur corps par la drogue Et l’alcool Les bourrés de bémols et de merde à Vauban » Les abîmés de l’usine Les demi-sel de la cité le demi-solde Du plan social Les sans-papiers Qu’on renvoie à la case ou à la casse Ceux qui marchent à l’ombre de leur Ombre à midi Les repris de justesse Les navigateurs solitaires au comptoir Des bistrots Les fins de droits à un peu de tendresse Les érémistes de l’extase au sex-shop Les solitaires haut de gamme Les mal cicatrisés des couples divorcés Les sans domicile fixe de l’amour Les mutilés du regard que nous sommes Tous à la tombée du jour * Les fins de noces du néant Les fins de nage sans horizon Les routards du retour à l’enfance Les bobos cachemire et business Les hobos de la vie Les routiers fatigués Des frangines d’un soir et Des calendriers de nus dans la cabine Les mal peignés Dans la tête depuis qu’ils sont jetés A la retraite Les Kerouac rimbaldiens de la débine Les Villon des violons de police Les crashés les crochus les cassés dans La boîte à joujoux de leurs rêves Les crépus les accros qui rappliquent Dès que Pégase hennit Et qu’au bout d’un solo Ou d’un riff inspirés passent Les tapis volants d’un vieil air de blues Ou le vaisseau fantôme de la vraie vie * Tous sont venus Tristan Yseut la douce Hélène et Paris Marylin et Monroe Roméo et Juliette Des Ullis les groupies d’Ophélie Au lycée Isis la veuve d’Aubervilliers Les ex-ados au slip ex-voto de Balthus Eurydice qui retourne à Orphée Et Didon vers la mort La petite vendeuse d’allumettes D’Andersen au carrefour de l’ et moi » Les Moly Bloom en proie au Gulf Stream Tiède du mois La Salomé qui fait la fête pour une tête Sur un plateau Les Shéhérazade du dernier verre au bar Les tanagras les Lolita les baby dol dans L’orage des décibels Celles qui n’en peuvent plus De tourner en rond dans le 2 pièces-cuisine Des je t’aime en formica Celles dont les paupières sont des mouettes En plein vol Celles dont la caresse est une partition A écrire sur la peau Celles dont les dauphins Bondissent dans la houle de leurs reins Celles avec des yeux de gamines sages Au moment des cadeaux de noël Et celles qui tournent le blanc des yeux Comme des bancs de poissons Ou des cartes au poker * Ils sont tous là Et le silence commence A ratisser le gravier fin des murmures Impatience De méharées sans puits ni points d’eau Tigres tapis devant la tempête de sable Aussi voici qu’ils guettent les artistes Car ils déballent et réveillent Leurs instruments Au jubé du grand bois sur les collines Les oiseaux se sont tus La brise s’assoit Au pupitre des grandes orgues sourdes De l’office nocturne Les roseaux aux bords des étangs noirs De la pensée Cherchent la vase et les tièdes viscères Des trous de carpes Du cortex Et ceux qui sont assis dans la maison Close de leur attente Et du désir Tendent le cou et les muscles comme Des coureurs dans les starting-blocks Car sous les spots Ils montent sur l’estrade des émotions Ceux qui vont se montrer les chamans De l’âme de chacun * Archie Shepp Rassul Siddik à la trompette Tom Mac Clung au piano Jack Gregg Contrebasse et John Betsh aux drums Richard Bréchet qui s’occupe de tout De l’ombre des lumières du son Et des frissons Comme lorsqu’il prépare ses tableaux * Ici le sexe et les oreilles sont comme La mer aux coquillages Dont le cœur est complexe et répond Aux marées Troènes d’aubépines dans le rythme Pour l’orchidée sauvage Des nerfs On déballe déshabille et fait gémir Cuivres cordes et la peau Des tambours On fait rouler Sans retenue la mousson des notes Où Saint John Perse poète aux Etriers sonores poussait La jument du chant Lentement Les solistes se coulent ensemble Dans l’aorte qu’irrigue le son Le sang bat Son chemin de Compostelle Comme tape le bâton du pèlerin Ils rentrent dans la villa désertée Depuis les départs en vacances Pour l’hiver de l’argent Otent les housses des commodes De l’oubli Et plongent La tête et les bras dans le pull usé Où retrouver Après les voyages et les amours et Les détours Les odeurs fortes de l’ancien marc Des vieux jours Lentement Ils prennent pied Comme des marins frais débarqués Qui gardent le tangage Et le roulis d’une longue course Dans les étoiles * Archie Shepp tend sa bouche Prend son sax Et ça y est ! Ca commence et chacun devient Ce bernard l’ermite Du son du souffle et des rythmes Où le ciel sur son axe Balance et fait se balancer Avec lui tous ceux qu’une relaxe Vient d’arracher Soudain au poids pesant des jours Sans miracle Ils font ronfler Sur la ligne de départ Les moteurs de leur formule 1 La batterie frotte Ses ailes de criquet puis Fait un bruit de troupeau Qui broute et avance front bas Lance ses marées d’équinoxe Sur les falaises océaniques Du tympan Pénètre en forêt Où tombent les foudres Et le foutre en tempête des pulsions Puis bat comme la pluie doucement Contre les vitres et sur les toits Du souvenir Et contre l’Arche Où nous voguons encore clandestins * Le piano cormoran Plonge et engloutit les phalanges du Pianiste Lui il dévore son piano Comme un moineau picore le pain Dans les allées d’un parc Où les buissons se serrent les coudes Il met dans la salade grise du ciel Des poivrons et des baies De couleurs Puis patiemment Fait briller l’argenterie Ternie des passions bien rangées Et la cire d’abeille d’une montée Chromatique répand Son parfum * La trompette Brise dans les trompes Le dernier sceau de l’apocalypse Elle chante à tue-tête Rit pleure gémit sur l’or l’encens Et la myrrhe des rois mages Dont les plus beaux présents sont Des images * Déjà la contrebasse reprend à voix Basse et répète le thème Et la passion tenace qui n’attendait Que ça part au galop Dans la poitrine large et haletante Des cordes Enfin on mélange dans le shaker De l’orchestre étoiles Filantes constellations et galaxies Et la salle vibre De toutes les fils d’une toile D’araignée Qu’un goutte à goutte de rosée Distille depuis le cathéter De l’aube Jusqu’au cœur Carnassier dont les carêmes sont Si longs * Et le saxo a pris la voix humaine En otage pour épeler Ce qu’elle ne peut avec des mots Et même avec des cris qu’on ne Sait pas comment écrire Doux vocéro pour deviner là-haut Les cercles où plane Grisolle et se perd dans son essor L’hirondelle sublime ivre d’idéaux Le public lisse ses plumes De pigeon voyageur tandis que Les convoyeurs attendent * Archie ferme les yeux Sur le pays derrière ses paupières Et l’on entend alors le vent la nuit L’eau des torrents Se jeter sur les cailloux et la mer Dans les virages en tête d’épingle De la mort On tient le volant des deux mains Tant est secouée la carcasse Entière du corps * Souvenez-vous du pont suspendu Qui branle sous les pas Quand vous irez vers l’autre rive Où écouter Le chant d’Orphée qui rend vivant Souvenez-vous Vous n’êtes pas venus Du fond de votre vie sans espoirs D’entendre la chorale vacarmeuse L’ode le raga célébrant L’éternelle jeunesse d’être aimé De sentir le parfum des orangers En fleurs dans les vallées Profondes de l’âme Souvenez-vous Vous êtes arrivés ici après Le meurtre des pères sur les fils L’art la poésie La musique sont nés du remords Et de la peur * Ici aujourd’hui Ni ciel ni lune entre deux Coups d’essuie-glace des guerres La route luit Comme la trace d’un escargot C’est le chemin des Dames Et les camions de bettes rouges Transportent des crânes Mais on est là Dans les remorques de la musique Et on revient du front Derrière nous le village Dort rien ne bouge on fleurira Le monument aux morts demain Maintenant Les musiciens font rage Tous respirent au même rythme Canto general » Poème pour tous Qui n’arrête qu’au petit matin Avec un bol de café noir Une tartine beurrée une cigarette Autour d’Archie Et de ses potes Tenant chronique des galères Et des sessions qu’on n’oublie pas Il fait beau La route est longue il faut Partir Richard sort le chien Marcel Archie Shepp N’a pas sommeil son saxo Veille sur lui parmi du velours bleu Souvenez-vous Sa musique a gagné L’armistice est signé pour un temps il est fait état ici du concert donné dans la nuit du 10 au 11 novembre 2008 galerie de Berlinval - direction Richard Bréchet - 02290 Morsain- ndlr *** "Lacrimosa" du Requiem de Krzysztof Penderecki par Gaëlle Josse pour jlmi ! Une incision dans le silence la voix s’élance attente d’une réponse un geste un accueil Les cordes ont tracé des lignes invisibles & posées sur ce fil les voix cherchent la lumière C’est un ciel mat un soleil pâle qui croît lentement les voix parlent d’un rivage d’un lieu à partager & les vibrations mêlées racinent au ventre La voix vacille un abandon immersion un espace désiré comme une caresse nous maintenant apaisés consolés Dehors le sommeil des pierres & l’herbe a cessé son murmure l’ombre tressaille un halo en lisière de la voix si nous ne tremblons pas nous ne savons pas aimer L’ombre se creuse envahit des espaces inexplorés nos mains cèdent et glissent oh ces désirs qui nous demeurent nous si démunis La voix océan & vague & bercement la voix nuage appelle le reflet d’un infini la terre s’éloigne Une absence un cercle s’est refermé nos mains vides ouvertes sur un secret un fil brisé L’écorce de nos peurs rompue *** "The Lotus eaters" de Lisa Gerrard & Dead can Dance par Bruno Toméra sur un envoi de jlmi Quand tu m'as envoyé ce lien youtube Dead can dance, je tirais une Chesterfield on tire ce qu'on peut... à grandes bouffées de désespoir le goudron caramélisé est pas si dégueu que ça... tu sais que je ne crois plus en grand chose et surtout pas dans l'humain, biologie génétique oblige cette engeance s'est incrustée partout, même là où il fallait pas, faut toujours que ça se répande. Bon la dame chante et me voilà englouti dans la matrice du monde, c'est envoûtant, chaud, mystérieux et pourquoi pas souriant, me voilà dans le propulseur d'électrons à remonter le compte à rebours de la vie avec cette voix à vous envoyer en l'air direction la nanoseconde du grand orgasme de l'univers. Cette mort qui peut danser, on peut donc l'emmener en boite... Quelques jerks techno à son bras avant la dernière bière... Cool mon TaraOOOviste, vraiment cool. Slade " Cum On Feel The Noize" & The Cure "Just Like Heaven" par Bruno Toméra ça sent le fute à pattes d'ef, la 104 peugeot, les cheveux longs, les boutons sur la tronche, le litre étoilé qui roule sur le plancher, la gauloise bleue et la petite "bandidos " à coté avec ses premiers collants et sa mini raz la touffe écossaise avec le radio cassette à fond la caisse vers la prochaine fête foraine et ce tour de chenille et la loterie de l'immense peluche et la barbe à papa que l'on dévore à deux mélangée dans ces bécots pubères et baveux et ce foutu p'tit coeur qui se demande ce qu'il lui arrive et qui en demande encore encore et encore. et 15 ans plus tard, en désintox, avec les cheveux longs, la larme facile, l'allure corbeau de la petite " Bandidos " qui voulait plus de baisers baveux, les futes se sont rétrécis made in china, le baladeur avec écouteurs est plus léger, le cœur est plus chargé, qu'importe on entame le long cheminement d'un corps vers un autre corps avec d'autres émotions, on copule le brin d'herbe ou simplement la raison d'être, on aime encore et encore et on en veut encore et encore *** "Take Five" de Dave Brubeck par Isabelle Le Gouic J'écoute Take five, les yeux fermés. Mais quelle est sa couleur ? Un swing dans la mélodie, un rythme imprimé par Dave Brubeck au piano, sur le clavier, des noires, des blanches... Et pourtant... Un souffle accroché au saxo de Paul Desmond, des notes qui s'envolent de la portée, des noires, des blanches... Et pourtant... Des silences insufflés par Joe Morello dans son chorus à la batterie, Des blancs, du noir... Et pourtant... Du noir et blanc ? Non, fermez les yeux... Je crois que Take five est bleue. On n'est pas sérieux quand on a 2 fois 17 ans... On chope cette musique-là, on la fait sauter comme des gouttes de pluie sur des cordes IT'S NOT A MISTAKE, IT'S JUST A JOKE ! Allez les gars, on n'est pas tristes ce soir. Take five colle aux tympans puis décolle autrement. Fermez les yeux... La guitare embarque jusqu'à deviner la sensualité des collants. Vertu de l'impromptu... Non, je sais, on n'est pas sérieux quand on a 2 fois 17 ans. *** "Requiem" & "Avec le temps" de Léo Ferré par Bruno Toméra Ce mec quand tu l'écoutes à 14 balais, ça fait un merveilleux dégât, je vous le souhaite à tous. *** Le "Jaurès" de Brel version Zebda par Bruno Toméra BORDEL Il feule grave le chat dans le quotidien et l'écoute en se penchant sur les camarades merdeux et réalistes de la fin de mois débutant à partir du cinquième jours, à se casser les nerfs pour le loyer et la bouffe nécessaire parce que ça bouffe un chômeur ou un smicard ou un précaire de chez bouche trou .... "vive la sociale" ! *** En écoutant la voix de Cathy Garcia, par Gaëlle Josse impro vocale et sitar électrique... Les femmes avaient allumé un feu ; elles avaient nourri les bêtes entravées pour la nuit, encloses dans leur odeur de bêtes. Elles avaient tiré de l’eau au puits, et nourri les hommes de galettes cuites sous la cendre, puis les enfants, qui avaient ensuite rejoint leurs rêves, sous de lourdes étoffes drapées dans le sombre des tentes amarrées au sable. Elles avaient gardé auprès d’elle les plus jeunes, accrochés au sein, aux jupes, rivés au cercle obscur et rassurant que leur présence dessinait autour d’elles, et veillèrent sur leur sommeil. Puis elles mangèrent à leur tour, en partageant ce qui restait. Nomade, celui qui marche son royaume est une dune une steppe une tente & le vent toujours & des troupeaux de chevaux fiévreux enflammés Ensemble elles chantèrent des airs venus de très loin, venus des profondeurs de leurs corps et des replis les plus secrets de leurs mémoires, et elles les offrirent à la nuit. Ensemble elles dirent ce qu’elles savaient des joies et des peines qui se déposent sur le fil des jours, des peurs qui se dressent à la nuit venue, comme des montagnes qu’il faut gravir chaque matin. Elles parlèrent de leurs sangs et des enfants qui croissent dans le ventre comme des fleurs de chair, et des musiques qui les apaisent. Nomade, celui qui rêve de caravansérails de feu partagé de thé sucré & amer, de chevelures lourdes, de peaux mates, de vulves impatientes où s’affranchir de toutes les solitudes Elles parlèrent des puits d’où l’on tire l’eau fraîche qui abandonne ses arabesques sur la peau, des puits à l’eau miroir, des puits dont on ne sait le fond. Elles parlèrent du désir des hommes et de leur désir à elles et de ces cris et de ces tremblements et de leurs corps nus si beaux si fragiles. Nomade, celui qui jette les dés chaque matin caravane de sel en marche & s’arrête là où la nuit descend & la Croix du Sud qui veille Elles parlèrent du monde, du si peu d’amour qu’on y trouve, et de tout l’amour qu’il faut recueillir avec patience pour parvenir à vivre, et des traces que l’on suit sans savoir où elles mènent, des exils chaque jour recommencés, des pierres qui marquent les tombes, des paroles qui guérissent, du vol des nuages, de la course des étoiles et des bêtes qu’il faut tenir en respect. Nomade, celui qui se nourrit de vent de sable & rêve de Samarcande, d’un étalon dressé, dents et sabots, d’une selle incrustée d’ivoire, de bijoux lourds comme des chaînes La nuit apportait avec elle des ombres claires, des silhouettes de silence et de mystère. Salomé et la Reine de Saba surgirent des sables d’ocre et de rose. Elles dansèrent dans la houle de leurs cheveux et elles burent du vin, car l’heure était à se réjouir. Elles retirèrent leurs bijoux, déposèrent leurs parures et le sable froid frémit sous leurs pieds, et elles se mirent à rire autour du grand feu. Nomade, & des départs & le vent toujours Puis le jour vint faire l’offrande de ses couleurs, comme chaque jour. Les femmes se mirent en marche, et les enfants marchèrent avec elles. Longtemps on les entendit chanter dans les lointains, sur les chemins qu’elles avaient vus en songe et qui s’effaçaient sous leurs pas, recouverts par le vent. aquarelles jlmi *** J. Brahms Intermezzo n°1 op. 117 1892 par Gaëlle Josse Mais non, rassurez vous, ne vais pas vous faire le coup Aimez-vous Brahms ? », ni vous convier à une aimable causerie sur le dernier des grands romantiques, avec champagne et petits fours à la sortie. Juste partager un peu avec vous, puisque Evazine m’y invite, quelques-unes des musiques que j’aimeuh. J’ai pensé à cet Intermezzo de Brahms qui me trotte dans la tête en ce moment. C’est une musique douce pour l’hiver, trois pages qui installent une atmosphère pas gaie gaie mais consolante et tourmentée à la fois. Poignante, tout compte fait. Tiens, au passage, comme c’est dur de parler de musique, on voit bien que les mots trouvent là leurs limites ! Mais bon, Brahms, quand même, il faut que je vous le dise, j’aime franchement bien. Le personnage a un côté vieil ours solitaire, imprégné de l’odeur de tabac et de bière des tavernes de Hambourg, évoluant dans les brumes de la Mer du Nord, dans ces paysages chers à Gaspard Friedrich. Mais avant de devenir le gros monsieur ventru et barbu qu’on voit sur ses dernières photos, vénéré reconnu admiré du monde musical européen, installé à Vienne, il fut d’abord un enfant gagnant sa vie et celle de sa famille dès l’âge de treize ans, en jouant du piano bastringue dans les tavernes de Hambourg, justement. Ca crée des habitudes. Jusqu’au jour où, à l’âge de vingt ans beau comme pas permis sur les portraits de l’époque, il déboule comme ça sans prévenir chez le couple Schumann installé à Düsseldorf. Robert et Clara, lui compositeur et chef d’orchestre déjà célèbre, elle pianiste virtuose adulée de Paris à St Péterbourg. Il arrive chez eux et se met au piano. Robert hurle dans l’escalier Viens vite, Clara, un génie ! » authentique. De ce jour nait une amitié à la vie à la mort, ou indéfectible, comme on dit dans les biographies chics. Lorsque Schumann sera interné à l’asile d’Endenich à la suite de son plongeon manqué dans le Danube c’est une autre histoire, je vous raconterai ça une autre fois si vous voulez, parce que Schumann, c’est quand vous voulez, il sera l’un des rares à venir le voir, jusqu’à sa mort. Il restera ensuite l’ami de Clara jusqu’à la mort de celle-ci, qui continuera à donner des concerts et à défendre l’œuvre de son mari jusqu’à un âge canonique, histoire aussi de nourrir les huit enfants que son génial schizophrène de mari lui laissait sur les bras. Ami, ami, on ne sait pas trop. Les musicologues qui n’ont rien d’autre à faire débattent sans fin sur cette amitié passionnée, exclusive et ambiguë. Mais bon, on n’y était pas, ils choisirent de brûler un jour leur correspondance et c’est leur affaire. Toujours est-il que Brahms n’aura pas d’autre femme dans sa vie, si ce n’est une velléité de fiançailles avec une des filles de Clara, justement. Louche. Intermezzi et autres pièces brèves Brahms a composé une œuvre extraordinairement dense, multiple, et pas seulement une sonnerie de portable et une musique pour les pubs de voiture, ordinairement connue sous le vocable de 5ème dans hongroise », avec effets violons sur synthé et gros lyrisme à deux balles. C’est peu connaître l’animal innombrables et merveilleuses compositions pour piano, musique de chambre sonates piano violoncelle à se passer en boucle notamment, concertos celui pour violon est un des greatest hits » du genre, symphonies, rhapsodie, chœurs, requiem, lieder… C’est simple, tout sauf l’opéra. Parmi ses œuvres pour piano, des grandes formes » sonates, variations, et une multitude de formes brèves, ballades, Intermezzi, fantaisies, Klavierstücke… C’est parmi ces courtes pièces que se niche l’intermezzo qui nous intéresse. Il est caractéristique du compositeur sombre et lyrique, d’une grande richesse et d’un grand raffinement harmonique. Un premier thème, très chantant, inspiré d’une ballade écossaise, une berceuse triste. La partie centrale est résolument plus grave et plus agitée, avec une mélodie sombre émergeant d’un halo sonore, puis on assiste à une reprise de thème initial quelque peu varié et enrichi. C’est d’une grande simplicité. Techniquement un peu complexe, avec des plans sonores différents à mettre en place et des tonnes de bémols et doubles bémols dans la partie centrale, ce qui donne cette sonorité très délicate, un peu irréelle. C’est pour moi une pièce d’une absolue poésie, dans son dépouillement et son absence d’effets. Il n’y a que la musique. Il lui faut une certaine lenteur, sans lourdeur, sans pathos. Pas si simple ! On en trouve sur You Tube différentes interprétations, avec du bon et du beaucoup moins bon, mais chacun ses goûts. Je vous en propose trois que j’aime bien, pour varier selon les humeurs de jour ou de la nuit, avec des approches sonores et des personnalités d’interprètes très différentes celle de Catherine Collard, lente, sobre et sensible, d’une grande pureté de son, presque immatérielle, avec un toucher très léger. Attention la prise de son est basse, il faut monter le son presque au max... celle de Gyula Kiss connaissais pas,un peu plus rapide, avec un beau toucher et une réelle émotion. Mérite vraiment d’être découvert. et celle d’Hélène Grimaud, très polyphonique, avec de magnifiques passages, beaucoup de relief, de densité, par moments un peu lourde peut-être. patientez douze petites secondes avant le départ de la musique ndlr Voilà, c’était le marché du jour. Et toutes les autres versions sont accessibles d’un clic… Let’s go, friends ! *** RegarderBarbie et la magie de Noël complet Téléchargement hd. Regarder Barbie et la magie de Noël complet dual audio Téléchargement. Regarder Barbie et la magie de Noël complet Téléchargement in français dubbed. Regarder Barbie et la magie de Noël complet Téléchargement mp4. See other formats This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project to make the world's books discoverable online. It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the publisher to a library and finally to y ou. Usage guidelines Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. 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About Google Book Search Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web at http //books . google . corn/ A propos de ce livre Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en ligne. Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression "appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à expiration. 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Descendants of Henry Brig-lit, jr., who died at Water- town,Mass., in i686,are entitled to hold scholarships in Harvard Collège, established in 1880 under the will of JONATHAN BROWN BRIGHT of Waltham, Mass., with one half the income of this Legacy. Such descendants failing, other persons are eligible to the scholarships. The will requires that this announcement shall be made fn every book added to the Lîbrary nderjts provisions. Received cSj Y J^^^ I ^/f. r •• 'f>U ' UNJK FÊTE DE NOËL JACQUES CARTIER ERNEST MYRAND QUEBEC IMPRIMERIE DE DEMERS & FRÈRE 30, Rue de la Fabrique 1888 h '3 6- \ \ Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada, en l'année mil huit cent quatre-vingt-huit, par Ernest Myrand, au bureau du ministre de l'Agriculture, à Ottawa. PRÉFACE Il y a quelques années, le bibliothécaire de Tlnstitut Canadien de Québec, donnant son rapport à rassem- blée générale des membres de cette institution litté- raire, faisait cfette déclaration remarquable " Vous me permettrez, messieurs, d'exprimer un regret ; les *' dix-neuf vingtièmes au moins des 7,000 volumes qui ont circulé ** parmi nos membres durant l'année qui vient de finir 1879-80, ** sont des ouvrages de littérature légère. C'est un véritable *' événement lorsque quelqu'un demande un livre sérieux. Nous " comptons pourtant sur nos rayons un beau choix d'ouvrages ** sur les sciences exactes, l'histoire, la philosophie, la morale, *' mais presque personne ne vient secouer la poussière qui s'y " accumule. La lecture des meilleurs ouvrages de fantaisie ne '* sert qu'à délasser l'esprit, elle ne saurait ni nourrir l'intelli- " gence, ni former le cœur ; c'est une simple récréation dont il ** ne faut pas abuser." Quatre ans plus tard, le bibliothécaire en exercice de la même institution confirmait le diagnostic du mal signalé par son prédécesseur. ** Dans le cours de la présente année, disait-il, 1883-1884, *' la circulation db nos livres s'est élevée à plus de 8,130 volumes. " Parmi ces nouveaux livres &e trouvent un certain nombre ** d'ouvrages sur les sciences, et, si l'on en juge par la vogue " qu'ils ont obtenue, on ne saurait trop engager le bureau de " direction à augmenter la partie scientifique de notre biblio- *' thèque quia été fort négliejée jusqu'aujourd'hui. Malheureuse- *' ment, la circulation de nos livres fait voir que le goût des ** romans n'est que trop prononcé et le meilleur moyen de com- " battre la propagation de ces lectures, pour le moins frivoles, " serait d'offrir à nos membres des ouvrages scientifiques qui les *' instruisent et les intéressent. N'est-ce pas là la mission de *' notre Institut, mêler *' l'utile à l'agréable." 4 PRÉFACE De cet état de choses,alarmaiit pour certains esprits pessimistes plutôt que sérieux, un fait consolant se dégage, La statistique prouve, avec éclat, que la jeunesse de notre ville lit. Qu'elle lise un peu légère- ment, cela peut s'avouer sans trop d'alarmes ; qu'elle puisse mieuK lire, cela ne compromettra personne de soutenir cet avis, un peu naïf, comme toutes les vérités découvertes par La Palisse. Le . mieux est toujours et partout possible. Le point essentiel existe la jeunesse de Québec lit ; elle aime passionnément à lire, et chez elle ce délassement intellectuel prime de très haut dans le choix restreint de ses amusements et de ses plaisirs. L'essentiel est obtenu, que l'essen- tiel demeure. Seulement, comme les gourmands, et les gourmets, la jeunesse préfère le dessert aux entrées du repas, la friandise et le bonbon à la soupe et au bifteck. Je connais plusieurs vieux de cet avis-là. Le moyen de faire goûter à la soupe et manger le rôti ne serait pas, à mon sens,' de retrancher absolument le dessert, mais plutôt de servir une soupe excellente, un rôti parfait. Ce procédé d'art culinaire a été merveilleusement appliqué aux tables de lecture par les vulgari- sateurs modernes de la science dans des œuvres essentiellement littéraires. Ainsi, pour n'en nommer que deux célèbres, Jules Verne et Camille Flamma- rion se sont bien gardés de proscrire ou d'anathé- matiser le Roman. Loin de là ; c'est à la faveur, au prestige, à l'influence bien exploitée de ce tout puis- sant, qu'ils doivent la meilleure part de leurs succès. Ça été la suprême habileté de ces bons courtisans de flatter de la sorte le Maître Souverain de notre littérature contemporaine et, avec lui, l'innombrable PRÉFACE 5 légion de ses fidèles adorateurs. Car, de quelque nom que les passions contraires le signalent, qu'on Tidolâtre comme un fétiche, ou qu'on l'exècre et le fuie comme un épouvantail, il n'y a que les maladroits qui osent rencontrer de front la popularité irrésistible de l'ennemi, popularité qui saisit, écrase, emporte et jette à l'abîme l'imprudent contradicteur. On ne détrône pas impunément un tel monarque, et mieux vaut, pour Terinem^ entrer en éclaireur qu'en guérilla dans son royaume. Jules Verne, Flammarion n'auraient pas réussi à faire accepter leurs ouvrages par une telle univer- salité de lecteurs si leurs cours scientifiques, déguisés en romans, n'eussent revêtu l'éclatante livrée, parlé le langage charmeur, confessé le dogme infaillible de l'Imagination, cette vérité éternelle de l'éternel Roman. * * * J'en appelle au plus froid critique, le Tour du Monde en Quatre-vingt jours eût-il jamais valu à son auteur fortune et renommée, si Verne l'eût intitulé simplement Géographie Universelle ? De même, son fameux roman-trilogie Enfants du capitaine Grant, Vhtgt mille lieues sous les mers. Vile mystérieuse^ aurait-il jamais eu chez les liseurs cet inouï succès de vogue, si l'éditeur eût sévèrement publié une Histoire Naturelle en trois volumes } Et le Voyage au centre de la Terre, n'est-il rien autre chose qu'un admirable et merveilleux Cours de Physique et de Géologie ? Essayez d'écouler, à la faveur de ce dernier titre, un millier seulement de copies exactes du 6 PRÉFACE même ouvrage, et vous m'en viendrez dire des nouvelles. Aussi Jules Verne, ce lecteur sérieux popularisant chez les liseurs de romans les notions premières des sciences positives et les données mathématiques des arts, se garde bien de prévenir, voire même d'éveiller, au cours du récit merveilleux, l'attention de son public. Public dangereux s'il en fut jamais, exces- sivement difficile à retenir et à fixer, public capri- cieux, changeant, mobile à l'extrême, s'abattant sur le livré nouveau avec la pétulance gourmande d'une volée de moineaux, s'enlevant de même à grands bruits d'ailes et de cris colères, sitôt que l'un des rongeurs s'est écrié " livre d'études ! " L'auteur n'approche qu'avec une prudence ex- trême ce volage et farouche lecteur. Comme aux petits enfants que l'on veut guérir, il ne dit pas " Voiti le remède ; " mais, câlinement " Qui veut du bonbon ? Tout aussitôt le lecteur mord à l'amorce, se prend à l'hameçon et se noierait au bout de la ligne plutôt que de lâcher l'appas. A travers l'intrigue du récit, comme avec un filet à mailles inextri- cables, l'auteur amène doucement, doucement, mais sûrement aussi, le lecteur frivole à sa barque, c'est-à-dire, à son avis. Jules Verne éblouit, captive, capture son lecteur avec de l'éclat de style, tout comme l'autre, le pêcheur de poissons, amorce sa clientèle avec des moîiches à corselet d'or et à plumes rouges. Un tel lecteur une fois pris ne lui échappe . . . qu'au dernier chapitre. Et encore le reprendra-t-il infailliblement à son prochain roman scientifique. Pareils ouvrages instruisent leurs lecteurs qu'ils PRÉFACE 7 amusent, et Texcellence de leurs résultats est par trop évidente pour être signalée. Passe- Par tout ^ NemOy le Capitaine Granty sont de véritables profes- seurs de géographie, d'histoire naturelle, de physique, déguisés, grimés convenablement en héros de romans. L'intrigue même du récit n'est le plus souvent qu'une thèse scientifique, exposée, développée, - soutenue, établie au cours d'une aventure imaginaire autant qu'originale et racontée en un très beau style, qui fleurit, comme un jardin de rhétorique, les plaines arides du chiffre et les solitudes austères où les savants de toutes les langues parlent le mot exact du théorème et de l'équation. Il est souvent advenu qu'un lecteur frivole, alléché par la description brillante mais précise d'un ntonu- ment, d'une ville, d'un pays, intéressé par le détail inédit, mais toujours exact, des religions, des gou- vernements, des langues, des mœurs, des costumes, des industries, des arts professés par les peuples de latitudes différentes, s'en est allé compléter en même temps que vérifier, dans les ouvrages classiques de la science, les connaissances acquises à la lecture de Jules Verne. Ses romans auront fait alors, mieux et plus vite que les pédagogues et leurs sermons, un lecteur sérieux d'un lecteur frivole et reconquis à l'amour du savoir une intelligence perdue de roma- nesque et d'aventure. Alors, dans les bibliothèques publiques comme au foyer de la famille, les livres sérieux occuperont une place d'honneur et de préséance, la seule d'ailleurs qu'ils doivent tenir dans la demeure d'un homme instruit. Alors ce ne sera plus, pour parler avec à propos le langage excellent du rapporteur de l'Institut Canadien de Québec, ce ne sera plus un 8 PRÉFACE véritable événement quand quelqu*un demandera au conservateur d'une bibliothèque publique Tusage d'un livre sérieux. * * Ce que Jules Verne a tenté avec un éclatant succès pour l'enseignement populaire de la géographie uni- verselle ; ce que Flammarion réalise avec un triomphe égal en faveur des connaissances astronomiques ; ce qu'enfin la Bibliothèque des Merveilles poursuit, en vulgarisant dans les foules les sciences exactes et les arts, je crois devoir aujourd'hui l'essayer en faveur des archives de notre Histoire du Canada. ce que nous avons appris de force au collège, que savons-nous de l'Histoire du Canada } Combien d'entre nous ont eu la bravoure de compléter les notions rudimentaires des Abrégés suivis en classe, par la lecture entière de Ferland ou de Garneau ? Quels rares étudiants, les érudits de l'avenir, sont allés vérifier après coup, dans les archives nationales, les données mêmes de l'histoire, ont remonté le cours des faits et retrouvé les sources, analysé ces eaux de vérité où les auteurs disaient avoir puisé la science, de crainte que le Mensonge ne les eut empoisonnées d'infâmes calomnies } Et cependant, ce né sont pas les pré- cieuses, uniques, originales, qui manquent à Québec. L'inestimable bibliothèque de l'Université Laval, vaut, elle seule, en trésors archéologiques toutes les collections particulières ou publiques du pays. Le travail archéologique se réduit maintenant à la peine de lire. PRÉFACE , 9 En eftet, les chercheurs bibliophiles de notre Histoire du Canada, Faribault, Jacques Viger, Laver- dière, Holmes, Papineau, Sir Lafontaine, parmi les morts, les abbés Bois, Raymond Casgrain, Tanguay, Verrault, Messieurs Joseph Charles Taché, Douglas Brymner, Benjamin Suite, James Lemoine, parmi les vivants, ont taillé toute la besogne, parachevé la tâche avant même que nous, jeunes gens, fussions sortis du collège. Le vénérable doyen de notre littérature canadienne- française, l'Honorable M. Chauveau, a publié, dans son Introduction aux Jugements et Délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle France^ une nomenclature aussi complète qu'intéressante des principales archives relevées au pays depuis quarante ans, et çn particulier dans la province de Québec. Hélas ! les archives de notre histoire, nos belles et glorieuses archives, imprimées sur papier de luxe avec du caractère antique, reliées à grands frais, tranchées d'or ou de carmin, continuent aujourd'hui, sur les rayons de nos bibliothèques publiques, le sommeil de mort qu'elles dormaient autrefois dans la poussière des greniers ou l'humi- dité des caves, alors qu'elles étaient seulement de vieux manuscrits, des parchemins raccornis, des bouquins noirs et luisants, livrés à la merci des ménagères qui les utilisaient à allumer le feu. ^ Une poussière d'oubli, froide et silencieuse comme la neige, tombe sur elles, tombe encore, tombe tou- 1. Je me rappelle que ce fut dans le fond d'une boite à bois que Ton découvrit un des volumes du Journal des Jésuites, le seul qui ait échappé au même usage. L'autre ou les autres volumes ont eu l'honneur de grille» les poulets ou mêler leurs cendres 10 PRÉFACE jours, les recouvre, les ensevelît sous l'épaisseur téné- breuse d'un linceul et menace de les cacher à jamais aux regards des hommes, de les faire disparaître, comme des cadavres de voyageurs morts de froid, sous l'uniforme niveau, l'égalité fatale de la steppe. Et cependant quel labeur colossal, quels argents, quelles éludes n'ont-elles pas coûté aux bibliophiles, aux chroniqueurs, aux archéologues, aux historiens qui ont eu l'héroïque courage, la patriotique vaillance de publier, en éditions d'honneur, les manuscrits originaux, les annales primitives de la Colonie ! Par contre, combien apparaissent mesquins, désespérants, ironiques, misérablement petits, les résultats obtenus comparés à l'effort gigantesque apporté au parachève- ment d'une aussi monumentale entreprise ! Nos archives nationales ! Elles ont cependant porté bonheur aux littérateurs de la génération précédente. Elles ont porté bonheur au regretté Louis P. Tur- cotte, le vaillant auteur du Canada sous P Union vénérables aux tisons moins historiques d'une bûche d'érable ou d'un rondin de merisier ! Pour atténuer, sinon excuser, notre criminelle incurie, il con- vient d'ajouter qu'en France aussi bien qu'au Canada, les archéo- logues se plaignent amèrement de ces désastreuses négligences. Ecoutez ce qu'en dit un archiviste célèbre *' Que de précieux documents ont allumé la pipe d'un goujat ! ^' Que de nobles parchemins, au bas desquels était la signature '* d'un roi, ont couvert les pots de conserves de femmes de " préfets, bonnes ménagères qui les faisaient prendre dans les *' greniers de la préfecture Je n'en dis pas davantage et je ^' ne nomme personne ; il n'est pas besoin d'autres exemples que " ceux auxquels je fais allusion, et que je connais, pour montrer *' que les parchemins qui ont servi à faire des gargousses, et par '' cela même, à faire de l'histoire nouvelle, n'ont pas eu la ** destinée la plus triste." Pierre Margry. Découvertes Fra/nçaiseSy 40 et 41. PRÉFACÉ U 1841-1867, au romancier Joseph Marmotte, qui leur doit François de Bieiiville, son meilleur ouvrage ; eUes ont porté bonheur à notre érudit compatriote canadien anglais Williani Kirby, Tauteur du roman fameux L£ Chien d'Or, merveilleuse légende cana- dienne française que les écrivains de la Province de Québec ont laissé échapper de leur répertoire. . - faute d'études archéologiques. * * ♦ Ce procédé, qui donne à l'histoire le coloris de la légende et l'intrigue du roman, n'est pas neuf le Cinq Mars d'Alfred de Vigny en est un frappant exemple. Son autre célèbre ouvrage, Stello, n'est rien que la trilogie biographique des poètes Gilbert, Chatterton et André Chénier. Mais, dans cette litté- rature apparemment légère par le titre et le méca- nisme des moyens, quel butin de connaissances et de souvenirs historiques ! Ce procédé, les nouvellistes de notre littérature canadienne française l'ont employé avec un succès relativement considérable et de vogue et d'argent. L'Histoire du Canada en a retiré un étonnant profit de vulgarisation. Les compositions de Marmette, de DeGaspé, de Bourassa, de Kirby, de Leprohon, de John Lespérance,. lui ont valu un peu de cette popularité que l'on envie, à juste titre, aux œuvres artistiques, scientifiquement littéraires de Jules Verne, Arthur Mangin, Camille Flammarion et autres lettrés, partisans déguisés des sciences exactes auprès de la jeunesse frivole qui passe en badinant à travers un cours d'études. 12 PRÉFACE Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et martiale figure de Louis de Buade, comte de Frontenac fût demeurée aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'estun por- trait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un portrait historique, saisissant de vérité photographi- que, lumineux de gloire comme l'époque à laquelle il appartient. Combien encore, sans lé roman-feuilleton du même auteur — \ Intendant Bigot, — combien,dis-je,des 14,000 abonnés du défunt Opinion Puôliçuen' auraiient jamais lu le savant, exact' et patriotique récit de la première bataille des plaines d'Abraham ? Et cette autre description magistrale, merveilleu- sement empoignante de la Revanche du 1 3 septembre 1759, la victoire du 28 avril 1760, gagnée dans les champs de la vieille paroisse de Notre-Dame de Foye, sous les remparts mêmes de Québec, avec son point stratégique légendaire, l'immortel moulin Dumont ; où l'avons-nous lue, nous les jeunes? — Chez Garneau, Ferland,Laverdière ? — Non pas ; mais dans Les Anciens Canadiefts de cet octogénaire littérateur Philippe Aubert de Gaspé, publiés en feuilleton dans la Revtie Canadienne de 1860. Notre premier cours d'Histoire du Canada s'est donc fait dans un roman très canadien-français, et, disons-le à la gloire de son incontestable mérite, très historique, absolument historique. * * * Dans Les Plaideurs de Racine, Petit Jean expo- sant son cas, dit, au troisième acte de la comédie *' k que je scay le mieux, c^est mon commencement'. Ça, mes lecteurs,la main sur la conscience,en pouvons- PRÉFACE 13 nous dire autant de notre Histoire du Canada ? Pour être aussi vrais que sincères ne conviendrait-il pas de renverser ce vers-proverbe et de confesser en toute humilité de cœur et d'esprit, ** Ce que je scay le moins, c'est mon commencement ? Et cependant, combien Ton sait d'autres choses ! Oserai-je dire de préférence ? J'ai connu, quelque part, dans un séminaire classi- que, un écolier, véritable bourreau de travail, qui vous défilait toute la série chronologique des anciens rois de l'Egypte, de Mesraïm 2,200 ans avant Jésus- Christ, à Néchâo, sans oublier un seul Pharaon ! Sa prodigieuse mémoire sefaisait un jeu derépéter ce tour de force pour chacune des nomenclatures royales des vieux empires de Syrie, d'Assyrie, de Perse, de Macé- doine, toutes étiquetées par ordre de millésimes. Or, ce bachelier virtuose, cette vivante encyclopédie ne savait même pas l'humble succession, la liste brus- quement interrompue, de nos Vice-Rois, Lieutenants- Généraux, Gouverneurs, Grands Maîtres des Eaux et Forêts, Administrateurs, etc., etc., alors que notre patrie se nommait Nouvelle-France, en Géographie comme en Histoire. Chacun son goût ; mais, au mien, j'aime mieux savoir le rôle d'équi- page de la flottille de Jacques Cartier allant à la découverte du Canada, que les noms et prénoms des Argonautes partis avec Jason, à la conquête de la Toison d'Or. — Que vous servira, en définitive, de connaître que Nemrod fonda Babylone ; Cécrops, Athènes ; Eurotas, Sparte; Salomon, Palmyre ; si vou? ne savez pas que Samuel de Champlain fonda Québec ; Laviplette, Trois-Rivières ; De Maison- neuve, Montréal ; De Tracy, Sorel ; Frontenac, 14 PRÉFACE Kingston ; De la Motte-Cadillac, Détroit ; De la Galissonnière, Ogdensburg ; De Contrecœur, Pitts- burg ; D'Iberville, Mobile ; De Bienville, la Nouvelle- Orléans ? Saint Ignace ne dirait-il pas avec un meil- leur à-propos Quid prodest ? • Il était donc rigoureusement logique, pour qui voulait populariser les archives canadiennes-fran- çaises, de commencer ce travail de vulgarisation suivant Tordre des dates. Or, la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier est sans contredit notre premier document historique puisque Ton y raconte la découverte du Canada. Il était difficile, le lecteur en conviendra, d'étudier un document authentique à la fois plus précieux et plus vénérable d'antiquité. Moi;i travail ne sera donc, à proprement parler, que la paraphrase* littéraire du Second Voyage de Jacqties Cartier, ^ Œuvre d'imagination, dira-t-on, bagatelle ! Œuvre d'imagination si l'on veut, composition fantaisiste où cependant la folle du lo^is n'est qu'une esclave de la vérité historique. A ce point, qu'elle accepte les noms de personnes, les mots anciens de la géogra- phie, et consent à suivre les événements, les faits, les circonstances dans leur ordre. Elle ne les combine pas, elle les regarde ; elle se promène au milieu d'eux, les interroge, les critique, les admire, à la manière d'un voyageur intelligent, d'un connaisseur artiste étudiant les curiosités d'un musée ou les monuments d'une ville étrangère. Le travail d' Une Fête de Noël sous Jacques Cartier se compose d'une série de tableaux historiques peints sur nature, de vues exactes prises sur le terrain, photographiées à la fayeur de la lumière que peuvent concentrer à cette distance, sept demi-siècles les meilleurs instruments des archivistes et des archéologues. , PRÉFACE 15 Aussi le public instruit qui jugera P épreuve sera-t- il d*autant plus sévère pour Touvrier, qu'il se trouvera toujours en mesure de comparer la copie à l'original. Car, la raison essentielle de ce travail étant de faire CONNAITRE ET LIRE NOS ARCHIVES, j'annote le récit littéraire du texte de la relation primitive, i non pas tant pour démontrer, par la vérité des événe- ments, la vraisemblance de la fantaisie, que pour multiplier aux lecteurs les occasions de lire ce brief récit et succincte narration de la navigation faicte ^^ ^535-3^ P^^ ^^ capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada^ Hochela^a, Sagîunay et autres 2 Occa- sion rare et précieuse, s'il en fut jamais, exception- nelle bonne fortune de pouvoir déguster, comme un fruit d'exquise saveur, ce beau français du i6ième siècle, un français vieux, ou plutôt jeune comme l'âge de Rabelais et de Montaigne, exhalant en parfum la fraîcheur étemelle de l'esprit. Forcément, l'attention des plus légers liseurs s'ar- rêtera sur ces passages empruntés à l'original unique — imprimés à dessein avec d'anciens caractères typo- graphiques, — extraits bizarres, étranges comme un grimoire, où l'orthographe primitive des mots, le suranné des expressions, le latinisme des tournures de phrases, donnent^ un cachet de haute valeur archéologique. 1 Je me suis servi pour mon travail de la ^* Réimpression figurée de l'édition originale rarissime de 1545 avec les vari antes des manuscrit? de la bibliothèque impériale. "—Paris — Librairie Tross — 1863. — J'aiaussi consulté Fédition canadienne des Vo ya- ges de Jacques Cartier publiée en 1843 sous les auspices de la Société Littéraire et Historiqfie de Québec- 2 D'Avezac. Introduction historique à la Relation du Second "Voyage de Jacques Cartier, page xvj. 16 PRÉFACE Et de même que la lecture des romans de Jules Verne a développé le goût des études scientifiques, de même \2. paraphrase littéraire d'un document archéo- logique éveillera-t-elle peut-être, chez plusieurs jeunes gens instruits, Tidée de consulter nos archives, de les lire, et de se prendre, eux aussi, à leur savante et fascinante étude. Ce sera du même coup développer chez les lettrés le goût de l'histoire par excellence, celle de notre pays. Tout le travail archéologique proprement dit est terminé maintenant, les manuscrits déchiffrés, copiés, coUationnés, imprimés, se rangent aujourd'hui en beaux volumes sur les rayons de toutes nos biblio- thèques. Il n'y a plus qu'à ouvrir le livre ... et à lire ! Et on ne lirait pas 1 Je ne puis croire à cet excès d'indifférence ou de paresse ! * " Prendre par l'imagination ceux-là qui ne veulent pas de bon gré se livrer a l'étude," tel est l'objet entier de ce livre. Encore l'imagination de celui qui invente à con- ditions pareilles aux miennes se trouve-t-elle, avec un semblable cavenas, terriblement réduite, affreuse- ment bridée, dans le champ même de ses évolutions, le terrain par excellence de ses manœuvres, la description. Son action restreinte demeure étroite- ment liée aux causeries d'équipages que défraient un petit nombre de circonstances inconnues, mais vrai- semblables, aussi rares et aussi vulgaires cependant que les événements quotidiens, traversant la mono- tonie d'un long et triste hivernage. Qui plus est, ces PRÉFACE 17 causeries de matelots ge rattachent à très peu de sujets ; sujets difficiles que rimagination ne trouve qu*en évoquant la vérité de sentiments intenses, vivaces, je le veux bien admettre, mais aussi, com- muns à tous les hommes sentiments de regrets amers, d'angoisses lancinantes, d'illusions éblouies, croisées presqu'aussitôt de désespoirs extrêmes, tous sentiments personnels à ces Français, acteurs d'une héroïque aventure, encore plus rongés de nostalgie que de scorbut. Aussi, ai-je cru devoir introduire, dès le départ de l'action, un interprète qui l'accompagne à travers l'intrigue, jusqu'à la fin du récit. Cet interprète n'est pas mis là uniquement pour tfaduire les pensées ou les sentiments des principaux rôles, la seule clarté du langage devant suffire à cela, mais pour compléter chez le lecteur la connaissance historique de ces mêmes personnages, de l'époque et du pays où ils ont vécu, de leurs travaux, de leurs œuvres. Pour créer le type de ce personnage je n'ai eu qu'à me souvenir. Car j'ai connu, intimement connu, dans ma vie d'écolier, au Séminaire de Québec, Monsieur l'abbé Charles Honoré Laverdière, l'érudit archéologue, l'éminent prêtre historien ; et nul autre que lui ne m'a semblé plus apte à remplir vaillamment ce premier rôle. J'ai dit interprète, j'aurais mieux fait d'écrire coryphée ; car mon cicérone fantaisiste lui correspond et lui ressemble étonnamment. Avec cette différence ^ toutefois que le coryphée des tragédies grecques donne la réplique aux ajteurs en scène, cause, discute, approuve, censure, pleure, se lamente, s'inquiète, se réjouit, se glorifie, s'exalte avec eux ; tandis que, dans le cas actuel, notre Men- 2 18 PRÉFACE tor donne la réplique à l'auditoire, c'est-à-dire, aux lecteurs du livre. Il cause avec eux, discute, approuve, condamne les idées, les sentiments, les espérances, les désespoirs, les ambitions, les étonne- ments, les rêves des compagnons de Jacques Cartier. Il profite conséquemment de l'occasion continuelle- ment présente de donner à ses auditeurs un Cours quasi complet d'Histoire du Canada. Un nom d'homme ou de ville, une parole, une action, une place, un monument, cités aux dialogues, ou men- tionnés dans la partie descriptive de l'ouvrage, sont pour lui autant dé raisons de prendre la parole. Ajoutez encore, comme prétextes de causerie, les analogies d'événements ou de circonstances, les coïn- cidences heureuses ou bizarres, les antithèses sur- prenantes d'une vie toute semée d'aventures singu- lières, les parallèles glorieux, ou les fâcheux con- trastes providentiellement établis entre les hommes et leur vocation, et vous aurez autant d'à-propos, autant d'excuses, pour ce cor>''phée historique, de reprendre la parole, de la garder plus longtemps même que les personnages en scène, sa qualité de cicérone officiel lui permettant d'être prolixe, voire même bavard, sans trop d'inconvénient pour l'auteur du livre, qui cause à sa place. Et de même que, dans les chœurs de la tragédie antique, le coryphée parlait quelquefois au nom de la foule, de même Laverdière parlera, de sa voix claire et forte, au nom de l'Histoire du Canada. Cet/ homme autorisé en sera l'interprète accompli, et sa parole sera si vraie, si juste, que chacun, en l'écou- tant, croira entendre un écho de ses propres pensées. PRÉFACE 19 Et sî le lecteur constate une divergence, ou plus, une contradiction entre Laverdière, prononçant le jugement de la postérité, etUopinion publique actuelle- ment reçue, quelques heures de sage réflexion ne tarderont pas à lui faire reconnaître et accepter la sentence du prêtre historien. Car Laverdière ne teiçiverse jamais et jamais n'hésite entre Topinion que Ton a et l'opinion que Ton devrait avoir sur tel homme, telle époque ou tel événement historique. * * * C'est donc au milieu d'un groupe de matelots que Laverdière se présente. Les hardis malouins^ les audacieux Bretons, compagnons de la fortune et de la gloire de Jacques Cartier apparaissent ; au lieu d'une troupe de comédiens, c'est l'équipage d'une marine française qui donne à bord de trois vaisseaux, je ne dirai pas le premier acte, mais la première scène de cet immortel drame historique joué au Canada par la France Catholique Royale, pendant trois siècles consécutifs, et sans chute de rideau. Laverdière n'est que le coryphée du spectacle conséquemment il lui appartient, et, comme toutes les opiinions que je luî prête, la critique qu'il en peut faire est réversible, et les lecteurs de ce livre ont le droit de l'applaudir OH de le siffler. Un rôle d'équipage pour canevas ! J'avoue la déses- pérante aridité de mon sujet ; maïs la logique de mon raisonnement autant que le but de mon travail m'empêchent de choisir. D'autre part, le mot Noël^ pour qui le médite profondément, nous ouvre tout un horizon sur l'histoire canadienne-française. Ce 20 PRÉFACE \rteux cri de joie gauloise portera-t-il bonheur à cet essai littéraire ? Mes espérances veulent répondre oui ; mais je me souviens à temps que TAvenir seul a la parole. D'ailleurs, étant donné l'ingratitude et le fardeau d'unç pareille étude, je n'en estimerai mon succès que meilleur, si toutefois le succès .... arrive. , S'il arrive ! Eh ! viendra-t-il jamais } Franchement j'aimerais mieux attendre la Justice. Cette redou- table Boiteuse tarde souvent jusqu'au soir de la vie ; elle est lente, si lente quelquefois que les méchants, que les coupables, les impunis de tous les forfaits comme les heureux de tous les crimes, finissent par croire qu'il existe pour elle une vieillesse €t qu'elle pourrait' bien mourir avant eux. Mais Elle vient à son heure, toujours avant la fin, jamais trop tard. Le Succès, lui, n'est pas tenu d'arriver. Voilà ce* qui inquiète. A tout événement, l'on me tiendra peut-être compte de n'avoir pas apporté à Tappui de ma thèse un exemple facile ou de labeur ou d'imagination. Ernest Myrand. Québec, 25 décembre 1887. ECOLE NORMALE-LAVAL Québec, 4 avril 1S87. L'Honorable G. OuiMET. Surintendant de T Instruction Publique- MoNsiEuit LE Surintendant, J'ai entendu lire Touvrage de Monsieur Ernest Myrand, Une fête de Nûvl soiis Jacques Cartier. L'im- preasion qui m*est restée de cette lecture est des plus favorables. Au point de vue religieux, il ne m'a paru y avoir absolument rien à reprendre ; au contraire, tout y est édifiant, moral, rempli de cette foi naïve et ardente qui animait nos pieux ancêtres Bretons et ao^ nands. Au point de vue historiq^ue ce travail ne mérite que des éloges. L*auteur, pénétre de respect et d*affec- tion pour les vénérables monuments de notre histoire a pris pour base de son récit nos plus anciennes annales^ et a voulu rassurer et satisfaire les lecteurs sceptiques ou incrédules en mettant toujours en note le texte primitif des documents sur lesquels il s'appuie. Cet ouvrage, qui a dû coûter à son auteur beau- coup de recherches, me paraît propre à faire aimer notre histoire et à faire étudier nos vieilles archives, mine précieuse qui git depuis si longtemps dans la poussière de Toubli et qui renferme encore tant de richesses inexplorées. Chaque fois que Toccasion s*eii est présentée, le brillant écrivain a travaillé à grouper 22 CRITIQUE habilement une foule de faits historiques, à les lier en faisceaux et à en former comme un gerbe de lumière propre à éclairer la marche et à soulager la mémoire de l'étudiant ; la vérité est partout respectée et l'on s'instruit en s'amusant à une aine lecture. C'est un bon moyen, je crois, de vulgariser l'his- toire consignée dans nos archives canadiennes, comme Jules Verne a vulgarisé la science, en la présentant sous une forme. attrayante et à la portée de tous les esprits. Tout Canadien aimera à lire Uiie fête de Noël sous Jacqtas Cartier et en retirera, sans aucun doute, de grands avantages. Le style de cet ouvrage m'a paru élégant, facile, plein de chaleur et de mouvement, propre à en assurer le succès dans toutes les classes de la société. Veuillez agréer. Monsieur le Surintendant, l'hom- mage de mon sincère et respectueux dévouement. L. N. Bégin, Ptre. ARGUMENT ANALYTIQUE, PROLOGUE W CAUSEUR d' AUTREFOIS. Le 24 Décembre 1885, à Québec, Tauteur d'Une Fête de Noël scms Jcuiques CbrfCcr rencontre, sur la Grande Allée^ le personnage ' de Laverdière. — La conversation s'engage et l'archéologue en profite pour donner libre essor aux souvenirs historiques de sa puissante mémoire. — Ce que lui rappelaient en particulier le chifi&e i/rois^ le nombre treiae et la journée du vendredi, — Quelle ville regardait Laverdière. -Carillons de Noël. — Une cloche absente. — Pourquoi la foule accourait à Notre-Dame. I LA KBF-oÉNÉRALE " Grande Hermine,*' Laverdière propose à son compagnon de route d'entrer à l'église et le transporte, à 350 ans de distance, au minuit du 25 Décembre 1535. — La Forêt de Donnacona. — ^Ancienne topographie historique. — Oe qu'on peut voir dans un profil de rivière. — Les trois vaisseaux de Jacques Cartier. — Une chambre de batterie dans La Grande Hermine, — Office divin Dom Guillaume Le Breton, le premier des aumôniers de Jacques Cartier pontifie en présence du Capitaine Découvreur, des officiers de la flottille et de tout le personnel valide des trois équipages. — Etude sur les noms inscrits au rôle d'équipage. — Le décor de la Nef -Généraie. — Les trois voilures des navires identifiées par Laverdière. — Notre-Dame de Boc-Amadour. — Adeste fidèles, — ^A quoi pensaient les compagnons de Jacques Cartier. — Foi ardente du Découvreur. CHAPITRE II LA CARAVELLE ** Petite Hermine,'' Un vaisseau-hôpitaL — Les scorbutiques de la flottille. — Bom Anthoine. — Le récit d'Yvon LeGal. — Les prières de la Nativité. 24 ARGUMENT ANALYTIQUE — Ce que chante la liturgie Catholique dans la Province de Hymnes d'église; leurs paraphrases Les sonneries de la Petite Hermine. CHAPITRE ni LA GALioTB '* EméHUon" Les deux promeneurs quittent le vaisseau-hôpital, jettent un coup d'œil sur le Fort Jacques Cartier, et se rendent à l'embou- chure du ruisseau Saint- MicheL — lis y découvrent VMmérillon enlizé dans la neige. — Le cadavre du premier scorbutique, Philippe Rougemont, a été déposé à bord de la galiote. Eustache Grossiu, compagnon marinier, Guillaume Séquart et Jehan Duvert, charpentiers de navire, font auprès du cercueil de leur camarade la veillée des morts. — ^Causeries des matelots. — Que deviendra Stadaconé ? La bourgade sera-t-elle grande ville ? Et la montagne, comme le rocher de Saint-Malo, aura-t-elle une ceinture de remparts crénelés, des murailles, des tours, une citadelle pour diadème ? — La mémoire de Jacques Cartier sera-t-elle immortelle ?— Adieux à Rougemont. — Les dernières prières. CHAPITRE IV UN NOËL BRETON. Réflexions de Laverdière''sur les NoëU de la Nouvelle-France. — Ce que les gars de Saint-Malo pensaient des aurores boréales. — Qui les aurait bien expliquées. — La bûche de Noël — Feu de joie. — Invocations de Jacques Cartier. EPILOGUE. Comment s'en alla Laverdière. — Et ce qu'il advint des trois vaisseaux de Jacques Cartier. TTi^rE FÊTE DE NOËL JACQUES CARTIER. CHAPITRE PREMIER PHOLOQUB. UN CAUSEUR D'AUTREFOIS, Vun de vos amis, me disait Laverdîère, quelque littérateur à imagination brillante, écrira sans doute merveilles sur " Québec en Van 2,000.'' Que prouvera son succès ? Pour l'avoir traité avec un éclatant mérite^ ce sujet en demeurera-t-il moins léger, capri- cieux, fantaisiste ? Il me rappelle, par sa facilité d'éxécutiorij ces dentelles amusantes, ces broderies au crochet, que l'on peut, à loisir, commencer, conti- nuer, abandonner, reprendre ou terminer sans comp* ter les mailles ou les points, ni même regarder aux dessins du patron. C'est le genre préféré des talents faciles et pares- seux. Pas d'études pour ceux-là, pas de recherches 26 UN CAUSEUR D* AUTREFOIS ardues, pas de contraintes historiques ou d'obstacles d^archéologie ; il leur suffit de s'abandonner à la dérive, à la grâce du ^tyle et de l'imagination, au fil de la plume .... le fil de l'eau, l'aval de la rivière. Bt le tour est fait. Mais, pour les vaillants du travail intellectuel, pour les archivistes, les chroniqueurs, les historiens, pour ceux-là qui remontent les rapides à la perchcy refoulent les courants à coups d'aviron, font les portages longs et pénibles, reprennent enfin les explorations d'avant-garde hardiment risquées par les pionniers de la civilisation chrétienne, sur une route encore lumineuse, après trois cents ans, du passage de la gloire catholique française, — pour ceux- là, ce n'est pas le Québec chimérique et fantaisiste du vingtième i^jècle qu'ils cherchent, mais le Québec des âges héroïques, celui du 31 Décembre 1775, ou celui du 13 Septembre 1759 ; le Québec provo- quant et fier du 16 Octobre 1690, ou le Québec affolé des nuits d'Octobre 1 660 ; le Québec puritain du 20 Juillet 1629, avec le drapeau anglais flottant aux tourelles du Château St. Louis, ou le Kébec fondé du 3 Juillet 1608, le Kébecq de Samuel de Champlain, ou bien encore, ou bien enfin le Stada- coné de Donnacona, la sauvage et primitive capitale d'un royaume barbare, la bourgade algonquine, Famasde cabanes indiennes blotties, comme des pous- sins, sous une aile d'oiseau, ^ le Canada 2 que Jac- 1. '* Suivant M. Ilicber Laflëche, ancien missionnaire révè- *' que actuel du diocèse des Trois-Bivières Stadaconé dans la *' langue des Sauteurs signifie aile, La pointe de Québec res- *' semble par sa forme à une aile d'oiseau." Ferland, Histoire du Canada, Tome 1er, pi^e 90. 2. *' Ils les sauvages appellent une ville *' Cœnada,** Voyage de Jacques Cartier 15S5-36, verso du feuillet 48. UN CAUSEUR d'autrefois 27 ques Cartier, Timmortel découvreur de notre beau pays, aperçut, au matin du 14 septembre 1535, à sept demi-siècles de notre époque. Ces retours au passé historique du Canada ne sont pas seulement un plaisir de l'esprit, un exercice de la mémoire, une satisfaction d'orgueil national, ils demeurent encore la préoccupation continue des âmes grandes, des cœurs bien nés, placés dans la poitrine à la hauteur des faveurs reçues, et* qui se font un devoir sacré, une religion sévère de leur souvenir ; dans la crainte que les aïeux, que les ancêtres ne soient hélas ! peur Tavenir, contraints ëe compléter la mesure de leurs inestimables bienfaits en en pardonnant l'ingratitude. Cétait le maître-ès-arts, Charles Honoré Laver- dière qui me parlait ainsi, à Québec, la nuit du ving^- quatre Décembre, mil-huit-cent-quatre-vingt-cinq. Il pouvait être onze heures et demie du soir ; consé- quemment, pour parler le langage moderne, le style rapide du chemin de fer, nous n'étions plus qu'à trente minutes de Noël ; — ^trente minutes, un temps égal à la distance qui nous séparait tous deux de la ville où nous allions rentrer. Aussi fallait-il marcher très vite pour arriver à Notre-Dame au temps de la Messe de Minuit. Car nous étions encore loin, très loin même sur la route, la Grande Allée^ la rue fashionable par excellence du quartier à la mode de notre actuelle cité, l'an- tique chemin du Cap Rouge, trois fois centenaire comme la mémoire de Jacques Cartier. L'incompa- rable beauté de la nuit, le besoin d*être seul, de penser librement, longuement, l'idée et la raison d'un livre m'avaient engagé à refaire une fois de plus, et certes sans regrets, la fascinante promenade du Belvédère. 28 UN CAUSEUR d'autrefois Or, Laverdière était mort le 1 1 mars 1873. Rien, comme la date précise de son décès et le quantième de son enterrement, n'était plus facile' à relever dans les registres de l'état civil. Je dis bien aux registres de l'état civil, car, dans la chapelle du Séminaire des Mis- sions Etrangères \ où le saint prêtre dormait enterré depuis douze ans, il n^ avait point de mausolée, de marbre funéraire, pas même une épitaphe gravée à son nom, qui rappelât à la mémoire distraite des vivants ce mort enseveli sous le parvis du sanctuaire. En cela, il n'était pas plus maltraité par l'ingratitude des hommes que son frère illustre d'études et de sacer- doce, Jean-Baptiste Antoine Ferland, couché, aussi lui, quelque part sous le chœur de Notre-Dame de Québec, moins oublié même que Messieurs de Fron- tenac, de Callières, de Vaudreuil, de la Jonquière 2, quatre des plus fameux gouverneurs de notre Canada 1. Nous avons pris habitude d'appeler 'Séminaire de Québec, le Séminaire des Missions Etrangères à Québec. 2. Ce fut en septembre 1796, que les cendres du comte de Frontenac, du chevalier de Callières, du marquis de Vaudreuil et du marquis de la Jonquière, furent transportées de T Eglise incendiée des Récollets à la Cathédrale de Québec. *' On agita l'idée d'élever dans la cathédrale un modeste ** marbre funéraire à chacun de ces grands noms et de ces grands *' chefs de notre race. La chose fut mise à l'étude, et ce, bel et ^* si bien, que quatre-vingt trois ans après la translation de ces *' ossemente tout est encore à faire ! Frontenac, Callières Vau- " dreuil, la Jonquière dorment dans la ville qui a été le siège *' dç leur gouvernement sans avoir même une épitaphe pour *' rappeler aux vivants où ils sont, et ce qu'ils étaient ! Il est ** vrai que Champlain, le fondateur de notre ville, n'a pas encore " de monument et que le chevalier de Mésy, autre gouverneur ** de la Nouvelle France, git ignoré dans le cimetière des pau- " vres de THôtel-Dieu de Québec ! " Faucher de Saint-Maurice — Belatûytb des Fouilles faites au Collège des Jésuites^ page 11. UN CAUSEUR d'autrefois 29 Français, obscurément enfouis à la Basilique, sous je ne sais plus quelle chapelle latérale i. En vérité j'aurais dû me rappeler que Laverdière était mort, et mort depuis douze ans, quand son fantôme m'adressa la parole, la nuit de Noël, 1S85, Quels motifs occultes, quelles raisons majeures, quelles urgences surnaturelles amenaient donc sur ma route ce revenant d'outre- tombe ? Pourquoi, comment, et depuis quand Laverdière était-il là ? Encore aujour- d'hui ma mémoire ne donne à ces questions rétros- pectives que de flottantes et tardives réponses. Par contre, ce dont je me souviens parfaitement est qu'il m'apparut si brusquement et me reconnut si vite, que, dans la joie première de notre mutuelle surprise, cette pensée de lui demiinder d'où il venait me manqua absolument 1. Très probablement la chapelle Notre Dame de Piti^, Zi^Hlsfoire du CanMa par Smith, publiée à Québec en 1815, nous a conservé \m inscriptiona gravées sur ]ea cercueils de ces quatre Gijuvemeurs de la Nouvelle France. Les voiei ! L M. i>E Fron^i ENAc — ** Cy gyt lo Haut et Puissant Seigneur Louis de Buade, Comte de Frontenac, Gouverneur Général de la Nouvelle France, mort à Québec, le 28 Novembre 1698. " IL M. DE Calïjèresj. — Cj gyst Haut et Puissant Seigneur Hector de Cal lier es, Clievdi^ir de Saint -Louis, Gouverneur et LieutenAnt Général do la Nouvelle France » décédé le 26 MailTOa" III. M, DE VAunKiiuiL. — Cy giat haut et puissant Seigneur Mtîssire Philippe Rtgaud, Marquis de Yaudreuil, Grand Croûc de Tordre militaire de Saint Louis, Gauvenieur et Lieutenant Général de toute la Nouvelle Franeçî, décédé le dixième octobre 1725/' IV. M. DE LA JoKQUiÈRE.™** Cy repose le corps de Measire Jacques Pierre de Taffanell, Marquis de la Jonquifere, Barou de CaBtelnau, Seigneur de Hardarsmagnaa et autres lieux, Comman- deur de Tordre royal et militaire de Saint Louis, Chef d'Escadre des années Navales, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roy eu toute la Nouvelle France, terres et paaaes de la Louisiane, Décédé à Québec le 17 May 1752, à six heures et demie du soir, âgé do 67 ans." 30 UN CAUSEUR d'autrefois Ce mot joie en étonnera plusieurs. Et cependant, je le dis sans vantardise, l'idée même d'avoir peur ne me vint pas, non par excès de courage, mais pour cette autre raison non moins singulière et rare que j'oubliai de me rappeler .... que Laverdière était mort ! Je n'ai pas encore eu de pire distraction. La présence quotidienne de sa photographie, la lecture de ses œuvres, l'habitude constante de les étudier, une discussion historique toute récente, où Ton avait longtemps et bien parlé ,de lui, m'avaient sans doute, et à mon insu, préparé doucement à cette rencontre, terrifiante à tous égards, mais qui, dans l'état actuel de mon esprit, me parut alors aussi naturelle que fortuite. Comme les organes corporels, les facultés de l'âme ont leurs torpeurs ; torpeurs partielles et temporaires, si l'on veut, de la capricieuse mémoire, mais suffisantes cependant, et de mesure à expliquer autant qu'à produire ce bizarre phénomène cérébral. Rien de fantastique d'ailleurs ne trahissait la pré- sence du revenant chez le prêtre archéologue ni le vêtement flottant sur la charpente du squelette, ni la démarche solennelle de silence glacial ou de sinistre gravité, ni l'accent sépulcral de la voix creuse, ni la pâleur jaunâtre du visage. Le vent ne faisait pas osciller son fantôme et les lumières oranges du gaz, ou les rayons bleu-acier des lampes électriques n'en traversaient pas le spectre à la "manière du jour pénétrant une vitre, mais projetaient, au contraire, sur la blancheur immaculée de la neige, l'ombre in- tense de son corps palpable. Devinez d'où je viens ? me dit-iL Je lui avouai que je ne devinais pas du tout. UN CAUSEUR d'autrefois ^t Je suis allé à Sillery, voir le monument que les citoyens de cette localité ont élevé à la mémoire du fondateur de leur paroisse ^ et au premier mission- naire 2 de la Nouvelle- France. ^ Puis Laverdière me raconta le détail attachant de cette découverte historique dont il avait partagé l'honneur avec son frère d'études et de sacerdoce^ Fabbé Raymond Casgrain. De celle-ci il passa à une autre, puis à une autre, et de cette autre à une quatrième, toujours en remon^ tant à travers les dates, — de Brûlart de Sillery, Com- mandeur de l'Ordre de Malte, au Chevalier de St. Jean de Jérusalem Charles Huault de Mont- magny ; — de Montmagny, à Brasdefer de Chasteau- fort ^ ; — de Chasteaufort, à Samuel de Champlain ; de Champlain, à M. de De Monts ; — de M. De Monts, à M. De Chates ; — de M. de Chates, à Chauvin ; — de Chauvin, au Marquis de la Roche ; — duMarquisde laRoche, à Roberval ; — de Roberval, à Jacques Cartier ; — de Jacques Cartier, au florentin Jean Verazzano. Aux clartés rayonnantes de cette intelligence d'élite, ces grands personnages de T Histoire Cana- dienne Primitive apparaissaient comme des acteurs 1. Noël Brûlart de Sillery, fondateur de la résidence de Saint Joseph. Il a donné son nom à la paroisse actuelle de Sillery. 2 Ennemond Massé, premier missionnaire jésuite au Canada. 3. Ce fut à son voyage de 1524, que Jean Verazzano, floren- tin au service de François 1er, prit possession du Canada au nom du Roi et lui donna, le premier, le nom de Nouvelle France, — Belation abrégée de ^nielques missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la ifouvelU France par Bressani — annotée par le Përe Martin. — Appendice, page 295. 4. Marc Antoine Brasdefer de Chasteaufort, administrateur jusqu'au 11 Juin 1636. 32 UN CAUSEUR D^AUTREFOIS rentrés tout à coup en scène et jouant, sur le théâtre même de leurs fameux exploits, les premiers rôles comme les premiers actes de notre héroïque épopée. Seulement, ils avaient tous la voix, Tharmonieuse voix de Laverdière ; ce qui, selon moi, ne gâtait en rien Tjcxpression de leurs sentiments les plus nobles et de leurs plus fières pensées. Contraste étonnant ! Plus l'événement était vieux, plus il s'en allait à la dérive, au recul de cet irrésis- tible entraînement que nous appelons le passé — rirrévocable Passé — et mieux la vaillante mémoire de Tarchéologue historien l'arrêtait dans sa fuite loin- taine, le fixait éclatant de sa propre lumière,, le rajeu- nissait d'actualité, le sculptait enfin en reliefs inou- bliables sur l'épaisseur de ses propres ténèbres. Laverdière s'arrêtait longuement, avec une com- plaisance d'artiste, à regarder ainsi passer devant lui les plus humbles figurants de notre belle patrie. Il les faisait à plaisir défiler sous mon regard en une procession interminable. Ce ne sont que des figurants, me disait-il, mais mon cher, quels figurants ! Que serait devenue sans eux l'action même des premiers rôles ? Qui l'aurait appuyée dans l'histoire, non pas cinq actes durant, comme au théâtre, mais pendant toute une vie d'homme ? Qui l'aurait maintenue cent cinquante ans, solennelle et dramatique, au prix de silencieux et pénibles travaux, d'obéissances obscures, fidèles, passives ? Vous méprisez les figurants ! De toute évidence vous avez le préjugé des auditoires modernes et vous croyez que les applaudissements frénétiques, les ovations délirantes valent mieux, pour le succès d'une pièce, que le travail caché des machinistes ou UN CAUSEUR d'autrefois 33 la voix discrète du souffleur. Rappelez-vous, ami, qu'icî, au Canada, nous avons donné une tragédie devant une salle vide, sans auditoire, c'est-à-dire sans témoins. Nous avons joué pour Tart, comme nous nous sommes battus pour la gloire, à la fran- çaise. Une bonne manière, croyez-m'en ! N'en cher- chez pas de meilleure. Donc, pour l'Histoire qui n'assistait pas à cette représentation dramatique, il faut nommer tous les personnages en scène, figurants comme premiers rôles. Aussi ne me parlait-il pas de Jacques Cartier, hiaîs des compagnons de Jacques Cartier ; et, sans une seule hésitation des lèvres ou de la mémoire, il me récitait, avec la volubilité du petit écolier qui apprend par cœur seulement, les soixante-quatorze noms de marins inscrits à St Malo, sur le rôle d'équipage, le trente-unième jour de Mars 1535. Il ne me disait rien de Samuel Champlain, mais causait avec un attachant intérêt d'Etienne Brûlé, de Champigny, de Nicolas Marsolet, de Rouen, le petit rai de Tadotissac, de Jean Nicollet, de François Mar- guerie, de Jean Godefroy, de Normanville, de Jacques Hertel, de Fécamp, de Jean Amyot, de Guillaume Cousture, tous interprètes du Fondateur de Québec, 1 et qui lui avaient rendu l'inestimable service d'appren- dre pour lui la lettre et l'esprit des langues sauvages. A quoi bon, dîsait-il, vous parler de Jacques Cartier, de Samuel Champlain ? Vous en savez suffisamment pour garder à leur mémoire un culte d'étemelle reconnaissance. Mais leurs obscurs compagnons d'armes et de vaisseaux, leurs frères de courages 1. Benjamin Suite Histoire des Canadiens-Français — Tome 1er, page 149. Ferland Histoire du Canada — Tome 1er. page 275. 3 84 UN CAUSEUR d'autrefois surhumains et d'héroïques misères ne méritent-ils pas, eux, Taumône d'un souvenir ? Croiriez-vous par exemple, que les missionnaires Jésuites aient seuls en ce pays donné des martyrs au Christ ? Ignorance coupable qui ne rend pas justice à tous les témoins du Divin Maître ! Ce n*est pas amoindrir la gloire immortelle de Brébeuf, de Lalemant,de Jogues, que d'en faire une part à Hébert, à Antoine de la Meslée, à Louys Guimont, à Pierre Rencontre, à Mathurin Franchetot, ^ cinq paysans, cinq confesseurs de la Foi, cinq apôtres, qui Lui donnèrent le témoignage du sang. Cette terre vail- lante du Canada favorise ceux qui l'aiment, et par- tage, entre les missionnaires qui Tévangélisent et les laboureurs qui l'ensemencent, l'honneur éternel du sacerdoce et le triomphe suprême du martyre ! Dites-moi, ami, croiriez-vous échapper à une accu- sation méritée d'ingratitude en vous rappelant seule- ment que Dollard des Ormeaux, le héros de Mont- réal, sauva la Nouvelle France en 1 660 ? Dollard ne mourut pas seul ils étaient dix-sept à la tâche glorieuse ; nous sommes aujourd'hui un million de Canadiens-Français pour nous en souve- nir. Dix-sept ! un chiffre jeune, tous des noms de jeunes gens, faciles à retenir pour des mémoires jeunes aussi, vivaces et sympathiques. Avec un peu de cœur cela devient aisé comme un jeu de l'esprit. Voyez plutôt Adam Dollard, sieur des Ormeaux, le chef de l'expédition, Jacques Brassier, l'armurier Jean Ta- vernier dit La Hochetière, le serrurier Nicolas Tille- mont, Laurent Hébert dit LaRivière, le chaufournier 1. Relations des Jésuites — année 1661 — pages 35 et 36. UN CAUSEUR d'autrefois 35 Alonîé de Lestres, Nicolas Josselin, Robert Jurée, Jacques Boisseau dit Cognac, Louis Martin, Christo- phe Augier, Etienne Robin, Jean Valets, René Dous- sin, Jean Lecompte, Simon Grenet, François Crusson dit Pilote \ Dites, m'avez-vous suivi ? Avez-vous compté ? J'ai bien mes dix-sept ? J'oubliai de lui répondre tant j'étais absorbé par la pensée accablante de ce qu'il avait fallu de temps, de travail ferme et de patient courage pour amener la Mémoire, cette grande Rebelle de l'intelligence, à trn aussi merveilleux degré de souplesse et de doci- lité. Et devant ce miracle d'inflexible énergie, il me venait aux yeux, en regardant Laverdière, cette comparaison formidable du belluaire s enfermant avec le tigre qu'il va dompter, qui barre la porte de la cage pour mieux enlever toute issue aux défaillances de la chair, rendre humainement impossibles la fuite ou le secours extérieur, compléter sciemment l'immense péril pour contraindre son cœur à ramas- ser tout son courage, préoccuper l'âme à ce point que la pensée même de la peur ne lui vienne pas au suprême élan du combat Laverdière continua En justice pour tous les héros de cette expédition fameuse, il convient d'ajou- ter à l'immortel Palmare de notre histoire le nom de l'algonquin Metiwemeg et celui du huron Anahotaha. Car le courage est une vertu humaine universelle qui ne se reconnaît pas seulement à la couleur d'un sang ou à la nationalité d'un drapeau ! Laverdière dit encore Je devrais ajouter, pour 1. Leurs noms, recueillis par M. Souart, curé de Ville-Marie, furent insérés, avant la fin de l'année 1660, au registre mortuaire de la paroisse, le seul monument qui nous les ait conservés. 36 UN CAUSEUR d'autrefois être complet, les noms de Nicolas du Val, Mathurîn Soulard et Blaîse Juillet, trois autres frères d'armes de DoUard qui périrent au début de Texpédition. Uétrange mémoire que la mienne ! remarqua le maître-ès-arts en se frappant le front. Ce n'est pas Torthographe bizarre des mots ou leurs consonnances singulières qui la frappent, mais l'agencement, le nombre des chiffres. Ainsi, dans le cas présent, ce n'est point l'originalité de ce nom de famille Biaise Juillet qui l'émeut, l'impressionne, l'éveille, mais l'hiéroglyphe même, le profil serpenté du chiffre troisy 3, un chiffre vivant pour moi, qui se tord et se dénoue, qui remue, ondoie, frissonne, quand on le regarde fixement, comme les anneaux d'un reptile. Vous ne sauriez imaginer quel essaim de souve- nirs agréables cette pensée du chiffre trois fait lever dans mon intelligence. D'où provient ce phénomène } Je n'en sais rien. La raison comme le secret s'en rattachent peut-être à une très lointaine habitude de ma jeunesse. J'avais extrême plaisir à chanter des chansons de marche. Vous savez les belles chansons de St. Joachim et vous vous rappelez sans doute avec quels élans de voix et de gaieté les disaient eux-mêmes, à l'âge d'or des vacances, Ernest Audette et Patrice Doherty. 1 Quand c'était mon tour je chantais tout le temps, et au couplet et au refrain. Or, vous avez dû remar- quer, et cela comme malgré vous, combien de fois Iç 1. Prêtres du Séminaire de Québec. Le dernier, Patrice Doherty, spirituel au superlatif, toujours gai et d'une amabilité inaltérable, était le boute-en-train de toutes les fêtes, l'àme de tous les plaisirs, la meilleure application du vers immortel du poëte Eia. age^ nunc aalta, non ita musa diu ! L'abbé Doherty a certes bien fait d'écouter Virgile, il est mort à 34 ans ! UN CAUSEUR d'aUTREEOIS 37 chiffre trois entre en scène si je puis m'exprimer ainsi dans Taction ou le décor de nos chansons de marche. Ainsi par exemple " M*en revenant de la Vendée, " Dans mon chemin j'ai rencontré ** Trois cavaliers fort bien montés. " Voilà pour le couplet. *• J'ai vu le loup, le renard, le liivre, •* J'ai vu le loup, le renard passer. " Voilà pour le refrain. Trois personnages encore ! Autre exemple " Mon père a fait bâtir maison, " L'a fait bâtir à trois pignons ** Sont trois charpentiers qui la font. C'est le premier couplet du fameux " Va, va^ va, p^tit bonnet'tCy zrand bonnet-te ! Le cinquième couplet demande " Que portes-tu dans ton jupon f Et le sixième couplet, son premier serre-file, lui répond tout de suite •* C'est un pâté de trois pigeons I Trois ! toujours trois, le chiffre fatidique ! Et que me direz-vous des Trois p'tits tambours revenant de la guerre ? Une célèbre celle-là ! Et l'immortelle En roulant ma boule, roulant ? Derrière chez nous est im étang En roulant ma boule, Trois beaux canards s'en vont baignant ! Toutes leurs plumes s'en vont au vent ! Trois dames s'en vont les ramassant ! 88 UN CAUSEUR d'autrefois Ailleurs, c*est la petite Jeanneton allant à la fon- taine, polir emplir son cruchon ** Par ici-t-il y passe trois chevaliers-barons l Ailleurs encore, à St. Malo, beau port de mer ** Trois beaux navires sont arrives ** Charges d'avoine, chargés de blé. i ** Trois dames s'en vont les marchander. " Marchand, marchand, combien ton blé ? " Trois francs l'avoine, six francs le blé ! Enfin, pour en finir avec le délicieux Noël cana- dien-français '^ D'où viens-tu^ bergère^' je vous rappelle son dernier couplet " Y a trois petits anges ** Descendus du ciel, " Chantant les louanges " Du Père Eternel ! Ces chansons-là ont bercé le sommeil! de ma première enfance, ma bonne, mon heureuse et sainte enfance de petit paysan, réjoui la jeunesse de ma vie d^écolier. Et l'on s'étonne après cela que la figure arabe du chiffre trois me soit restée présente aux yeux du corps et de l'esprit, comme un visage aimé de camarade, que les dates historiques où sa combinaison se rencontre demeurent ineffaçablement gravées dans ma mémoire, ou que ce nombre m'aide à grouper les personnages aussi bien que les événe- ments d'une époque ! A preuve ce fut le 3 Août 1492 que Christophe Colomb partit de Palos, en Espagne, et s'en alla découvrir le Nouveau Monde. Ce fut aussi le 3 Juillet 1534 que Jacques Cartier aperçut, pour la première fois, la terre du Canada, et que ses vaisseaux entré- UN CAUSEUR d'autrefois 39 I rent dans la Baîe de Gaspé. 1 Et de même que trois caravelles la Santa Maria^ la Pinta^ la Nina avaient découvert le Nouveau Monde, de même trois navires, la Grande Hermine, le CourlieUy VEmérillon du hardi capitaine Jacques Cartier découvrirent le Canada. Et lorsque Jacques Cartier, eut reconnu cet immense con- tinent, notre pays lui-même était divisé en trois royau- mes sauvages, le Sagtienay, le Canada, VHockela^a. Les premiers missionnaires du Canada étaient au nombre de trois, les prêtres-récollets Jean Dolbeau, Denis Jamay, Joseph LeCaron qui mourut du cha- grin de ne pouvoir reprendre ses travaux apostoli- ques au Canada redevenu français. 2 Ce fut le trois Juillet 1 608 que Samuel de Champlain fonda Québec, et ce fut le 23 Mars 1633 qu'il partit de Dieppe pour recouvrer la colonie rendue à la couronne de Louis XIII par le traité de St. Germain en Laye. Ce furent encore trois vaisseaux, le Saint Pierre, le Saint Jean, le Don de Dieu ^ , qui ramenèrent Cham- plain et reconquirent à la France Québec, aujourd'hui îrrémissiblement perdu pour elle! Et ce fut le 23 Mai 1633 qu^ I3, flottille mouilla devant la ville. Que voulez-vous, me dit en riant Laverdière, repre- nant haleine, que voulez-vous, j'ai la passion du nombre trois ! et je parierais sur lui tout l'argent que Ton perd, soit aux tables de jeux soit à la rou- lette. D'autres ont le culte du chiffre sept. Leur religion vaut la mienne, et vous savez comme moi qu'affaires de goût, de modes ou de ridicules ne se 1. Qas^é le nom français du nom sauvage Hongiiedo qui signi- fie le bout de la terre. 2. Le traité de Saint-Germain en Laye qui rendit le Canada à la France, fut signe le 29 mars 1632. 3. Ferland, Histoire du Canada, Tome 1er, page 258. 40 UN CAUSEUR d'autrefois discutent pas ! ' On les choisit seulement J'ai les miens. D'autre part, je vous avouerai, sans fausse honte, que, de mon vivant, j'avais la superstition du nombre 1 3 excessivement développée dans l'imaginative. Cela m'étonne ! En vérité ? Vous le seriez davantage, si je vous en donnais la raison historique ! Historique ? Ecoutez, j'en appelle à vos souvenirs d'études. Ce fut le 26 deux fois treize, ce fut le 26 Juillet 1758 que Louisbourg capitula. Ce fut le 13 Juillet 1759, vers les deux heures du matin, que commença le bombardement de Québec. Ce fut le 1 3 Septem- bre 1759 que se livra la première bataille des Plaines d'Abraham. Qui l'a perdue ? Le 13 Septembre 1759 fut mortellement blessé le vail- lant marquis de Montcalm. Avec qui et pour qui tombait Montcalm } Ce fut par le treizième article du Traité de Paris, signé le 10 Février 1763, que le roi Louis XV, de déshonorante mémoire, céda hon- teusement le Canada Français et son immense terri- toire à Georges III d'Angleterre. Rappelez-vous que la Révolution de 1837 fit monter treize canadiens français à l'échafaud 1. Je pourrais, continua Laverdière, multiplier les exemples je ne vous donne que les plus cruels et les plus frappants, afin qu'ils restent mieux en 1. Colborne fit juger les prisonniers rebelles par une cour martiale ; 89 furent condamnés à mort, 47 à la déportation, et tous leurs biens furent confisqués. Treize condamnés, le Cheva- lier de Lorimier à leur tête, périrent sur l'échafaud. Ces mesures sévères furent fortement bllûnées en Ansfleterre, même par des personnages puissants, entre autres par le duc de Wellington. Laverdière Histoire du Ckmada^ page 221. UK CAUSEUR d'autrefois 41 mémoire. Remarquez, s'il vous plait, que cette fata- lité du chiffre treize est universelle, qu'elle ne suit pas telle et telle race, ou ne s'attache pas à tel et tel peuple en particulier. Ainsi, comme nous au Canada, les Anglais ont eu leurs dates historiques néfastes, frappées au même chiffre. Ce fut le 13 Juillet 175s que l'héroïque vaincu de la Mononga- héla, le brave général Braddock, mourut de ses bles- sures 1. Ce fut le 13 Septembre 1759 que leur plus grand héros, James Wolfe, expira dans les bras de la Victoire. Ce fut le 13 juillet 1632 que Thomas Kertk remit 1' ''Abitatim de Kébecf et le Château St Louis entre les mains d'Emery de Caën et du sieur DuPlessis Bochart, les lieutenants de Samuel Cham- plaîn. Le même jour, la garnison anglaise reprenait la mer et le chemin de la Grande Bretagne. Croyez- moi, le Treize est une mauvaise carte ; nous autres, Canadiens-Français, l'avons eue à la dernière main, et voilà pourquoi nous avons perdu la partie, la ter- rible partie jouée sur le tapis vert du champ de bataille. Je lui dis en riant Vous avez la haine du chiffre 13, j'en conclus logiquement que vous avez la peur du vendredi. Ces deux superstitions se complètent ; leurs croyances ne forment qu'un dogme, comme leurs mutuelles et mauvaises influences se confon- dent et se fortifient. Le cas historique de M. de Montcalm en offre' un saisissant exemple ; il est blessé à mort un treize^ il expire un vendredi^ et on l'enterre un vendredi. Connaissez-vous rien de plus lamen- table en matière de fatalité } Aussi, pour moi, c'est 1. Braddook avait eu cinq chevaux tues sous lui pendant l'action. 42 UN CAUSEUR d'autrefois la meilleure des raisons comme la plus excellente des excuses de vous savoir de mon avis .... sur ce point. Que me chantez-vous là, interrompit Laverdière ? Auriez-vous peur du vendredi par hasard ? Vous m'étonnez ! Je lui renvoyai mot à mot sa réponse de tout à rheure En vérité ! , Vous le seriez bien davantage si je vous en donnais les raisons historiques. Historiques ? Allons donc ! Je vous écoute tout de même. Frontenac, le plus illustre de nos gouverneurs, mourut un vendredi, le 28 novembre 1698. Mont- calm, le plus brave de nos généraux mourut, un vendredi, le 14 septembre 1759 ; le premier jour du bombarbement de Québec était un vendredi, le 13 Juillet 1759, vous m'avez donné cette date-là vous-même, il n*y a qu'un instant ; les Acadiens furent enlevés à Grand Pré le 5 septembre 1755, un vendredi ; toujours un vendredi, le 5 août 1689, eut lieu répouvantable massacre de Lachine, une héca- tombe humaine, une boucherie si horrible, que l'anéantissement successif des bourgades huronnes, et nos batailles perdues les plus sanglantes ne sont que de pâles échaufFourées comparés à ce féroce , coup de main de la Barbarie Indienne. L'histoire de la Nouvelle-France est encore rouge de ces tueries abominables de nos ancêtres blancs par les sauva- ges ; 1646, 1647, 1648, 1649, 1650, 1651, 1652. 1653, 1654, 1656, 1660,1 sont autant de millésimes 1. 1646. Assassinats du Père Jogues et de Lalande. 1647. Meurtres commis par les Iroquois chez la tribu des Neutres. 1648. 700 personnes massacrées à la Mission St. Joseph. UN CAUSEUR d'autrefois 43 ensanglantés quî se suivent comme les échos rapides, désespérés, de ces voix lamentables, criant " au meurtre ! " par toute la Nouvelle-France, sous le couteau des Iroquoîs. Et, cependant, 1689 seule demeure Tannée terrible, Tannée sinistre par excel- lence. L'année dn massacre, c'est le nom qu'elle portera dans l'histoire. Et c'est un vendredi qui lui a valu tout cela ! Enfin, pour terminer, à votre manière, par un épisode du Règne de la Terreur, ce fut un vendredi, le 15 février 1839, que François Marie Thomas, Chevalier de Lorimier, monta sur Téchafaud ! Je crois donc fermement que ces raisons histo- riques justifient, et amplement, mes préjugés à regard du vendredi. Etes-vous sérieux, me répondit gravement Laverdière, et croyez-vous réellement qu'il y ait des jours heureux ou néfastes, des chiffres talismans, des quantièmes fatals ou des vendredis porte-mal- heurs } Entre ces deux superstitions j'aimerais encore mieux choisir la fatalité du nombre 1 3 que la male-main du Vendredi. 1649. Destruction des bourgades huronnes St. Ignace et St. Louis. Martyres de Brébeuf et de Lalemant. 1650. Première bourgade de la tribu des Neutres enlevée par les Iroquois. 1651. Seconde bourgade de la tribu des Neutres enlevée par les Iroquois. 1652. Assassinats du Gouverneur DuPlessis Bochart et de 15 français. 1653. Attaques iroquoises contre Québec, Trois-Biviëres et Montréal. 1654. Destruction de la Nation des Eriés ou Ghats 1656. Massacre de^ Hurons par les Iroquois, à File d'Orléans. Assassinat du Père Garreau. 1660. Mort héroïque de Dollard des Ormeaux et de ses 17 compîignons martyrs. 44 UN CAUSEUR d'autrefois Vous n'avez donc pas lu Daniel de Foë ; ou la philosophie de son rire vous aurait-elle échappé ? Le spirituel railleur inspire à Robinson Crusoé l'heu- reuse et neuve idée de nommer Vendredi le féroce cannibale qu'il vient de découvrir dans son île- prison de San Juan Fernandez. — Et pourquoi ? En souvenir du jour où Selkirk rencontra ce mori- caud la première fois ? Apparemment, oui ; mais en réalité, nullement. Il poursuivait le persifflage de ces superstitieux incurables, de ces malades imaginaires qui veulent que rien de bon n'arrive un vendredi, et rapportent fatalement à l'influence hostile du ven- dredi toutes les mauvaises rencontres, tous les désas- treux hasards et toutes les Catastrophes lamentables de la vie. Ce sauvage Vendredi est gai comme un Mardi-Gras du carnaval italien, heureux comme Polycrate. Eh ! vraiment ! j'ignore pourquoi il ne le serait pas ! Rappelez-vous que Molière, le plus grand des comiques modernes et futurs probable- ment, avait l'âme triste, que les fossoyeurs chantent toujours, et qu'il n'y a rien comme une farce de croque-mort pour faire rire ! La peur du vendredi ! mais il n'y a que les mau- vais historiens et les mauvais prêtres qui aient cette épouvante-là. Quant à la mort du Christ; vous savez ce qu'il en faut penser vous êtes catholique, moi je suis prêtre. Job blasphéma-t-il, lorsqu'il regretta sur son fumier le jour de sa naissance ? Et l'esclave qui maudirait sa délivrance mériterait-il la liberté ? N'en disons pas davantage sur ce propos. Ce fut un vendredi, le 3 août 1492, que les caravelles du Génois quittèrent Palos et la terre d'Espagne, et ce fut un vendredi, le 12 Octobre UN CAUSEUR d'autrefois 45 1492, que le Nouveau-Monde apparut aux vigies de la Pinta ! Cette découverte fut le plus grand événe- ment de rage moderne. Les siècles à venir n'en produiront jamais un plus fameux ! Ce fut un vendredi, le 28 juillet que la charrue de Louis Hébert, laboura pour la première fois le sol fécond de notre bien-aimée patrie. 1 Après trois siècles de récoltes débordantes et d'exubérantes moissons, la prodigieuse terre du Canada n'est pas encore épuisée que je sache. Dites-moi la date où elle deviendra stérile } Prenez garde, jeune homme, que ce ne soit un vendredi ! Ce fut un vendredi, le 24 avril 161 5, que le Saint-Etienne partit de Honfleur avec Denis Jamay, Jean Dolbeau et Joseph Le Caron, les trois premiers missionnaires du Canada. 1. Le vendredi, lendemain de notre arrivée 27 juillet 1606, '' le Sieur de Poutrincourt affectionné à cette entreprise ** V établissement de Fort Boyal en Acadie comme pour soi- '* même, mit une partie de ses gens en besogne, au labourage et '* culture de la terre, tandis que les autres s'occupaient à nettoyer " les chambres et chacun appareiller ce qui était de son métier. '* Ce coup de charrue est le vrai commencement de la colonie * française en Acadie.'' — Lescakbot. ** Louis Hébert, apothicaire de Paris, avait accompagné Pou- '* trincourt dès 1604, et c'est probablement lui qui dirigea les " travaux d'agriculture dont parle Lescarbot Nous retrou- ** vons Hébert en Acadie et plus tard à Québec, car il fut le ** premier laboureur de ces deux contrées, et les Acadiens comme *' les Canadiens voient en lui le colon fondateur de leurs races." Benjamin Suite Histoire des Ccmadiens-FrcmçaiSf Tome 1er, chapitre III, page 63. Louis Hébert paraît être né à Paris où il avait épousé Marie RoUet. En 1606, il passa à l'Acadie et Lescarbot en parle dans les termes suivants liv. IV ** Poutrincourt fit cultiver on parc de terre pour y semer du blé à l'aide de notre apo- thicaire, Louis Hébert, homme qui, outre l'expérience qu'il a en son art, prend grand plaisir au labourage de la terre." Ferland Notes sur les Registres de Notre-Dame de Québec, page 9 46 UN CAUSEUR d'autrefois Ce fut un vendredi, le 26 juin 1615, que la première messe fut dite à Québec. 1 Ce fut un vendredi, le 6 juin 1659, que François de Montmorency Laval, notre premier évêque, arriva à Québec. Ce fut un vendredi, le 20 octobre 1690, que Frontenac chassa des battures de la Canardière les miliciens de la Nouvelle- Angleterre, et les força de se rembarquer, dans le désordre d'une folle panique, sur les vaisseaux de Tamiral Phips. Ce fut un vendredi, le 13 septembre 1697, que le héros de la Baie d'Hudson, Iberville, enleva le fort Nelson aux Anglais. J'en passe, et des meilleurs. Et pour cause. J'en- tasserais dates sur dates, j'accumulerais éphémérides sur éphémérides, je couvrirais trois fois d'événements heureux, le nombre de vos jours néfastes et de vos quantièmes fatidiques, que je ne prouverais rien du tout, soit à rencontre de votre utopie, soit à l'appuî de la mienne. Etudiez l'histoire du pays et vous trouverez que les actions décisives, politiques ou militaires, les irrémédiables désastres, les catastrophes finales, échappent absolument à la prétendue funeste influence du jour qui nous occupe. La première bataille des Plaines d'Abraham 2 fut livrée xxn jeudi. 1. Il faut excepter les messes dites, pendant l'hivernage des vaisseaux de Jacques Cartier, en 1535-36, par les aumôniers de la flotte, Dom Anthoine et Dom Guillaume Le Breton. 2. *' Le nom biblique que porte cet endroit à jamais célèbre ** n*a qu'un rapport très éloigné avec le père des Hébreux ; illuî ** vient d'un certain Abraham Martin qui possédait autrefois ** une partie de cette étendue de terre. — Abraham Martin, dit '* V Ecossais, pilote, acquit, par donation du 10 Octobre 1648 et " du 1er Février 1652, vingt arpents de terre d'Adrien ** Duchesne, et par concession de la Compagnie de la Nouvelle- *' France, douze autres arpents." Lemoine, AWwm du Toimste, Note E de l'Appendice. UN CAUSHUR d'autrefois ^ Que n'auriez- vous pas dit, superstitieux que vous êtes, si le combat avait eu lieu le lendemain ! Québec capitula un mardi, le 18 septembre 1759; Montréal, un dimanche^ le 7 septembre 1760; le Traité de Paris, qui livrait sans retour le Canada à TAngleterre fut signé unjmdi, le 10 février 1763 ; ce fut encore un dimanclie que Montgomery fut tué en risquant Taudacieux assaut de Québec, le matin du 3 1 décembire 1775, Et reiiqua. Croyez- moi, les jours heureux ressemblent aux pierres blanches qui les marquaient chez les anciens, 1 Apparenriment la Providence laisse tomber les premiers d'une main avare et distraite sur tous les chemins de la vie, comme la Nature sème îes autres avec prodigalité dans le sable de tous les rivages.. On en trouve partout, et chacun peut en ramasser quelques uns. Dieu les abandonne aux recherches avides et à Tespérance éternelle de Thomme. Laverdière eut tout à coup un accès de gaieté, un rire subit, qui sonna clair, comme Técho d'une joie enfantine. Quels grands bébés nous sommes ! s'écria-t-il. Voilà que nous discutons des quantièmes et des vendredis, comme deux vieilles filles qui se disputent sur le plein de la lune ou le saint du calendrier ! Après tout, c*est encore une manière je ne dirai pas la meilleure d'étudier notre histoire du Canada et de rafraîchir notre mémoire à la glorieuse lumière de ses éphémérides ! Nos éphémérides canadiennes-françaises, savez- vous bien qu'il y avait là matière à très bel almanach? C*est un travail que j'avais commencé. Ça, n'en 1. ^^lAlbo notanda lapillo dits ". Odes d*Horace, 48 UN CAUSEUR d'autrefois parlez jamais, je vous le dis en confidence, l'aven- ture a raté, magistralement raté . • , . faute de temps. — Que voulez-vous, ajouta le maître-ès-arts, avec un regret dans la voix, je suis parti si vite. Ton est venu me chercher si brusquement. 1 Qui donc ? lui demandai-je, sans défiance ; et Laverdière me répondit La Mort ! Il souriait doucement comme sa belle voix har- monieuse laissait tomber ce mot terrible, qu'il pro- nonçait avec la tendresse d'un nom ami. La Mort ! Etrange phénomène, ce mot formida- ble, qui eût arraché un léthargique à son sommeil fatal, ne réveilla pas ma mémoire. Et je continuai de marcher sans épouvante à la droite de ce fantôme, croyant toujours à la présence d'un homme vivant. Causant de la sorte, nous arrivâmes à la hauteur de la rue Grande Allée. Il existe à cet endroit précis, un renflement considérable du sol, qui ressemble à méprise,, au profil d'un flot de ressac énorme, prêt à déferler, avec un bruit de tonnerre, sur les terrains vagues de la banlieue et à entraîner, dans son irrésistible élan, toutes les villas des environs. . Une tour Martello 2 basse, grise, ronde comme un phare, monte la garde sur cette élévation de rocher. On dirait une sentinelle que le Gouvernement Impérial a oubliée de relever, quand il rappela ses troupes, au lendemain de la Confédération Cana- dienne. Bien qu'elle appartienne à la stratégie, et 1. M. Tabbé Laverdiëre mourut après 48 heures de maladie seulement. 2. Ce fut en 1808 que furent construites, sous la direction du général Brock, les quatre tours Martello, qui complètent les fortifications sud de Québec. UN CAUSEUR d'autrefois 49 soit une fortification essentiellement militaire, elle en a peu la physionomie menaçante, et conserve, en dépit de son métier et de sa vocation, une ëouce expression de bonhommie, l'air paisible et bourgeois de rhonnête artisan . qu'elle abrite. Pas de soldats sous sa toiture plate et circulaire comme un parasol chinois, point de canons allongeant le cou dans l'embrasure de ses meurtrières soigneusement fermées de volets, comme la fenêtre d'une maison de campa- gne. On dirait un vétéran, un invalide, assis- là, autant pour reposer sa fatigue que pour distraire sa nos- talgie des anciennes batailles, un balafré des âges héroïques s'oubliant à regarder, là-bas dans la plaine, •Wolfe, Montcalm, Lévis, Murray, Arnold ou Mont- gomery passer la revue de leurs historiques régiments. La vue que l'on obtient au sommet du plateau est superbe soit que l'on regarde la ville neuve attifée de sa plus fraîche toilette et l'élégante richesse de son plus fier quartier 1 , soit que l'on s'attarde à contempler, à l'horizon de Ste. Foye, le fascinant panorama de la campagne, la falaise de St. Romuald, les hauteurs de St. David de TAube-Rivière 2, le bois de Spencer Wood, la route de Sillery, les villas de Mont Plaisant, cachées comme des nids, dans la feuillée des bosquets ou la verdure des champs, enfin, la délicieuse vallée de la rivière St. Charles. Comme la ville est changée ! remarqua Laverdière. Vous ne dites pas embellie ? Eh ! monsieur, vous n'êtes pas flatteur ! L'historien esquissa un sourire. — ^Je ne vois pas. 1. Le quartier Montcalm. 2. Aiusi nommé en mémoire du cinquième évêque de Québec, Mgr. François-Louis de Pourroy de TAube-Rivière. 50 UN CAUSEUR d'autrefois dit-il, la même ville que vous regardez. Ainsi, pour ne vous en donner qu'un exemple, je vois la maison du chirurgien Arnoux dans la façade de votre Hôtel- de- Ville ; 1 la résidence de l'aide-major Jean Hugues Péan 2 au lieu et place de la demeure actuelle du paie-maître Forest ; les quartiers-généraux du mar- quis Louis Joseph Montcalm de Saint Véran dans le salon du barbier Williams ; 3 les jardins de Tabbé Vignal, aux Ursulines. ^ Je les vois tous, aussi dis- tinctement que vous-même pouvez regarder encore 1. ''A quelques tnëtres de la maison de Gobert ou Gaubert " s'élève l'Hôtel-de- Ville de Québec, sur le site même où était *' en 1759 la résidence du chirurgien Arnoux. " Album du Touriste par LeMoine, page 16. Depuis la publication de V Album du Touriste, M. LeMoine aurait, parait-il, repris son opinion à ce propos. Il croit mainte- nant que la résidence du chirurgien Arnoux devait être la mai- son actuelle du charretier Campbell, c'est à-dire, les numéros 45 et 47 de la Louis. Laquelle est la meilleure des deux suppositions ? La parole est aux archéologue^. 2.^ Le mari de la fameuse maîtresse de l'Intendant Bigot. Le juge'Emsly occupait en 1815 la maison que ce soldat de. . . , fortune habitait en 1758 ; plus tard, le Gouvernement l'acheta pour en faire une caserne d'officiers. LeMoine Histoire des Fortificatimis et des Rues de Québ^, page 18. 3. La maison du charretier Campbell, Nos 45 et 47, sur la rue St Louis, celle des barbiers-coiffeurs Williams, No 36 sur la même rue Montcalm's Head Quarters^ et la boulangeriq Johnson, sur la rue St Jean en dedans des murs sont actuel- lement les trois plus vieilles maisons françaises antérieures à la conquête encore debout. Elles offrent un triple exemple de ce genre bizarre de toitures pointues, très hautes, percées de lucarnes ouvrant au ras des gouttières, comme des yeux à fleur de tête, et dessinant sur le ciel un profil excessivement aigu. 4. L'abbé Vignal, avant d'être sulpicien, logeait à l'encoi- gnure des rues Parloir et Stadacotia. Il cultivait un terrain qu'il avait défriché et en donnait le produit au soutien du mo- nastère des Ursulines. Plus tard, il quitta l'office de chapelain du cloître pour s'affilier au Séminaire de St. Sulpice. Il fut tué, rôti et mangé par les sauvages à Laprairie de la Magdeleine, vis-à-vis"de Montréal, le 27 octobre 1661. J. M. LeMoine '' Histoire des Fortifications et des rues de Québec," page 18. UN CAUSEUR d'autrefois 61 aujourd'hui la boutique du tonnelier François Gobert, au numéro 'J2 de la rue St Louis. 1 Vous me trouvez bizarre et fantasque de regarder ainsi, dans les rangées parallèles de vos maisons neuves, les bicoques disparues de la vieille capitale française. Les gens de mon espèce sont, rares, je Tavoue ; mais confessez, à votre tour, qu'il s'en retrouve toujours quelques-uns à tous âges et en tous pays. Horace, le classique Horatius Flaccus, les connaissait bien ceux-là, qu'il appelait dans T " Art Poétique " laitdatores temporis acti. Il en est un célèbre qui a passé par votre ville, il n'y a pas dix ans. Auriez-vous, par hasard, oublié lord Dufferîn t Et comprenez-vous pourquoi ce gouverneur fit reconstruire, aux frais del'Etat, les portes militaires du vieux Québec, que la bêtise ignorante de son Conseil Municipal avait rasées? Ce remarquable diplomate était un véritable laudator temporis acti, dans toute la large et noble acception du mot. Je l'admire autant que je l'en félicite. Toutefois, n'ayant pas la richesse et la fortune du vice-roi des Indes, j'en suis réduit à rebâtir, de mémoire et d'imagination, les monuments classiques de votre capitale. Comprenez- vous maintenant aussi pourquoi je regarde, à travers la pierre de vos demeures modernes, les vieilles mai- sons françaises qu'elles ont remplacées } pourquoi les terrains vagues de la cité sont pour moi remplis de chapelles monastiques, de casernes ou de collèges "^ pourquoi, trempé de pluie ou poudré de neige, je reste là, à quelque coin de vos rues historiques, m'exta- siant à voir passer les personnages fameux de 1. On y déposa, le matin du 31 décembre 1775, le cadavre de l'audacieux général Richard Montgomery. ."52 UN CAUSEUR d'autrefois notre épopée canadienne ? Comme les vieillards je m'amuse, ou plutôt mieux, je me console avec mes souvenirs. La mémoire! c'est le regard qui voitlorsque les yeux de la chair s'aveuglent ; la mémoire ! c'est l'oreille qui écoute lorsque la tête devient sourde et pesante ; la mémoire! c'est la voix intérieure, l'incom- parable amie, qui parle, qui cause, qui raconte, à mesure que les bruits de ce monde s'éteignent et meurent, et que le silence, avant-coureur du grand sommeil, envahit l'âme comme une vague irré- sistible. Tout en causant de la sorte, mon étrange interlo- cuteur s'était mis à marcher et moi à le suivre machinalement. Nous avions quitté la rue St-Louis, et nous allions droit devant nous, traversant alors la place du Vieux Marché de la Haute Ville. Ce terrain vague, servant aujourd'hui de poste aux cochers de place et aux camionneurs, est un vaste -carré borné, au nord, par les maisons de la rue La Fabrique, à l'est, par la Basilique Mineure de Notre-Dame ds Québec, au sud, par les maisons de la rue Buade, 1 à l'ouest, par l'emplacement désert du Collège des Jésuites 2 ^servant alors de quartiers- généraux aux tailleurs de pierre du nouveau Palais de Justice. C'est un endroit ouvert à tous les vents, sillonné par une multitude de petits chemins de traverse courant dans toutes les directions,d'un secours inestimable aux affairés de toutes les besognes. En ce moment, les quatre grandes églises parois- siales de la ville, Notre-Dame, St. Jean Baptiste, St. 1. Ainsi nommée en mémoire de Louis de Buade, comte de Frontenac. 2. Le Collège des Jésuites, fondé par le marquis de Gamache, fut bâti en 1637. UN CAUSEUR d'autrefois SS" Roch et St. Sauveur i carillonnèrent à haute voix l'appel de la Messe de Mînuît II pouvait être onze heures et trois quarts. Presqu' aussi tôt le sonneur de la Cathédrale Anglicane se mit à monter et redescendre sans relâche son éternelle gamme en do naturel. Puis soudain, après cinq ou sîx'accords pla- qués de toutes ses cloches, et un silence de plusieurs secondes, il commença lentement à \ov. . . . . > • I . 68 UN CAUSEUR d'autrefois Aussi, spécialement séduite par les promesses de ce Christmas Festival tt le spectacle éclatant de notre faste liturgique, Télite protestante de la cité accou- rait-elle de partout ses quartiers élégants et même de la banlieue. La Banlieue de Québec n'est pas précisément aux confins de la terre, mais s'aperçoit à une honnête distance, en deçà des lignes d'horizon. Aussi, les belles dames des équipages, toutes emmi- touflées de fourrures au fond de leurs traineaux, comme les modestes piétons marchant allègrement le chemin qu'elles suivaient en voiture, de Mont- Plaisant, de l'Avenue des Erables, de Sillery, de Bergerville, voire même de Ste-Foye, auraient con- senti volontiers à ce que la ville se fût trouvée, en cette circonstance, une fois encore plus lointaine, pour mieux contempler la féerique beauté d'une nuit d'hiver canadien. C'était, en effet, goûter un délice de nageur que prolonger ce bain de lumière sidérale pénétrant, à la fois, le corps et l'âme, une lumière divinement pure, divinement rayonnante, vibrant aux yeux avec une telle puissance d'émission que le spectateur ébloui ne savait plus vraiment d'où elle partait du disque argenté de la lune, ou de la neige immaculée. Les toitures, les mansardes, les têtes originales des cheminées estompaient leurs silhouettes bizarres sur la blancheur des rues avec une telle netteté de lignes et de profils, que je croyais regarder, dans la contemplation de ce paysage lunaire, une gravure de Gustave Doré, agrandie au cadre de la Nature. Les ombres du tableau en étaient si intensément noires, si brusquement découpées, tranchées dans la neige, qu'elles me semblaient creuses comme des gaufrurës aussi capricieuses que gigantesques. UN CAUSEUR d'autrefois 69 Dans le firmament bleu — ^un azur de ciel d*ëté — les fumées molles des innombrables cheminées de la ville montaient v^erticales. Parfois, de légers coups de vent, des brises égarées, cherchant leur chemin d'une aile inquiète, couchaient comme des flammes de bougies ces fumées paisibles, quasi immobiles pour l'œil qui les suivait dans Tatmosphère. Alors ces vapeurs chaudes de bois ou de charbons fondus en braises, flottantes comme des buées sur Tair pur et lumineux de la nuit, devenaient panachées, élastiques comme de la vapeur échappée des soupapes d'une locomotive. Et les fumerolles, comme autant de piliers qui se cassent et qui croulent, se brisaient en une infinité de petits nuages floconneux courant à la vitesse du vent, avec des allures d'oiseaux sauvages passant, l'automne, dans les hauteurs du ciel L'atmosphère était à ce point diaphane qu'un spectateur, placé, à cette heure de minuit, au premier kiosque de la Terrasse Frontenac, aurait embrassé, comme en plein jour, le féerique panorama qu'elle commande, et saisi, jusqu'aux lignes les plus lointaines de l'horizon, le majestueux profil des Laurentides, encore nettement accentuées à sept lieues de distance. Aussi toute la ville était dans la rue^ suivant le mot d*une femme célèbre ; tout Québec était dehors, y compris le tout-Québec obligé de tels journalistes encore plus grecs par le métier que par le style. Il aurait d'ailleurs suffi, pour s'en convaincre, de regar- der, sur la rue LaFabrique, le spectacle de cette mul- titude accourue des faubourgs, foule compacte, serrée comme les arbres d'une forêt de sapins, solide, impé- nétrable comme un carré d'infanterie anglaise, et qui marchait sur Téglise avec Tallure provocante de régiments qui vont se battre. 60 UN CAUSEUR d'autrefois Quelk foule 1 remarqua Laverdière avec éton- nement, quelle foule ! Et son regard, large ouvert, se promenait avec stupeur sur cette mer humaine envahissant, à la vitesse du galop d'un cheval, le terrain vague du Vieux Marché, naguère encore désert, silencieux^ endormi comme un cimetière. Et aussi moi je me demandais comment logerait, dans rétroite enceinte de l'église, la prodigieuse multi- tude qui s'engouffrait maintenant sous le portique, avec l'impatiente colère d'une eau courante, longtemps retardée par un barrage, et qui rentre tout à coup dans le creux naturel de son lit. Des portes béantes s'échappait, en bouffées de blanche vapeur, la chaude atmosphère intérieure de l'église. Et de la place du Vieux Marché ^ où nous étions jusque là demeurés, Laverdière et moi, Ton entendait parfaitement jouer l'orgue. Cet écho nous arrivait sans doute par rentrebaillement continu des portes, ou peut-être aussi, de la seule vibration des grandes fenêtres du portail. L'orgue chantait avec joie, avec élan, avec l'enthousiasme contagieux d'un allégro militaire Nouvelle agréable i Un Sauveur Enfani nous est né I C'est dans une étable Qu'il nûu^ est donné 1 Si nous entrions à l'église ? proposa le maître-ès- arts, d'une voix insinuante, A vos ordres^ lui dis-je. Et avec lui je le croyais du moins, j'entrai à Notre*Dame. 1. Goosalter lea gT^vures de Québeo en 1B32. w'^!r'a>r." w^^s^^mwms^^'- CHAPITRE DEUXIÈME LA GRANDE Je renonce à vous peindre ou à comparer l'éton- nement qui me saisit au fermer de la porte. Ce fut une surprise telle qu'elle me pénétra, comme la peur, d'un froid intense. J'eusse été, certes, excusable de m'épouvanterdevant l'inattendu d'un spectacle étrange ait du costé des Nations Iroquoises. H le dit au *' Père qui Taccompagnoit ; lequel luy demandant quelques " narticularitez plus grandes de cette apparition,il ne luy répon- *^ dît autre cliose, sinon que cette croix étoit si grande, qu'il y en '^avoit Aaaez C^^ejplace pour attacher non seulement une per- " Bonne mais tous tant que nous estions en ce pays." Eûlai^i den Jésuites, année 1649, ch. Y, page 17. 'rrvmv'^- LA GRANDE HERMINE 65 France. Et d'imagination, ou plutôt de mémoire historique, je m'amusais à reconstruire ce prophétique labarum, cherchant à deviner quels groupes d'étoiles, constellations ou nébuleuses, ses bras immenses avaient traversés. Comment cette réminiscence, particulière à Jean de Brébeuf, me vint à l'esprit, je ne saurais trop en rendre compte. Elle ne fut, selon moi, que la suite naturelle de la pensée première des Iroquois, laquelle m'était venue au souvenir gracieux de cette fable astronomique expliquant, avec un rare bonheur de poésie, l'origine des Pleïades. Or, rien comme le nom des bourreaux, ne rappelle mieux celui de la victime, alors surtout que le supplicié fut illustre. Cherchez partout, dans l'histoire universelle, au mar- tyrologe de l'Eglise et nommez m'en un plus fameux que ce premier apôtre des Hurons, le plus stoïque confesseur de l'Evangile au Canada, comme le plus fier témoin du courage humain sur la Terre. 1 Je m'arrêtai longtemps à contempler toutes ces étoiles éclatantes Sirius, Rigel, Procyon, Bétel- geuse, Aldebaran, Castor, Pollux, Bellatrix, Altaïr, le delta^ r epsilon et le dzHa d'Orion^ ces Trois Rois Mages que le Christianisme a cru reconnaître dans cette page incomparable du firmament, la plus belle, sans conteste, de l'uranographie. Cette pensée de 1. '* La constance des deux missionnaires Jean de Brébeuf ** efc Gabriel Lalemant — surtout celle de Brébeuf, fut prodi- *' gieuse. H ne donna pas le moindre signe de douleur, et ne fit *' pas entendre la plus légère plainte ; aussi les Sauvages, aussi- ** tôt après sa mort, ouvrirent son cadavre et burent le sang qui *' coula de son cœur. Ils le partagèrent entre les jeunes gens, ** dans ridée, qu'en le mangeant, ils auraient une partie de ce ** grand courage." Bressani Mort du Père Jean de Brébeuf, ch. V, page 256. 5 66 LA GRANDE HERMINE TEpiphanie me ramena, par analogie de circonstance et de synchronisme, à ces nuits de Nocl d'autrefois si radieuseSj où je m'amusais, écolier, à reconnaître, par ces mêmes astres, les constellations dont Us étaient les sentinelles respectives. Sans ta forêt profonde qui m'enveloppait de toutes parts je me serais cru revenu à mon ancien poste d*observation, au promontoire de Québec, sur le plateau même de la cité proprement dite, tant les étoiles me paraissaient occuper une position identi- que. Bref, je me retrouvais, à moins d'être la vic- time d'une mystification inouïe, sur le terrain précis du Vieux Marché. Je n'avais donc pas même changé de place ; conséquemment, il n'y avait que mon voisinage d'ensorcelé. Réflexion faite, je trouvai ma situation consolante. Sommes-nous à Québec ? demandai-je à Laver- dière. Vous l'avez dit. Quelle heure est-il ? Minuit sonne. Quel jour ? iJk vingt-cinq décembre. Cette année ? Allons donc ! vous plaisantez ! Non pas, c'est aujourd'hui la fête de Noël, l'an du Seigneur 1535. Nous sommes à 350 ans d'hier! 1 5 3 5 ! Il paraît que je criai cette date-là un peu haut, car mon interlocuteur eût un froncement de sourcils et dit en me frappant du coude " Plus bas, s'il vous plaît, nous sommes en pays hostile. " Il ajouta presqu'aussitôt C'est la forêt primitive, la forêt païenne du Canada LA GRANDE HERMINE sauvage, le royaume de Donnacona ! ^ Cassez une branche, et cela suffira pour vous trahir et vous livrer du même coup à un ennemi aussi féroce qu'invisible. 2 Sentinelle, prenez garde à vous ! C'est un bon crî d'alarme, et je prie Dieu qu'il vous le conserve vibrant à l'oreille. Sachez, pour ne Toublier jamais, que chacun de ces arbres cache un anthropophage, ou peut lui-même devenir un poteau de torture, ^ Le sol indien prête étonnamment à ce genre de méta- morphoses horribles. Je vous l'avouerai avec candeur, j'aurais mieux aimé que Laverdlère m'eût signalé la présence d'un tigre aux environs. Cela m'eût paru moins terrible i car je ne connais pas, dans toute l'histoire naturelle, un fauve plus redoutbible que l'homme retourné à la i. Le lendemain {de la première exploration deTIJe d'Orléans par Jatquea CartierX le Seigneur de Civuada, nommé Dimtmœna en nom, et rappellent pour eeigiieur Agouhanna, vint avecques douze barques accompaigné de plusieurs gônâ deTant nos navires. Voyage h JaGqitesOarti^Ti 1535-36, feuillet 13. — édition 1545„ 2. Aux amis quilui représentaient les dan géra d'un établisse- sèment à Montréal ^ avec un trop petit nombre de aoldafca, sur cette île occupée par une tribu considérable d'indieuâj M. do Maison n eu v e répondai t * * Je n e auis pas venu po ur de l i bérer, mais *' pour agir, Y eÛfc-il, àHocbelaga, autant d'Iroquob que d' arbres " sur ce plateau le promontoire de Qu^bec^ il est de mon do voir ** et de mon honneur d'y établir une colonie/' Cesfièrea paroles méritent d'être conacrvées vivaces dans la mémoire. Elles laieuniaaeiit !e sang et le courage, 3. Les Algonquins de T époque de Jacques Cartier n 'étaient pas précisément des agneaux et ne valaient gufero mieux que les Iroquois du temps de Frontenac en barbarie comme en férocitë, A preuve cet épisode de la Eelatwti de 1535 ^^ Kous fut par le ** diet Donnacona monstre les peaulx de cinq testas d'homm&s, " estandues sur du boys, comme peaulx de parcbemin. Lequel ** Donnacona nous dît que e'étoient des Trudamans probable- *'*' ment les ancêtres des Iroquoïs devers le Bu qui leur menaient '* continuellement la guerre,'' Voyage de Jaa^ues Cartkr^ 1535-36— feuillet 39. —édition 1545* ï 68 LA GRANDE HERMINE barbarie. Mes yeux sortaient littéralement de leurs orbîtes, tant je scrutaîs avec effort les moindres sinuosités de la route, sondant du regard la noirceur des buissons, épiant les arbres, m'effrayant au bruit ..de mon propre marcher, éprouvant enfin un sentiment analogue aux émotions de ces voleurs novices qui grelottent d'épouvante en regardant dormir le mal- heureux qu'ils pillent. A ma droite, à ma gauche, devant et derrière moi, nmmense forêt multipliait ses chênes. A qui m'eût demandé ce que je voyais dans ce bois infini, j'aurais pu répondre naïvement des arbres, des arbres^ des arbres, à la tragique manière de ce Danois célèbre qui lisait, lui, des mots, des mots, des mots. Seulement, ma réponse eût été de beaucoup plus inquiète que sarcastique. Marchons vite, me dit le maitre-ès-arts, il est tard la fête est peut-être commencée. Et sur ce, Laverdière partit au pas gymnastique, suivant à travers le bois un chemin demeuré pour moi invisible. La neige, durcie au froid, offrait au pied une résistance élastique, ce qui me permettait de suivre aisément mon infatigable guide. Où allons-nous } demandai-je. Au Fort Jacques Cartier, répondit-il, sans tourner la tête. Puis il ajouta, après trois ou quatre enjambées gigantesques par-dessus des troncs morts entendre la messe à la Grande Hermine, Cette nouvelle me causa une grande joie. Et je marchai en conséquence, c'est-à-dire, prestissimo^. C'était merveilleux de remarquer comme le ma- gique sentier s'identifiait, par ses méandres, avec les iangles droits et les arcs de cercle du tracé cadastral LA GRANDE HERMINE Q9 actuel de nos rues dans la cité. Sans la présence des arbres, qui nous enserraient de toutes parts, j'aurais parié que je descendais la rue La Fabrique ; puis, tournant à gauche, au premier coude du chemin, je crus m'engager dans la vieille rue St Jean, car la route décrivait alors une courbe très accentuée, La ligne se redressait ensuite pour se casser encore à angle droit, tournant cette fois à droite. Evidemment je quittais la rue St Jean pour la Rue des Pauvres, 1 la rue du Palais, de son titre moderne. Il y avait, à cet endroit du chemin, un affaissement de terrain très rapide ; puîs^ toujours descendant, le sentier décrivait, de droite à gauche et de gauche à droite^ un grand arc de cercle lequel, tracé sur la neige, eût donné la fi^re typographique d'un S majuscule parfaitn A cet endroit Laverdière s'arrêta court, prêta Toreille, et frappant du pied avec impatience, il me dit " Nous n'arriverons jamais à temps, prenons la rivière. " Fuis il marcha droit devant lui. Effectivement, nous arrivâmes sur les bords d'une large rivière. L'hiver, notre terrible hiver du Canada, l'avait gelée sur toute l'étendue de sa surface ; et sa glace vive, bleuâtre et transparente, d'où le vent colère du nord -est chassait la neige, étincelaît dans les ténèbres de la nuit comme une armure d'acier. Je demandai au maître-ès-arts, le nom de cette rivière. 1. Histoire des Fortifications et des Bues de Québec, par J. M. LeMoine, page 28 *' La rue qui conduisait de la rue Saint- " Jean au palais de l'Intendant, sur les rives du Saint-Charles, ** s'appela plus tard la Rue des Pauvres, parce qu'elle traversait ** le terrain ou domaine dont le revenu était affecté aux pauvres '* de l'Hôtel-Dieu." À 70 LA GRANDE HERMINE Il me regarda étonné. Comment, s*écria-t-il, déjà égaré ? — Les Algonquins de Jacques Cartier nom- maient cette rivière Cabir-Coubat, à cause de ses nombreux méandres. Ce mot, dans leur langue, est Tadjectif qui rend cette idée. Le Découvreur du Ca- nada la baptisa Sainte- Croix^ en ménioire de V Exal- tation de la Sainte-Croix dont on célébrait la fête le jour qu'il entra dans ses eaux, le 14 Septembre 1535. Quatre - vingt - quatre ans plus tard, K les Pères Récollets rappelèrent Saint- Charles, en souvenir de Messîre Charles des Boues, ecclésiastique d'une haute piété, Grand Vicaire de Pontoise et Fondateur de leurs Missions en la Nouvelle-France. Ce nom du bienfaiteur a prévalu dans l'histoire, comme sur les cartes géographiques du pays. Rarre et précieux exemple de la reconnaissance humaine ! Voici l'embouchure de la rivière, me dit encore Laverdière, allongeant le bras dans la direction de l'est, au fond, cette grande tache d'encre que vous voyez là-bas, c'est le fleuve qui passe. Je fixai durant quelques secondes ce noir qui res- semblait au vide béant de quelque gouffre gigan- tesque. La neige immaculée du rivage accentuait encore l'intensité de ces eaux ténébreuses, qui n'avaient pour correctif que les blancheurs livides de longs glaçons flottant à leur surface, comme des noyés revenus de l'abîme, et s'en allant à la dérive, de toute la rapidité du courant quadruplee par j ...,.,, . ,._ c ^ vitesse de la marée basse. Ce fut dans le silence de cette muette contempla- tion, qu'à l'intervalle régulier d'un glas qui tinte, 1. En 1619. Les Récollets arrivèrent à Québec au mois de Juin de cette année. LA GRANDE HERMINE 7t récho agonisant d'une cloche m'arriva, si faible, si dilué, si grcle, si flottant» qu'on eût dit le timbre d*une pendule sonnant dans le vide d'une machine pneumatique. De toute évidence, ce clocher, cette église, devait être prodigieusement éloigné de nous. J'étais surpris, tout de même, qu'il y eût au seizième siècle une chapelle catholique au franc milieu de cette forêt païenne. Je m*étonnais davantage que les vieilles relations des missionnaires jésuites l'eus- sent oubliée. J'allais m'en ouvrir à Laverdîère quand deux hommes, surgis je ne sais d'où, passèrent entre lui et moi, silencieusement, comme des fantômes. C'étaient deux sauvages d'une haute stature. Ils étaient chaussés de mocassins et vêtus de grosses peaux d'ours noirs. Au sommet de leurs têtes, rasées comme un crâne de chartreux, il y avait un panache en plumes d'oiseaux, peintes aux couleurs voyantes du jaune, du vert et du rouge. Leurs bras nus 1 étaient piqués de tatouages étranges profils d'idole corps d'animaux, dragons, couleuvres, tortues, feuilles d'arbres, pinces de canots, le tout confondu en un gâchis incroyable. Laverdière répondit à ma surprise par un mot qui la centupla Les interprètes de Jaéques Cartier Taiguragny ! Domagaya ! ! 1. ^^ l&t sont les sauvages tant hommes, femmes qu'onfauts ** plus durs que bôstes au froid. Car de la plus grand froidure ** que ayons veu, laquelle estait merveilleuse et aspre, venaient *• par-dessus les glaces et neiges tous les jours à nos navires, la ** pluspart d'eulx tous nuds, qui est chose fort difficile k croire *' qui ne l'a veu." Voyage de Jacques Cartier, 1535-36 verso du feuillet 31, édition de 1545. 72 LA grAnde hermine Bien que je fusse à leurs côtés, les deux Algon- quins ne me jetèrent pas même un coup d'oeil. On eût dît qu*ils ne voyaient personne. Ils traînaient après eux sur la neige une longue tabagane 1 chargée de la royale dépouille d*un caribou tué à coups de flèches. Ils marchaient très vite, dans une direction qui faisait angle droit avec le cours naturel de la rivière. Où vont-ils ? demandai-je à mon guide. A Stadaconé, cela est évident. Bien que cela parût évident à Laverdière, je me permis de lui dire ; Comment le savez-vous ? Je Tai appris • . . . à étudier, me répondit le prêtre- archéologue, avec un sourire malin. — Suivez, dit-il. — Et ramassant sur la glace une écorce de bouleau que le vent taquinait outre mesure, il se mît à lire sur elle, ou plutôt à réciter, en la regardant Ferland, Histoire du Canada, page 27 " Les sauvages qui avaient été rencontrés par Jacques Cartier au Cap Tourmente revinrent en assez grand nombre à Stadaconé, résidence ordinaire de Donnacona et de ses sujets. C'était un village composé de cabanes d 'écorce de bouleau, et bâti sur une pointe de terre qui a la forme d'une aile d'oiseau ; elle s'étend entre le Grand Fleuve et la rivière Sainte Croix ; à cette circonstance est dû probablement le nom de Stadaconé qui signifie aile en langue algonquinc. 1. Traîneau plat bien counu dans le Canada sous le nom do traîne sauvage. Ferland— ^isfei'î'e dti Canacia — Tome 1er, page 113. LA GRANDE HERJVITJVE 73 '* Il est probable que Stadaconé était situé dans l'espace compris entre la rue La Fabrique et le Coteau de Ste Geneviève près de la côte d'Abraham , Il fallait de Teau pour les besoins du vîllaËfe, et les sauvages n'aiment pas à aller la chercher loin ; ci ils en auraient eu en abondance, car un ruisseau pas- sait au franc milieu de la rue La Fabrique ; il allait tomber dans la rivière Saint-Charles près du lieu où se trouve actuellement l'Hôtel-Dieu, A Textrémité du terrain un autre ruisseau descendait le long du Coteau Sainte Geneviève." Rappelez-vous encore le st4€cin€t et èrîef récit du Second Voyage de Jacques Cartier et sa description du site de la bourgade Stadaconé, le futur emplace- ment de Québec. ** Il y a dit-il, une terre double, de bonne haulteur^ " toute labourée, aussi bonne terre que jamais ^" homme veist et là est la ville et demeurance de " Donnacona et de nos deux hommes qui avaient " été pris le premier voyage Taiguragny et Doma* " gaya, les interprètes laquelle demeurance se " nomme Stadaconé, " 1 Le maître-ès-art ajouta, par manière de réflexion soulignée de reproche J'avoue qu'il importe peu de savoir le nom du locataire que Ton remplace dans une maison, M*est avis cependant, qu'il existe un intérêt de curicsité . . ; . ou même d'estime, à 1. YojagGB de Jacques Cartier- 1535-36, verao du feuillet 32, édition de 1545. ** Le village aauvage de Stadaconé devait être sifcué aur la partie du Coteau Ste Geneviève où se trouve maintenant le fau- boursf S t-Jean- Baptiste de Québec. Méjii^irca de la SocUié Littéraire et Hiêtorigue du Québec. 74 LA GRiCNDE HERMINE connaître quelle était au Canada l'historique devan- cière du Québec historique. ^ Ce disant, Laverdière, déchirait avec la lenteur gourmande d'un connaisseur qui grîgnotte un bon- bon fin, la petite feuille d'écorce qui, la pauvrette, n'en pouvait mais de ses morsures. Et regar- dant ce débri, que le vent allait reprendre et perdre sans retour, je pensais avec deuil à ces annales essentielles, à ces documents primordiaux, à ces archives inestimables de notre pays, aujourd'hui plus égarés et disparus que ce bouleau fragile ; non pas réduits, comme lui, à des lambeaux reconstructibles après tout, mais tombés 'pour jamais, en allés pour toujours en une poussière fatalement morte, sur laquelle vainement prophétiserait l'Histoire, car leurs cendres n'avaient pas, comme les nôtres, les pro- messes d'un réveil, ni la certitude d'une résurrection. Oh ! j'oubliais, s'écria tout-à-coup Laverdière, en se frappant le front. A propos de documents, j'ai quelque chose à vous montrer. Où donc ai-je mis cela ? Puis il se mit à se fouiller avec frénésie. 1. On ne sait rien de précis sur le site de la capitale de Donna- cona si ce n'est qu'il était à une demi-lieue de la rivière Lairet et qu'il en était séj^ nré par la riviëre St- Charles. Ferland — Histoire du Canada — Tome 1er, page 27. Au bout de l'Ile d'Orléans se trouvait un endroit convenable pour le mouillage des navires de Jacques Cartier il s'y arrêta le 14 septembre 1535, jour de l'exaltation de la Sainte Croix, dont ce lieu prit le nom ; c'est la rivière St-Charles d'aujour- d'hui. Tout auprès était Stadaconé, résidence royale du chef du Canada, remplacée maintenant par la ville de Québec, dont le faubourg Saint-Jean est assis précisément à l'endroit où gisait l'ancienne capitale des sauvages. D'Avezac — Brève et succincte Introduction Historique à la Relation du Second voyage de Jacques Cartier, xij. LA GRANDE HERMIME J$ C'était un spectacle cumique que celui de mon* sieur Laverdière évoluant de droite à gauche et de bâbord à tribord dans les poches phénoménales de sa soutane où ses petits bras disparaissaient jusqu'aux épaules. Finalement l'archéologue retrouva son papier. , . , dans sa veste. Et tout aussitôt le Mentor me demanda avec une voix railleuse Savez-vous lire? Aussi bien lire que regarder ? En vérité vous me répondriez non que j'en aurais aucune surprise ; il y a de par le monde, et ce jour- d'hui, tant de gens qui lisent sans comprendre, et tant d'autres qui regardent sans voir. Ainsi, par exemple, voici le portrait de Jacques Cartier, L'historien me présenta, devinez quoi ? Une gravure ? Nullement C'était une petite carte géographique qui n'était pas même carreau tée d'une longitude et d'une latitude, et sur laquelle était tracé le cours entier d un petit ruisseau, depuis les premières eaux de la source, figuréts par un réseau de petites lignes microscopiques, courant en pattes d'insectes sur la blancheur immaculée du papier, jusquesaux coups de crayon plus larges, plus noirs, plus pesants, simulant et les plus petites vagues moirées de clairs et d'obscurs, et la vitesse plus accentuée des courants vers Tembouchure à laquelle le dessinateur avait prêté la largeur d'un brin d'herbe. Ça, le portrait de Jacques Cartier ! m'écriai-je avec un éclat de rire incrédule. Allons donc, mais c'est le profil géographique de la rivière Lairet ! ^ 1, La rivière Lairet tire a on nom do François LmteU un des premiers habitants de Cbarlesbourg qui demeurait pïèi? de la petite Rivière» ''"'Farohst de Charleshourg^'' ouvrage de M. Tabbë Chs. Trudellej page 11. J OTVP * ^ 76 LA GRANDE HERMINE Qui VOUS soutient le contraire? Je vous dis seule- ment que le profil géographique de la rivière Lairet est l'exact profil de la figure historique de Jacques Cartier. Ça, vous y êtes ? Et comme je n y étais pas du tout Oadùs liabmt et non vident, s'écria le bon prêtre ; encore un qui regarde sans voir. Suivez-moi bien. Et, pointant, Tun après Tautre, les capricieux méan- dres de la sinueuse petite rivière Lairet Voici le béret, dit-il, et voici le front, voici le nez et voici la bouche, voici le menton et voici la barbe, tout le visage enfin ! Muet d'étonnement, pétrifié de surprise, je demeu- rais ébahi, cloué sur place, devant la stupéfiante vérité de cette découverte. Elle frapperait davantage, remarqua Laverdïère, si Ton dessinait un œil au-dessous de la tempe droite, avec nne moustache sur la bouche et quelques coups de crayon pour la barbe. Cet ensemble de sinuosités prête étonnamment bien à ce travail Tenezj comme ceci. Et Laverdière se mit à brosser fiévreusement là un œil, là une moustache, et là un buisson pour la barbe. C'était bien la même petite carte géographique, avec, au milieu, le profil de la rivière Lairet, courant à travers la blancheur du papier, comme une veine bleue sous la finesse d'une peau transparente. Et cependant, malgré le plus énergique effort de ma mémoire, ce profil géographique de la rivière m^échappaît absolument. Il venait de s effacer, de se fondre, de se perdre tout entier dans un profil humain où la sincérité des contours^ la rectitude, la vérité des lignes, l'expression saisissante de la vie particulière \ \ i Profil de la Rivière Lairet €L /^ÀiHrte fie tffr-re, \^ist'&/e\ 7natèe 6asse, où U. Profil de Jacques Cartier L -4 ;V V LA GRANDE ÏIERMmE , V7, I ^^ aux images photographiques, concouraient étonnam- f ment à donner la netteté lumineuse et le relief hardï I des campes. Eh bien ! eh bien I disait Laverdîère, avec un doux accent de voîx moqueuse, mon Carder vous paraît-il suffisamment réussi ? C'est un portrait d'après A^i^/i^r-^/ Un bon vieil auteur que je vo'js garantis classique ! Et mon spirituel causeur soulignait d'un sibncieux sourire cette boutade narquoise comme la gaieté et fine comme Fesprit de notre belle langue française. Il eût été souverainement malhonnête de contre- dire Tarcb ologue Jamais, en effet, caprice plus rare, plus gràcieiîx» plus intelligent d^ k nature ne m'avait encore été aignalé. Oui, trop intelligent pour n'être pas providentiel ! Cela me plaisait d'ail- leurs d'imaginer et de croire que la Nature, plus aveugle, mais ausdi plus artUte qu'Homère, avait eu, comme les prophètes et les plus magnifiques génies, Tintuition éclatante, le miraculeux pressentiment de la Vérité Historique. Et qu'ainsi, à mille ans d'avenir, à cette lointaine et séculaire distance de la conquête du Canada par l'Europe, la Nature avait frappé cette terre à l'effigie de son découvreur. Le merveil- leux camée ! La colossale estompe I Pièce unique d'antiquité, inestimable monnaie chiffrée d'un millé- sime centenaire comme les âges géologiques de notre ^ planète, La Numismatique retrouvera-t-elle jamais plus belle médaille commémorative ? ^ 1. lie profil géographique de k Rivifere Lniret a dfcé relevé sur Ift carte officielle du comté de Québec, publiée soua la dirac- tion du Département des Terres de la Courontte, C'est la page oti plutôt la planche No. 37, Paroisse 8t. Eot^h Nord, de T Atlas intitulé ; ** Atlas of the Citj aïid Couutj t>f Québec," from actual Burveya, based upon the Cadastral Plana depoaited in 78 LA GRANDE HERMINE Cependant, nous marchions tout le temps qu*îl ainsi. Tout à coup j aperçus, à ma gauche, un ^rand espace libre, large d*au moins vingt toises. On eût dit une route, un chemin de colonisation ouvert par un groupe de hardis pionniers dans l'épaisseur de Timmense forêt. C'était un cours d'eau qui venait se jeter dans la rivière Saint-Charles. Ce qui me frappa le plus particulièrement dans la physionomie de ce ruisseau fut l'élévation de sa rive gauche s'avançant sur la grève, et jusque dans la rivière, comme un gigantesque soc de charrue. Ses flancs rectangiilaires étaient nus et verticaux comme des pans de muraille. Evidemment, la main de rhomme avait essarté le sol à cet endroit, abattu les sous-bois, brûlé les buissons d'épine et rasé les broussailles du rivage. 1 Au sommet de l'éminence, sur le plateau même de la berge, une large trouée avait été pratiquée dans les arbres de haute futaie. Le rayon d'abatis était à ce point régulier, qu'il dessinait à travers la forêt un demi cercle parfait. Le compas européen avait dû prendre là des mesures. La coupe symétrique de ce déboisement attestait the office of the Department of Crown Lands by and ùnder the supcirviaioTi of H. W. Hopkina, civil engineer. Provincial Surveying and Pub* Co. — Walter S. MacCormac, manager, IH79. Cette référença an document original permettra aux incré- dulea àe constat er II Ut fois et la, vérité de ce profil géographique et la fidélité de sa copie 1. On apergoit encore aujourd'hui, sur la rive gauche de la petito riv"iera Lmret, k l'endroit oii elle tombe dans la rivière SL Charles, des traces viaihlea de larges fossés ou espèces de retrauchementa. Voyatje ds Jiic^ites Cartier 15^. Edition publiée par la Sociétés Littéraire et Hiatori^iue de Québec, en 1843, page LA GRANDE HERMINE 79 indéniablement la main d'œuvre, car les ouragans et les cyclones, malgré leurs, vieilles et terribles habi- tudes de travail, n'ont pas encore acquis une telle précision géométrique. Bourgade indienne ou colonie de blancs peu importait ce qu'elle fut, il y avait certainement à cet endroit une habitation d'hommes, car là-haut, sur le fond clair-obscur du ciel étoile se dessinait une palissade aiguë, faite de pieux taillés en dents de scie, un rampart véritable que les blan- cheurs de ses poutres équarries signalaient au loin, et qui couronnait l'enceinte de cette esplanade natu- relle. Avec quelques pièces d'artillerie, cette petite place forte eût facilement commandé les deux rivières, leurs alentours, et résisté victorieusement peut-être à toute la puissance du pays. J'eus la pensée que je me trouvais alors en présence du Fort Jacques Car- tier et j'allais m'en ouvrir à Laverdière quand celui-ci m'imposa silence d'un geste. Nous avions dou- blé la pointe de terre qui dérobait à nos regards l'entrée de la Rivière Lairet. 1 Le maître-ès-arts 1. Plus proche du dict Québecq y a une petite rivière la rivière St-ÔkarUs actueUe qui vient dedans les terres d'un lac distant de notre habitation celle de Québec de six à sept lieues. Je tiens que dans cette rivière qui est au Nord et un quart de Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yvema, d'autant qu'il y a encore à une lieue dans la rivière des vestiges comme d'une cheminée dont ou a trouvé le fonde- ment et apparence d'y avoir eu des fossés autour de leur loge- ment, qui estoit petit. Nous trouvâmes aussi de grandes pièces de bois escarrées équarries vermoulues et quelques trois ou quatre balles de canon. Toutes ces choses monstrent évidem- ment que ça été une habitation, laquelle a estée fondée par les Chrestiens et que ce qui me fait dire et croire que c'est Jaques Quartier c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yvemé ny basty en ces lieux que le dit Jaques Quartier au temps de ses 80 LA GRANDE HERMINE s'arrêta brusquement devant elle, lui tendît les bras avec un élan d*amour passionné, puis d'une voix claire, vibrante de joie comme Téclat d'une fanfare militaire, il s'écria " Les trois vaisseaux de Jacques Cartier ! " Parole d'honneur ! Dumas n'eût pas mieux dit Mes, Trois Mousqtietaires ! Alors je regardai tout autour de moi avec stupeur. Aussi loin que l'œil pouvait atteindre aux limites du cercle d'horizon, il n'y avait rien, absolument rien ; sur le ciel étoile pas une silhouette de mâture, au rivage blanc pas même un débris de carène enlizée dans la neige, avec ses varangues fixées à la quille, comme la gigantesque épine dorsale d'un monstre marin. Je remarquai seulement sur la glace, à la gauche de la rivière, deux constructions de charpentier parallèles au rivage, attenantes l'une à l'autre comme deux vaisseaux voyageant de conserve. C'était, appa- ramment, deux hangars, à toits aigus, sans lucarnes. Sur la toiture de l'un d'eux, au centre, il y avait une cheminée. On apercevait aussi, à l'extrémité nord de cette même couverture, un clocheton de chantier, et dans ce clocheton une petite cloche, la même peut-être que nous avions entendu sonner. Ils étaient bâtis sur la grève, étroitement adossés à cette muraille naturelle, à cet escarpement si descouvertures et falloit à mon jugement que ce lieu s'appelast Sainte Croix comme il l'avait nommé, etc., etc. Œuvres de Samuel de Champlaithy pages 156 et 167, chapitre IV, année 1608. AUTRES RÉFÉRENCES — Ferlaud Histoire du Canada— Tome 1er, page 26. Œuvres de Champlain — Edition de 1632 livre 1er, chap. II. Le Përe F. Martin — Le Përe Isaac Jogues — ch. II, page 24. -i^r^'. LA GRANDE HERMINE 81 remarquable de la berge, dont Jacques Cartier avait utilisé toute la 'valeur stratégique en la fortifiant d'un triple rang de palissades et Tisolant de la plaine par des fossés larges et profonds. 1 Immédiatement placés sous le canon du Fort ils n'avaient pas à redouter les assauts ou les surprises que les Sauvages pouvaient tenter contre les Français par les rivières. Car l'hiver, sur la glace du St-Charles ou du Lairet, le chemin était grand ouvert à l'ennemi. Ces bâtiments, construits en planches grossière- ment rabotées, avaient une physionomie rude et misérable et suintaient trop le travail crucifiant, ingrat, acharné, pour ne pas abriter sous leur toit un secret de grande et profonde épreuve. Il en est de certaines masures perdues dans la solitude comme de telles et telles figures humaines qu'il vous advient de rencontrer égarées dans la foule elles ont, quand vous les regardez bien en face, une expression si déchirante de douleur inconsolable ou de misère horrible qu'il vous en vient à la bouche un goût de larmes avec un irrésistible besoin de pleurer. J'en étais là de mes réflexions quand Charles Laverdière m'éveilla de nouveau en criant avec en- thousiasme Les Trois Vaisseaux de Jacqiies Cartier ! ! ! Iciy les caravelles, là-bas, le galion ! 1. Voyant la malice d'eux des sauvages doutant qu'ils ne songeassent aucune trahison, et venir avecque un amas de gens sur nous, le capitaine Jacques Cartier fist renforcer le Fort tout à l'entour de gros fossés, larges etparfonds, avecque porte à pont-lëvis et renfort de rangs ou pans de bois au contraire des premiers. Et fut ordonné pour le guet de la nuit, pour le temps a venir, cinquante hommes à quatre quarts, et à chacun change- ment des dits quarts les trompettes sonnantes ; ce qui fut fait selon la dite Ordonnance. Voyage de Jacques Cartier^ édition publiée, en 1843, par la Société littéraire et Historique de Québec, page 52, chapitre XII. 6 \7 /- ^*"'^???>'' 82 LA GRANDE HERMINE Et comme j 'hésitais à les reconnaître, Laverdière repartit Je parie qu'il vous faut aux yeux le corps d'un vaisseau, une mâture complète avec appareil de cordages ? Vous ne savez donc pas l'histoire de votre pays ? Très possible, monsieur le maître-ès-arts. Je ne crois pas absolument ce que je dis là, se hâta d'ajouter l'archéologue, comme pour donner un correctif à la vivacité du mot lâché. Seulement votre mémoire est ingrate. ... ou mal cultivée. Rappelez- vous que l'hiver de l'année 1535 fut, au Canada, l'un des plus rigoureux du pays, et ee, de mémoire d'homme. Le froid y fut terrible et la neige si abon- dante qu'elle dépassait de quatre pieds les gaillards des vaisseaux de Cartier. La glace de la rivière Sainte Croix mesura deux brasses d'épaisseur, les boissons gelèrent dans les futailles, et le bordage des navires, sur toute sa hauteur, était lamé d'une glace épaisse de quatre doigts. 1 Rappelez-vous encore que Jacques Cartier, une fois l'hivernage résolu, fit enlever les agrès des trois navires pour mieux les protéger contre les intem- péries de cette formidable saison de Tannée. 1. Depuis la my Novembre jusques au quinzième d*avril avons ^' été continuellement enfermés dans les glaces, lesquelles avaient '' plus de deux brasses d'épaisseur. Et dessus la terre la haul- '* leur de quatre pieds de neige et plus, tellement qu'elle estait " plus haulte que les bortz de nos navires lesquelles ont duré *' jusques au dict temps, en sorte que nos breuvages étaient tous '' geliez dedans les futailles. Et par dedans nos dicts navires *' tant de bas que de hault estait la glace contre les bortz à ^* quatre doigtz d'épaisseur. Et estait tout le dict fleuve, par *' autant que l'eaue douce en contenait jusques au dessus du dict *' Hochelaga gellé." Voyage de Jacques Cartier 1535-1536, verso des feuillets 36 et 37. Edition 1545. LA GRAKDE HERMINE 83 Cela fait qu'il est maintenant bien difficile d*aper- cevoir deux navires ensevelis dans la neige à quatre pieds au-dessous de son niveau ; — d'autant plus impossible à l'heure présente, que les charpentiers des équipages ont désarmé leurs vaisseaux, abattu jusqu'aux chouquets les huniers des mâts, abrité enfin sous ces hangars les gaillards, les ponts, les em belles 1 , les dunettes, et les châteaux de poupe, toutes les surfaces de leurs navires, pour les protéger, les conserver davantage intacts de la pluie, de la neige, de la glace, des influences désastreuses du froid sur la ferrure aussi friable à la gelée qu'une lame de verre au premier choc. Laverdière m'amena au hangar de droite—" Voici îa Nef-Générale, me dit-îl en entrant, la Grande Hermine. Oh ! quil était petit le navire des découvreurs de mon pays I Mais, en revanche, comme il était grand leur courage ! Je ne sache pas avoir mieux compris, ailleurs que devant lui, la valeur absolue du mot hardiesse et tout ce que l'héroïque témérité française peut contenir d^audaceSj de bravoures et de gloires. Cent-vingt — soixante — quarante 3 tonneaux 1* Voir Bouillet au mot ^axUi^à Dictionnaire dea Sciencee, des Tjettrçs et Arts. 2. Probablement ainsi nammée parce qu'ellô portait à aon bord le Capitmrw-Gthi^raL '' Et depuis noug être entreperdns *^ depuis le 25 Juin 15^ avons été avec la Nef geîiÉralh parla " mer de tous vents contraires jusqu'au septièreie jour de Juillet " que nous arrivaamea à la dite Terre-Neuve et priâmes terre à *' îsU'h-Oiseaiibc F^mk Idartd^ à l'est de Terre-Neuve." Cha- pitre 1er, page 27. Second Voyage de Jacques Cartier, édition de 1843— et chapitre 1er, versa du feuillet 6, édition 1545. 3* La Grande Hermine jaugeait 120 tonneaux La Petite Hermine *^* 60 do LEmériUur troupeau. Et voilà qu'un " Ange du Seigneur ae tint près d'eus et la Lumière de Dieu ** les environna de ses rayons et ils fut ont saUis d'une grande " crainte- Mais l'Ange leur dit i Ne craignez pas, je voua '* apporte la hou ne nouvelle qui sera le sujet d'une grande joie " pr>i3r vouft et pour le peuple, c'est ju' aujourd'hui» dans la *' ville de David, il voua ont xii uu Sauveur qui eat le Christ ot '* le Seigneur.'^ et énorme, regardée comme à travers la lentille 104 LA GRANDE HERMINE d'un télescope- Le caractère distînctîf de la livrée, la gentillesse des profils, sveltes et gracieux, les doigts triangulaires du pied me le firent de prime abord classer dans cette grande fanlille ornîthologique. Mats je repris vite mon opinion aux remarques recti- fiantes de Tarchéologue. " Ainsi, me disait-il, en manière de correctif, le bec, de Tallouette, droit comme une épée, est démesurément long chez cet oiseau-ci, et de plus se recourbe comme un sabre, à la pointe. Les grandes jambes de Toiseau, à tarses effilés et grêles trahissent évidemment évidemment pour Laverdière, car je n'ai pas l'honneur d'être omo- thologiste trahissent évidemment la patte caracté- ristique de l'échassier. C'est un courlis, me dit Tarchéologue, un courlieu, pour parler le vieux français du seizième siècle. Aussi, cette voili^re, marquée à Teffigie de cet oiseau, appartient-elle à la Petite Hermine. Vous savez, n'est-ce pas^ que le nom de Courlieu fut changé en celui de la Petite Hermine, précisément à l'occasion du second voyage de Jacques Cartier ? N'empêche que la caravelle porte à toutes ses voiles et à la légende de son château de poupe la symbolique image de son premier nom. ^ Cette singularité ne vous fait-elle pas songer à Taventure heureuse d'une belle jeune fille, une prin- cesse du pays des fées, réalisant son rêve dans un mariage aussi brillant qu'imprévu, et qui emporterait dans la précipitation du départ, avec son royal trous- seau de noces, sa garde-robe marquée aux seules initiales de son nom de damoiselle ? 1, La Feîiîe Htrmity^ portait auparavant avant 1535 le nom de Cmwlitn^ cbatigé pour ce voyage celui de 1535. Ferland Tome 1er, page 21. ^"^r^^l^,^ LA GRANDE HERMINE ' 105 Laverdîère attira une dernière fois mon attention sur la misaine de XEmérillon^ balafrée comme un * visage de vétéran, comptant, celle-là, plus de cou- tures que celui-ci de cicatrices et de lézardes, une voile toute grise de vieillesse. Elle portait, au coin de récoute, le dessin d'un petit oiseau exécuté à Tencre comme ceux de l'hermine et du courlis. Seulement l'image en était si pâlie, si efifacée par l'usure de la toile, la pluie, le gros temps, le frotte- ment des mains, qu'elle n'était lisible que pour des yeux très vifs et très exercés. L'oiseau, dépeint à sa grosseur naturelle, était de la taille d'un merle ou d'un geai bleu. Le dessinateur l'avait représenté au repos, perché sur une branche. Ce petit oiseau, me dit Laverdière, est le faucoh- épervier des naturalistes. Il appartient à la famille des oiseaux de proie. Il se nomme émérillon, en langue vulgaire, et la galiote l'a pris et accepté pour symbole. Un juste emblème du caractère français, ce petit fauve gai, vif, hardi, étourdi presqu'autant Ce fut à ce moment que j'aperçus, à la gauche de l'autel, une petite crédence attifée de linge blanc, de fleurs artificielles, et de lampions, alignés par alter- nance de couleurs verte et rouge, devant un vieux tableau représentant la Vierge tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. C'était une peinture ancienne, une très ancienne peinture sur bois, que les fissures du chêne, les griffades du temps, les stries innombrables de la matière colorante, avaient gâchée affreusement et de façon irréparable. C'était évidemment un pan- neau de stalle, ou bien encore, une boiserie de pilastre conservée comme relique-souvenir de quelque église 106 LA GRANDE HERMINE centenaire de Bretagne, encore plus ruinée de vieil- lesse que tombée sous les pioches des démolisseurs. L'église existe encore, me dît Laverdière, lequel,- suivant sa louable habitude s'amusait à m'écouter penser, cette boiserie vient du sanctuaire de Notre- Dame de Roquemado, 1 Roquemado ? Oui, Roquemado, en Bretagne, aujourd'hui Roc- Amadour, ^ était, au temps de Jacques Cartier, comme encore de nos jours, un lieu de pèlerinage célèbre. li jouîssaïtj par toute la France, d'une renoni- mée extraordinaire, et les miracles qui s'y opéraient 1- ** Notre cappitiiïne voyant la pitié et maladie ainsi esmeue ** fîst mettre le monde en prières et oraisons et feist porter ung ** y mage en remembrance de la Vierge Marie contre un arbre '* distant de nostre fort d'un traict d'arc le travers des neiges et " glaces. Et ordonna que le dimanche ensuyvant Ton dirait au ** dict lieu la messe. Et que tous ceux qui pourroient cheminer ^^ tant sains que mali^des yroient à la procession chantant les " sept paaumefl de Da\dd avec la litanie en priant la dite Vierge " qu'il luy pleut prier mn cher Enfant qu'il eust pitié de nous. ** La mease dicte et célébrée devant le dict ymage, se feist le ** cappitatne pfelerin a Notre Dame de Roquemado promettant " y aller si Dieu luy dormait grâce de retourner en France." *' Voyage de Jacques CaHier 1636-36, îeuûletSô. Edition 1545." Roquemady ou Roquauiadou. " Ou pour mieux dire Boque " Amaâou^ c'est-à-dire, des Amans. C'est un bourg en Querci, ** o4 il y a força pMerins/' Lescarbot. 2. K, ï. dL^ RoQiTTSMADO pnur Rocamadourle rocàSt-Anoadour, bouTïï de France Lot sur l'Alzon, à 25 kil. N. E. de Gourdon, chef il eu d'arrondissement à 3ii kil. N. de Cahors. Rocamadour est adofisé à des rocher» à pîc. 1,600 habitants. Ruines d'une abbaye, qui, selon la tradition, contient les reliques de S. Ama- dour et but de pèlerinage ; antique église où l'on conserve, dit- on, la fameuse Durandal, épée du paladin Roland. . Bûuillet, Dictiie, et la vie était la lumière " des hotnnies^ et la lumière luit dans les ténèbres j rf " les ténèbres ne t ont point comprise, , . , Ça^ dites-moi, vous qui aimez T Histoire du Canada, ces paroles ne vous rappellent-elles pas quelque chose ? Et Laverdlère, me parlant ainsi, avait un beau et grand sourire aux lèvres. A ma grande confusion il me fallut hélas ! avouer que ce beau latin-ià , . , ^. ne me rappelait rien. Alors lui, avec Te m phase doctorale d un profes- seur d'université dictant un cours à ses élèves " Voyage de Jacques Cartier, s'écria- t-il, expédi- ditlon de 1535— recto du feuillet vingt-sixième de la relation " Nostre cappitaine voyant la pitié et foy de ce " dict peuple d^Hochelaga dist TEvangile Saint '' Jehan, savoir Vin principio, faisant le signe de la *' croix sur les pauvres malades, priant Dieu qu*il " donnast cognaîssance de nostre saincte foy et " grâce de recouvrer chrestien té et baptême. Puis le " dict cappitaine print prit une paire d'heures " et tout hauttement leut de mot à mot la Passion " de Nostre Sei^eur. Sy que de telle sorte qtie tous " les assistants le peurent ouyr ou tout ce pauvre '* peuple feirent un grand silence et feurent merveil- '* leusement bien entend ibl es attentif s^ Cet extrait du manuscrit original de Jacques Cartier, Charles Laverdièrc le récitait si bien que je croyais le voir collationner et suivre à la page de 8 114 LA GRANDE HERMINE J*édîtîon rarissime le mot à mot de la dictée aussi bizarre que l'orthographe. Et coupant brusquement, en pleine phrase, la cita- tion commencée, Laverdière passa droit au commen- taire, sans transitions aucunes, de la voix du gram- mairien à la fougue d'un orateur mis en verve par quelque apostrophe victorieusement ripostée des hauteurs de la tribune. Cortéreal,Verrazzano,Cabot, Pizarre,Cortez, Magel- lan, Alvarez de Cabrai, Vasco de Gama, Americus Vespuce, n'ont pas eu la pensée grandiose de Jac- ques Cartier. A l'encontre de ses rivaux illustres en gloire humaine, découvreurs comme lui de continents, fondateurs de républiques ou d'empires, le navigateur français estima qu'il valait mieux chercher tout d'abord le chemin du ciel avant que de trouver la route de la Chine. Et tandis que l'Espagne, le Portugal, l'Angle- terre se disputaient à prix d'or, à coups de canons et à courses de voiles les primeures et la primauté des terres neuves d'Amérique, Jacques Cartier, pre- nant possession du Canada au nom de Jésus-Christ, lisait, en guise de proclamation royale, la Passion du Sauveur du Monde, croyant, en son âme et conscience, ne pas trahir son maître temporel en reconnaissant à Dieu la domination première, absolue, l'empire éternel d'un pays plus grand que l'Europe. Il ne venait pas, il est vrai, apprendre aux natu- rels farouches de ce sauvage pays l'art infernal des traiteurs^ l'amour maudit de l'argent, mais il appor- tait, à rencontre de la rapacité portugaise, l'abnéga- tion évangélique ; en retour du féroce esclavage espagnol, l'incomparable liberté chrétienne; et opposait^ au lucre ignoble du commerce européen de l'époque, l'apostolat, généreux dans tous les temps, des mis- I LA GRANDE HERMINE 115 sîonnaîres catholiques. Il apportait enfin la grande^ rînestîmable nouvelle de TEvangile, pour laquelle seule la Providence avait permis, avait voulu la découverte du Nouveau Monde, Cette première entrevue de Jacques Cartier avec l'homme indigène de TAmérique du Nord révèle étonnamment le souci, Tanxiété crucifiante du Découvreur pour le salut des âmes, intérêt dégagé de toute arrière pensée de gains ou de conquêtes. Ainsi, devant la population sauvage toute entière réunie de la bourgade d*Hochelaga, ^ Jacques Car- tier ne parle-t-îl que de Dieu seul. Il ne dit rien de lui-même, ni qui il est, ni d'où il vient, ni où î! va, ni qui l'envoie. S'il lui advient de parler de son maître, il dit invariablement Jésus-Christ. Et l'au- torité de François 1er n'en sera pas amoindrie plus tard. Nomme-t^il son pays, il ne dit pas la France, mais la Terre, parce que la Terre, pour l'Evangile qu'il proclame, ne constitue qu'un seul et même pays. Cette solennelle rencontre de la race blanche et de la race cuivrée, aux bords du St. Laurent, fait naturelle- ment penser à l'aventure d'un sauveteur qui repê- cherait en haute mer un naufragé sur une épave. Avant que de le secourir il n'ira pas lui demander son nom, pas plus que le misérable lui demandera le sien pour embarquer à son bord. Quelque chose presse davantage la vie. As-tu faim } Meurs-tu de soif 1 Depuis quand ? Et si l'abandonné n'est pas encore descendu à la dernière phase de l'agonie, s'il peut manger et s'il peut boire, victoire ! il est sauvé ! f En vérité l'allégorie en est par trop saisissante. 1. Cette entrevue de Jacques-Cartier avec les sauvages du royaxvïïie d^Hochelaqa eut lieu le 3 Octobre 1535. ^'.^^T^m^^' 116 LA GRANDE HERMINE Ouï, le Peau-Rouge du Canada, Tanthropophage adorateur d'idoles, avait grand' faim, avait grand* soif de connaître le vrai Dieu. Au commencement, dans h principt, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu, En Lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Quelle aurore ! quel soleil ievés tout- à-coup sur ce pays où la nuit païenne .avait été longue, si longue que pendant quinze siècles complets toutes ses générations d'hommes étaient demeurées assises à Tombre de la Mort ! A la fois Jacques Cartier lui apprend l'origine de la Vérité, Torigine de la Lumière, l'origine du Temps, pour que plus tard le cathécumène puisse saisir davantage la formidable valeur du mot éternel. Ah ! qui donc inspirait Jacques Cartier dans le choix excellent de cet évangile merveilleusement approprié à la personne, à l'époque et à la circons- tance de cette rencontre mémorable ? Nul autre que ^Celuï qui parlait autrefois à Moïse dans la voix du Buisson Ardent, Celui même qui était, bien avant sa mission dans la Judée, la Sagesse de ses Patriarches et la Science de ses Prophètes, Celui même qui demeure TEsprit Saint des Apôtres dans l'Eglise. Jacques Cartier, cet homme qui n'était après tout qu'un marin, apparaît soudainement transfiguré, revêtu de toute la majesté d'un sacerdoce. Si bien que les aumôniers de l'équipage, ne sont plus, dans la solennité de cet événement capital que les ombres pâlies, les figuras éteintes, les personnages effacés d'un ministère suprême que Jacques Cartier seul exerce ! Coïncidence providentielle I à soixante-treize ans de distance, il se trouvera un homme pour repren- dre et poursuivre la grande et fière tradition du capi- LA GRANDE HERMINE 117 taîne Malouîn sur la préséance de Tautorîté chré- tienne. Samuel de Champlaîn, le fondateur de la première ville du Canada, Thistorique cité de Québec, avait coutume de dire " qtie le salut d'une âme valait " mieux que la conquête d'un empire et que les rois ne " doivent songer à étendre leur domination dans les *^ pays infidèles qu>e pour y faire régner Jésus- Christ A ' N'est-ce pas que le Père œ la Nouvelle-France con- tinuait à la fois le rôle et la mission de son Décou- vreur ? Ce fut sur cette réflexion consolante que je quit- tai avec Laverdière le bord de la nef-générale " Grande Hermine. " 1. Hubert Larue Histoire Populaire du Janada, page 50. Et le Përe Marquette, l'iminortel explorateur du Mississipi, ne trouvait-il pas dans l'âme baptisée d'un petit enfant une récom- pense surabondante à ses travaux apostoliques ? C'est lui qui, revenant des sombres forêts où il avait découvert le Père des Eaux, écrivait dans sa relation ** Quand tout le voyage n'aurait valu que le salut d'une âme, '* j'estimerais toutes mes peines bien récompensées, et c'est ce *' que j'ay sujet de présumer, car lorsque je retournai nous ** passâmes par les Illinois, je fus trois jours à leur publier les " mystères de notre foy dans toutes leurs cabanes, après quoy, *' comme nous nous embarquions, on m'apporta au bord de l'eau " un enfant moribond que je baptisay un peu avant qu'il '* mourût par une providence admirable pour le salut de cette ** âme innocente." I . CHAPITRE TROISIÈME LA PETITE HERMINE, Nous traversâmes l'espace qui séparait le Courliiti de la Grande Hermine^ puîs, après avoir soigneuse- ment refermé sur nous Técoutille de la Petite Her- mine, nous entrâmes dans la chambre de ses batteries. Je me crus transporté dans une salle d'hôpital, tant le spectacle qui m'y attendait me parut être la photographie saisissante des infirmeries plaintives et des dortoirs sans sommeil de THôtel-Dieu. Trois lampes d'habitacle suspendues par des chaînettes aux baux de la caravelle éclairaient mal cette chambre de batterie où des grabats remplaçaient les canons. 1 Les volets blancs des sabords, soigneusement fermés et calfeutrés d'étouppe contre le froid du dehors et les courants d'air, simulaient à se méprendre, dans le vaigrage du vaisseau, les petites fenêtres percéss dans "une muraille d'hospice. Sur les deux côtés de la cara- velle, la tête au flanc du navire, étaient rangés des lits, 1. Pendant l'abâence de Jacques Cartier à Hochelaga, un retranchement avait été élevé autour des navires et armé de pièces de canon, de maniëre à être aisément défendu contre toutes les forces du pays. Cette précaution était dictée par une sage prévoyance, car, pendant l'hiver, il s'éleva quel^ir-'^v^-^.ri;.'/^ ^>" IfiS LA PETITE HERMINE Ecoute encore. Après la messe, à la sortie, une querelle terrible, une prise de bec épouvantable entre le père et Pierres Soubeyrol,* à propos d'un bout de chandelle que le susdit Pierres lui avait, parait-il, volé à l'église, en se prosternant sur le fanal du père, à \ Elévation. Oh ! la bonne farce ! Toutes les histoires des grand'pères, des grand'- grand'pères. et des arrière grand 'grand'pères ressas- sées en plein vent, des mauvaises paroles, grosses comme la tête, des éclats de rire qui sonnaient fort comme djes trompettes. Tous les gamins de la foule accourus faisaient un beau grand rond autour de nos deux querelleurs. Da-oui ! Ton se serait cru à la foire devant les saltimbanques qui se désos- sent ou les bouviers de Roc-Amadour qui se battent. Il fallut voler un cierge pour rallumer la lan- terne. Maître Genhic fit le coup. C'était un bon apôtre et Ton n'est pas acolyte pour rien. A tous les recoins de la rue une bourrasque endiablée souf- flait le lumignon. Fallait rallumer, c'est-à-dire, battre le briquet. Et tandis que je courais m'accroupir le long d'un mur, sous un porche, avec le damné fanal, Hérault, le galant le plus éveillé de St-Brieuc, parlait à mon amoureuse avec un sourire. . . .et des yeux ! Terr-i-ben ! comme je le regardais. Je n'entendais pas un traître mot, ce qui ne m'empêchait pas de tout comprendre, et le sang de me siffler aux oreilles. Je battais le briquet avec rage .... sur la tête du fanal Le vieil Yvon criait Prends donc garde, ça cent ans ! Les polissons du quartier n'en visaient pas moins la relique, et l'attrapaient, da-oui ! Mon brave homme de père cachait alors le bijou sous son manteau ce qui nous procurait le double avan- tage de marcher à l'aveugle et de recevoir les boules de neige sur la tête. LA PETITE HERMINE 129 Finalement, un maître coup ; les vitres qui cassent, le briquet qui s'égare, au fond de mes poches, le père qui se trompe de porte, et toute notre bande joyeuse qui, entre chez vous, Anthoine, prendre le réveillon, O la bonne farce ! Da-oui ! En a-t-il fallu ipanger de vieilles salaisons pour changer, comme cela, un aussi bon sang en scorbut ! Et tandis que la gaieté de cette pensée gauloise s'effaçait dans Tesprît d*Yvon LeGal avec le sourire furtif de ses lèvres malades, le Breton regardait fixement la flamme de la bougie, comme si la vision présente de ces choses lointaines se fut jouée, avec un vol silencieux de phalène, dans le rayonnement de sa lumière. LeGal ajouta d'une voix grave Il y a de cela dix ans ! Que le temps passe vite ! Voilà neuf ans que tu es missionnaire et voilà sept ans que je suis marin. Les bessonnes ont quitté la maison Taînée en Picardie, la cadette en Lorraine, mariées toutes deux à des paysans qui n'ont pas sous les yeux. Dieu merci, en labourant leurs champs, le spectacle dangereux de la Mer. Le petit Genhic, Tenfant de chœur de St. Brieuc, est soldat. Moi, je me suis amusé à courir les grèves de Bretagne, à voir partir les grands vaisseaux, à me demander où ils allaient quand on les regardait à l'horizon disparaître. Tu sais où cela m'a mené } Des quatre enfants que nous étions à la maison paternelle, pas un cette nuit avec la vieille mère ! Il y a bien ma femme, l'amoureuse de 1725, la même en dépit de Mérault, de Mérault qui n'a pas eu Simonne, et puis ta sainte mère à toi ; mais des femme» ensemble, c'est encore pis, ça s'encourage à 130 - LA PETITE HERMINE pleurer. Elles doivent être à cette heure à la mai- son, ou bien peut-être à Téglise, récitant leur cha- pelet, le visage à l'Océan ; car, sans injustice, elles doivent penser davantage à ceux d'entre nous qui sommes les plus perdus. Douze cents lieues des terres de France, dis donc Anthoine, c'est trop loin, même pour un exil ! Comme le bon Dieu a soufflé sur nous avec colère ! Il n 7 a pas de feuilles mortes plus dispersées que les nôtres, et dans les arbres de cette sauvage forêt canadienne il n'y à pas de nids plus vides que le duB-nous de St. Brieuc ! Pauvre père Yvon ! Quand il passa dans son cer- cueil le seuil de notre porte, nous nous en allions dans îa rue^ la mère, les sœurs, Genhic et moi, titu- bant de douleur comme des gens ivres, criant de cha- grin, inconsolables, désespérés et nous disant les uns aux autres qu'il n'y aurait jamais à la maison de pire départ que celui-là. Et voilà qu'il advient que le père est aujourd'hui celui qui nous a le moins quit- tés ! Il n'est parti que pour se rendre au bout de la rue Du Guesclin, sa promenade ordinaire. Seule- ment, il n'est pas encore revenu. Il n'en est pas moins à St. Bneuc pour tout cela. Comme les bons vieillards, il s'attarde à l'église ; il est si bien, là, sous son banc, à dix pas du lutrin, en pleine nef de cathé- drale. Il assiste en ce moment avec les autres, à la messe de minuit, et le bon Dieu lui permet sans doute de s'éveiller un peu pour entendre chanter, encore une petite fols, les vieux noëls de la Bretagne. Pauvre père Yvon ! lui si ponctuel, si exact, si régulier, comme il doit être heureux de se voir mis là. Le voici bien, cette fois, rendu le premier à l'église, et pour longtemps. Avec cela, plus de fanal à allumerp plus de raffales à craindre de la part de * LA PETITE HERMINE 131 cet ér^crable nord -ou est qui souffle en tempête, plus de chamaîllis avec Pierres Soubeyrol ; le bout de chandelle brûlé jusqu'aux bobèches, la lanterne éteinte maintenant» et pour toujours. Yvon Le Gai eut le sourire forcé d'un homme quï plaisante à contre-cœun Tu sais, dit*il brusquement à Dom Anthoine, tu sais, je Tai vu ! L'aumônier le regarda ébahi.— Tu Tas vu ? maïs qui donc ? Lut l le père, le mien, Yvon Le Gai Fancîen, J'ai cru d'abord que c'était un infirmier avec sa veilleuse qui passait comme toi dans la chambre des battmes ; mai? quand j'aperçus les petites vitres, les lozanges du fanaK je me suis dit; c*est le vieux \ Il n'y avait que lui qui en eut un pareil dans tout St Brieuc. Qu'il était bien lui-même avec son costume de pêche, son chapeau en toile goudronnée» sa vareuse bleue, ilottant à grands plis dans le dos, comme une voile qui claque au vent, ses grandes bottes de cabotage, hautes jusqu'à la cuisse, en cuir rouge comme la vase dans les chemins de Vannes après la pluie. Il s'en allait paisible, faisant courir silencieu- sèment la lumière de la lanterne sur chaque visage endormi. Il identifiait les gars de Bretagne un par un et les nommait à un interlocuteur invisible ; Louys Douayrer^ pays de Brest ; Pierres Nyel. l'insulaire de Boëdic ; Michel Eon, de Lorient ; Guillaume de Guernezé ; puis les quatre Jelmn du bord de la Grande Hcrinine Jt^ian Go^ un pays de Quîberon \ le charpentier Je^ian Aîsmery, de Vannes ; Jehan M aryen, de Nantes ; et Jeluin Jacques, Morbihen, Da-^oui ï il savait bien sa côte de Bretagne! Rien d'étonnant, il Tavait encore plus courue qu^apprise. -1>"^' 132 hA PETITE HERMINE Il reconnut ensuite le premier gars de St. Brieuc, Colas Barbe, de la rue du Gouët ; puis, à la suite, Bertrand Samboste, de la rue du Guesclin. Samboste est mon voisin de lit. C'était à moi le tour. Terr-i-ben ! Je crus que ça serait une chose terrible que de m^entendre nommer par un mort Il n*en fut rien toutefois. Le père me dit simple- ment, lentement, tendrement, avec une expression navrée de désespoir qui acheva de me fondre le cœur -dans la poitrine Comme tu es loin, Yvon ! comme tu es loin ! Il ajouta Ta mère, celle d'Anthoine, Isabelle ta femme, sont à la cathédrale, dans la nef. Elles, se souviennent, elles, prient ! Le père dit encore Il ne faut pas que tu m'oublies ! Tu sais, là-bas, la mer était mauvaise, provocante, irascible. Elle crevait méchamment nos pauvres petits bateaux sur les récifs. Cela gâtait le cœur, il devenait haineux. Encore, si elle s'était contentée de prendre la barque ! Mais emporter le matelot et ne pas rendre le cadavre ! Alors la plainte du rivage se changeait en blasphème et toutes les chaumières criaient avec lui " Malé- diction ! " Le spectre cessa tout-à-coup de parler, comme s'il eût eu peur d'être entendu. Puis se penchant sur moi, avec des yeux hagards, et la voix craintive d'un forçat qui complote, il me dit dans un râle Là-bas! Yvon, là-bas, mon enfant, toute colère s'expie ! Et le père levait la main dans ne direction, sur un point, qu'il n'osait pas même regarder. Aussitôt, je me rappelai les missionnaires prê- chant les retraites à St. Malo, à Brest, à Nantes, LA PETITE HERMINE 133 à Rouen, et qui comparaient toujours Téternîté à un rivage, la vie humaine à un brouillard épais, la Mort à un pilote guidant, à l'insu de Téquipage, la marche du navire, et l'amenant fatalement au but. Alors je me souvins qu'un soir, à St. Brieuc, dans la cathé- drale noire de têtes, le frère-prêcheur disait qu'il y avait, en vue du ciel, il appelait cela \ entrée duport^ pour les ' caboteurs qu'il y avait, en vue du ciel, un lazaret sévère où tous les navires, grands et petits, devaient faire escale, quelques fussent les chiffres du tonnage, le nom de l'amiral ou l'orgueil du pavillon. Au sortir de l'église personne ne demandait ce que le missionnaire avait voulu faire entendre par ce vulgaire et terrible mot de lazaret. 1 Chacun s'en allait tête basse, comptant les morts dans sa famille et se disait, en regardant la lumière rougeâtre des chaumières échelonnées là haut sur les falaises de Bretagne les feux du Purgatoire ! Ce que je te dis maintenant est long à écouter ; cela prendrait, sans doute, beaucoup de pages dans un livre ; n'empêche que tout cela passa dans ma mémoire avec la rapidité de l'éclair. Le vieux était toujours là, au chevet du lit, muet, impassible, attendant ma réponse, — une réponse qu'il ne me demandait plus maintenant que par une épouvantable fixité des yeux. 1. Ce fut Barnabo, seigneur de Milan, qui le premier enjoignit de purifier avec le plus grand soin tout ce qui proviendrait des pestiférés, auxquels il interdit, sous peine de mort, l'entrée de \A Lombardie. 1383. Les Vénitiens, pour concilier l'intérêt de leur commerce dans le Levant avec les précautions commandées par le soin de la sauté publique, bâtirent dans l'île de St-Lazare des auberges de quarantaine que l'on appela lazoâ-ets^ de 1423 à 1468. Bescherelle, au mot ** Quarantaine," .'P"t»5VW h 134 LA PETITE HERMINE Aussi moi, je demeurais cloué suc mon grabat, silencieux, stupide, m'assèchant la gorge à me rap- peler quelques mots d*excuse banale, et ne trouvant ^ que du creux au fond de mon cerveau vide, et de ma mémoire paralysée. - Alors le spectre s^éloigna, marchant à reculons jusqu'à réchelle d'écoutîUe, qu'il remonta lentement, lentement, comme s'il eût voulu me donnfer encore le temps de le rappeler, de lui crier enfin " Père, j'ai souvenir, je prie !" ^ Soudain le fantôme réapparut sur l'escalier, leva la lanterne à la hauteur de son visage et demeura I immobile, comme une statue. Je poussai un cri horrible. Imagine que les chairs ^ de la face venaient de tomber en poussière et que, sous le chapeau de cuir luisant, une tête de mort, j; xblanche, hideuse, un crâne grimaçant me regardait i sans dévier ! l Je me suis éveillé à mon propre cri. L'as-tu en- tendu Anthoine ? Il a dû être épouvantable. p Non, répondit l'aumônier. C'est possible, repartit Yvon LeGal, car, le plus souvent, les cris que l'on jette en songe ne sortent pas ^ de la bouche et ne résonnent que dans la poitrine. \ C'est un mauvais rêve, tout de même, remarqua le k prêtre. Je l'avoue, Anthoine, c'est un cauchemar effrayant ; mais j'aimerais encore mieux être endormi. ?. Pourquoi ? demanda l'aumônier. Le rêve, vois-tu, le rêve, nous n'avons plus que lui ; maintenant pour retourner en France. Un rêve ! mais je donnerais toutes les flottes du royaume pour les deux ailes d'un rêve ! Dom Anthoine sourit. — Yvon, dit-il, tu as la '; fièvre ; je vais appeler l'apothicaire. LA PETITE HERMINE 135 LeGal haussa les épaules avec dédain — Françoys Guitault ? rhomme à la tisane ! ricana-t-il. C'était bien la peine assurément de trainer une pharmacie jusqu'à ce chien de Canada ! Un gradué de TUnî- versité de Montpellier, un docteur ès-sciences qui s*en va chez des moricauds, des Algonquins, de sales sau- vages plus barbouillés que des volets d'auberge, ap- prendre à infuser des écorces, à échauder des épi- nettes blanches ! 1 Da-oui ! elles valent quelque chose les pilules, les fioles et les emplâtres du sieur Guitault Faudra remporter ça . . au retour ! Au retour ! Ah ! la sotte escapade ! la sinistre farce ! On part, un beau matin, tout d'un coup, en fou qu'on est, sans même savoir où l'on va. Puis arrivé si Ton arrive ? Ton sait encore moins le pourquoi de l'arrivée et le comment du retour» Cette bêtise là, cette colossale équippée, ça s'appelle la Gloire. > . .avant de partir. L'interprète Domagaya avait lui-même ëtë atteint du acorbut AU point de ne pouvoir marcher. Il se guérit en employant, comme remëde, les feuilles et Técorce d'un arbre qu'il dëaigna, €et arbre, nommé anedÛAi parles sauvacres, était vraisemblable- ment répinette blanche. Le traitement indiqué fut essayé avec succès ; et les guérisons furent si rapides et ai complètes^ que tous ceux qui voulurent s'en servir furent sur pied \^n huit jours. Ferland Histoire du Canada^ Tome 1er, page 35. La tisane de T Algonquin fit merveille, et sa vogue égala son succès. A preuve, ce passage de la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier le capitaine fit faire du breuvage pour faire boira ^a- malades, desquelz n'y avait nul d'eulz qui voulustesKayerlediet breuvage, synon un ou deux qui se misrent en advonture d*icel- lui assayer. Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent Tadvantage qui se trouva être un vray et évident miracle. Car de toutes maladies de quoy ils étaient entachez, après en avoir beu deux ou trois foys, recouvrèrent santé et guarison. Après ce avoir veu et congneu y a eu telle presse la dicte médecine ,.^^^.^-,^ -T^J^F.^-iy^v-. ;••- 7^ r^v-; -^_ ^rrr^.^^-.^^. ^ ^f^t^^^Tf^^^^^SI^Jf^f^^ ' ' 136 LA PETITE HERMINE Quand il m'arrive de songer à cette exécrable aventure, mon sang fermente, non pas de fièvre ou de délire comme tu penses, mais de colère, oui, d'une rage blanche, féroce, aveugle, qui voudrait avoir une mâchoire de tigre pour mcrdre sans lâcher dans quelqu'un ou dans quelque chose. Ah ! que sommes- nous donc venus faire en ce maudit pays, sur cette terre de Caïn 1 ? Le sais-tu toi, Anthoine ? Yvon Le Gai fermait les poings en criant cela ; telle était son exaspération qu'il ne s'apercevait pas que sa bouche malade, fatiguée à cet excès de paroles, saignait par tous ses ulcères. Dom Anthoine le regarda avec un œil froid, tran- chant, aiguisé comme une lame de scalpel. Puis il dit Oui, LeGal, je le sais, moi ; car maintement je me rappelle qu'en cette nuit même Jésus-Christ, Notre Seigneur, a voulu naitre sur la • terre pour y venh*. Tu as raison, LeGal, ce n'était vraiment pas la peine que on si voulait tuer à qui premier en aurait. De sorte que un arbre aussi gros et aussi grand que chesne q^i soit en France a esté employé en six jours ; lequel a faict telle opération, que si tous les médecins de Louvain et de Montpellier y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ils n'en eussent pas tant faict en ung an, que le dit arbre a faict en six jours. Car il nous a tellement profité, que tous ceux qui en on vouUu user ont recouvert santé et guarison, la grâce à Dieu- Vayage de Jacques Cartier^ 1536-36 — Ch. XV, édition 1545. 1. Voici ce qu'écrivait Jacques Cartier explorant la côte du Labrador ^^ Si la terre correspondoit à la bonté des ports ce seroit un grand bien, mais on ne doit pas l'appeler terre ; ains- mais plutôt cailloux, et rochers sauvages, et lieux propres aux bêtes farouches d'autant qu'en toute la terre devers le Nord, je n'y vis pas tant de terre qu'il en pourroit tenir dans un benneau et là toutefois je descendis en plusieurs lieux ; et en risle de Blanc Sablon n'y a autre chose que mousse et petites épines et buissons ça et là séchez et demi-morts. Et, en somme, je pense que cette terre est celle que Dieu donna à Caïn. Premier Voyage de Jacques Cdrtier 1534, ch. 8, pages 5 et 6* LA PETITE HERMINE 137 r de naviguer sî longtemps pour annoncer à des Sauvages une nouvelle qu'il aurait fallu apprendre, avant le départ de St. Malo, aux marins d'une flotte française, à des catholiques de .la Basse-Bretagne ! Cette pensée-là, vois-tu, excuse ceux qui partent sans savoir où ils vont, les console lorsqu'ils n'arri- vent pas au terme, leur fait voir le retour différable et de peu d'importance le but une fois atteint. C'est la raison du missionnaire. Èst-elle bonne celle-là ? Tn es encore meilleur qu'elle, s'écria Yvon LeGal avec chaleur. C'était une âme grande et belle, un franc et noble cœur que cet Yvon LeGal, oubliant, devant la splendeur de l'idée, la morsure sarcastique des mots et jusqu'à l'aigreur de la voix railleuse. Que veux-tu, ajouta le marin, c'est la famille qui nous gâte ; ça nous rend égoïstes. Au fond, c'est tout ce que l'on aime, rien que cela ; d'autre part, c'est tout ce qui peut nous aimer le mieux. Ah ! le chez- nous ! le ckez-noji^ ! ! il faut encore plus de courage pour le quitter que pour le défendre ! Malo ! Malo ! ! 1 bien parlé, camarade, crièrent en même temps plusieurs voix, ça nous fait comme cela nous autres ! Cette exclamation me fit tressaillir. Et j'aperçus, à la droite, à la gauche, en face d'Yvon LeGal dix à douze frères de caravelle, couchés sur leurs grabats, les coudes dans les oreillers, écoutant le causeur avec des bouches grandes ouvertes. Ce trait de phy- sionomie en disait long sur l'intérêt vivace du récit. Les yeux brillaient autant de curiosité que de peur, et 1. McXo ! Maloli cri breton répondant à Texclamation fran- çaise Vive ! Vive l ! 138 LA PETITE HERMINE c*était amusant de voir étinceler ces prunelles tout à l'heure éteintes, en apparence, sous des paupières lourdes closes. L'incomparable somnifuge qu'une histoire de revenant ! Yvon Le Gai regarda ses auditeurs avec ravisse- ment tous des Bretons ! dit-il. C'en était parbleu ! et de bonne marque Georget Mabnie, de Ploërmel ; Jullien Plantirnet, de Lander- tieau ; Lucas Clavier, de Lorient ; Jehan Ravy, de Tréguier ; Michel Andiepvre, de Quiberon ; Pierres Coupeaulx, de Dol ; Jacques Poinsault, de Quim- perlé ; Michel Phelipot, de Rennes ; Jehan Coumyn, de St. Pol de Léon ; Richard Le Bay, de St Cast. Alors Yvon Le Gai se leva Debout^ les gars ! commanda-t-il. C'est aujour- d'hui la grande et joyeuse fête du Christ, le jour anniversaire de sa naissance. Au nom de la vieille Armorîque, je propose trois Noëls en son honneur ! Ça, mes gabiers, crions si fort qu'on nous entende jusqu'en Bretagne ! Cette explosion de joie éveilla tout le dortoir, jus- qu'à Bertrand Samboste, ronfleur incomparable, qui s*étira paresseusement en baillant de tous ses mem- bres. " Dame ! qu'il dit, c'est comme cela, vous autres ; vous laissez dormir les amis quand on parle de là bas ! Ce n'est pas généreux. Eh ! bonjour St. Pol, bonjour Tréguier, bonjour Landerneau ! Quelle bonne nouvelle ? Ceux que Bertrand Samboste saluait ainsi de leurs noms de village n'étaient autres que Jehan Coumyn, Jehan Ravy et Jullien Plantirnet. — Tréguier, Landerneau, St. Pol de Léon sont trois bons voi- sins de hameaux, assis depuis mille ans sur les grèves LA PETITE HERMINE 139 septentrionales de la Bretagne; et qui ne se fatiguent pas encore du grand spectacle de la Mer. Bertrand Samboste répéta Quelle nouvelle ? Une grande et bonne nouvelle, répondit Dom Anthoine, Je vous apprends la Naissance du Christ, venu cette nuit même sur la terre pour y souffrir encore plus que vous. Bertrand Samboste leva sur Taumônier un regard froid, silencieux^ puis il porta la main à sa bouche malade et dit avec un, sourire triste Cela n'est pas possible, messire aumônier, cela n'est pas possible ! Tous les vçisins de Bertrand Samboste penchèrent la tête en signe d'assentiment, et ces désespérés de la douleur répétèrent à Tunissoh le mot amer du timonier " Messire aumônier, cela n'est pas possible ! Alors le missionnaire répondait Vous êtes couchés dans un cadre, et II dormait dans une crèche, sur la paille d'une étable. Vous vous plaignez ? A Bethléem II ne s'est pas même gardé une place dans l'hôtellerie et II vous a paternellement ménagé la vôtre, à douze cents lieues de la patrie, sur ce navire^ que sa Providence a sauvé de la Mer et du Feu. Les délicats, continuait le prêtre avec un accent de raillerie douce, les délicats ! les douillets ! ! ils se plaignent du bon Dieu qui a établi leur maison dans un caravelle vice-royale portant à la corne de son mat d'artimon le plus beau des drapeaux de la terre ! Durant que l'aumônier parlait de la sorte, Ber- trand Samboste, assis sur son séant, regardait avec inquiétude à tous les coins et recoins de la chambre rn 140 LA PETITE HERMINE des batteries — Dom Anthoine s'en aperçut le pre- mier. Que cherchez vous, dit-il ? Sambostc répondit Terr-i-ben ! Vous me faîtes peur ! Qui ? Moi ? Non pas, messire aumônier, mais votre surplis, votre étole, ia toilette de Philippe ! Quelqu'un de nous autres va-t-il encore s'en aller ? Ah ! le chemin, le chemin de Rougemont ! Vous avez le cerveau hanté, mon excellent amî, dit le prêtre. Je n'apporte à personne les derniers sacrements. J'attends seulement delà Grâijfe//>r/;2zW le signal de V Elévation de la messe pour réciter avec vous tous les Prières de la Nativité. Cette réponse ne m'expliquait pas cependant ce que Samboste avait voulu dire par la toilette de Philippe, Quel était ce pauvre Philippe dont il parlait si mélancoliquement ? Et le chemin de Rouge- mont, où menait-il ? Un horrible 'soupçon me tra- versa l'esprit et j'eus, tout de suite, le pressentiment sinistre d'une plus sinistre vérité. Cette route incon- nue devait courir droit au cimetière, et \^ pauvre Philippe ne devait être autre chpse que le cadavre d'un matelot jeté à la mer par un sabord, cette porte basse de l'éternité pour les marins surpris en route. J'allais interroger mon guide à ce propos, quand une détonation formidable ébranla l'atmosphère. Le canon ! dit Taumônier, Y Elévation de la messe I A vos rangs matelots ! En effet Tartillerie du Fort Jacques Cartier tirait LA PETITE HERMINE 141 une salve d'honneur. 1 L'éclair des pièces et le fracas de la poudre ébranlaient à ce point le navire que Ton aurait parié que la batterie manœuvrait sur le pont de la Petite Hermine, Alors il se passa une scène incomparable de gran- deur. Tous les invalides du bord se levèrent de leurs cadres et vinrent se ranger en ordre de^ parade au milieu du vaisseau, formant, avec leurs quatre lignes, un parallélogramme parfait. Dom Anthoine entra dans le fcarré, et, le visage dans la direction de la Grande Hermine^ récita d'une voix grave et douce les belles prières de la Nativité. Puis il entonna, et avec lui toute l'infirmerie poursuivit, la prose célèbre de la fête de Noël Votiè Pater annuit, Justum pluunt sidéra Salvatorem genuit, Intacta puerpera Homo Deu8 nascitur. Tuj lumem de lumine, Ante solem funderis ; Tu^ numen de numiney Ab seterno gigneris, Patri par progenies. Tantua es ! et superisy Qux te prœmit caritas ! Sedibus deiaberis Ut surgaJt infirmitas^ Infirmus humijaces. L Je n'ai fait suivre à l'équipi^e de Jacques Cartier qu'un vieil usage passe à l'ëtat de traditionnelle coutume de la Nou- velle-France aux fêtes de Noël. Les extraits suivants du Jour- nal des Jésuites le prouvent surabondamment " M, le Gouverneur avait donne ordre de tirer à l'élévation 142 LA PETITE HERMINE J^étaîs Stupéfait du courage de toutes ces bouches malades chantant avec un irrésistible élan dé ferveur cette vieille hymne de la Foi Catholique. Les braves gens ! m'écriai- je, comme ce qu'ils chantent est beau ! Laverdière eut un éclat de rire sarcastique, et me dît En vérité, monsieur, vous avez l'attention vive. Je vous en félicite ! Ce latin-là, voici trente ans qu'on vous le donne ^u lutrin de la Cathédrale. Le para- doxe a raison, en toilette comme en musique *^Rien de neuf comme le vieux!' Il ajoute presque aus- sitôt, avec un accent de deux reproche " Ah ! mon ami, si vous écoutiez au lieu d! entendre ! Oui, si vous écoutiez attentivement chanter la Liturgie Catholique dans les vieilles églises du Bas-Canada ! Quelles grandes épopées, quels héroïques poèmes racontent ses hymnes saintes, et comme leurs strophes alter- nantes récitent avec un art merveilleux les pages les mieux écrites de l'histoire du pays ! Ça, avouez-le moi, en bonne sincérité, vous est-il possibleden'êtrepasémujusqu'auxlarmeslorsque,dans unegravecérémoniereligieuse,onchanteàQuébec,sous les voûtes centenaires de Notre-Dame, l'invocation solennelle et magistrale du Ve7ii Creator Spiritus ? Elle me causait à moi, sur la terre, un attendrisse- ment indicible. Ce n'est plus Toreille, mais le cœur qui écoute, qui vibre à l'unisson des voix et de l'orgue. ** de la messe de minuit plusieurs coups de canon lorsque notre '* F. sacristain en donnerait le signal mais il s'en oublia t ainsy '* on ne tira point." Journal des Jésuites, p^ge 21. 25 Décembre 1645. ** On tira cinq coups de canon à l'élévation de la messe de ** minuit." Journal des Jésxdtes, page 74. 25 Décembre 1646. ** Le Fort tira cinq coups au Te Deuwi de la messe de minuit." Journal des Jésuites, page 97. 25 Décembre 1647. / V'7WX\ LA PETITE HERMINE 143 Vent Creator Spiritus ! c'est lui que chantaient les trois équipages de Jacques Cartier, dans l'église ca- thédrale de St Malo, le i6 mai 1535, un jour de Pentecôte ! Comme 1* Esprit-Saint a bien répondu à l'appel, et que son souffle se reconnaît à la brise favo- rable qui s'éleva sur la Mer, semblable au bruit du vent que les apôtres entendirent ! Vent Creator Spirittis ! Samuel de Champlain, à Québec, 1 LaViolet^e, à Trois-Rivières, 2 p^tul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, à Montréal, 3 Pont chanté tour à tour ; et après eux, le Collège des Jésuites, aux ordinations de ses prêtres et à ses con- cours de philosophie. ^ Veni Creator Spiritus ! c'est lui que chantait Laval au Séminaire des Missions Etrangères, et c'est encore lui que répètent, dans la chapelle séculaire de sa maison, les prêtres-profes- seurs de son Université. Veni Creator Spiritus ! c'est lui que chantaient, aux avant-postes de la civilisation chrétienne, ces pionniers incomparables de l'Evan- gile, les Jésuites missionnaires au pays des Hurons, dans leurs bourgades célèbres de Ste. Marie, St. 1. 3 Juillet 1608. Fondation de Québec. 2. 4 Juillet 1634. Fondation de Trois-Rivières. 3. 18 Mai 1642. Fondation de Montréal. 4. Le 2 Juillet 1666 furent soutenues, au Collège des Jésuites, les premières thèses publiques sur la philosophie en présence de messieurs De Tracy, de Courcelles et Talon. ** Le 2 Juillet 1666 les premières disputes de Philosophie se •' font dans la Congrégation avec succez. Toutes les puissances " s'y trouvent ; M. l'Intendant entr'autres y a argumenté très •* bien. Mons. Louis JoUiet et Pierre de FranchevSle y ont très ** bien répondu de toute la Logique." *' Le 15 Juillet 1667, Amador Martin et Pierre de Franche- *' ville soutiennent de toute la Philosophie avec honneur et en '• bonne compagnie." Le Journal des Jésuites, pages 345 et 355. Ferland Histoire du Canada, Tome II, page 63. ^^^^^'•^f^ 144 l-A PETITE HERMINE José pli, Sfc. Louis, St Jean -Baptiste, St Michel. Feni Creator S pi ri tus ! c'est lui que chantaient ces hardis expéditionnaires du lac Gannentaha, la plus héroïque aventure de l'apostolat catholique au pays des Iro- quois, la course la plus téméraire, la plus divinement insensée à cette nr^ission flottante que la Relation, et après elle l'Histoire du Canada, nommèrent avec tant de justesse la Mission des Martyrs. Veni Creator Spiritm / les trois pouvoirs civils de la Nouvelle France, le militaire, la magistrature, le gouvernement administratif, le chantaient aux séances solennelles du Conseil Supérieur à Québec, et à l'arrivée des nouveaux vice-rois. Fondations de villes, fondations de paroisses, fondations de collèges, fondations d'institutions poli- tiques, toutes ont prospéré, toutes sont demeurées debout, fortes, vivantes^ progressives, exubérantes de sève et d'avenir. Le village est devenu cité, la mission s'est faîte paroisse, le collège, université, la Colonie, puissance, oui Puissance du Canada. Et le chant immortel de la vieille hymne catholique se continue. Voix ferventes des choristes, poésie des strophes, beautés de l'harmonie, rien ne change, tout demeure, comme la Vérité dont il est le pre- mier écho. Veni Creator Spiritus ! Et, se grisant à l'enthousiasme de son propre langage, Laverdîère élevait la voix, comme s'il eût adressé la parole à quelque immense auditoire, grandissait sa petite taille, et déclamait arec une chaleur de gestes égale au feu sacré qui le brûlait comme une Sybille. Aussi, écouté à travers le bruit de cette voix dominante, le chant de la Petite Hermine me sem- LA PETITE HERMINE ï^ blait-il un accompagnement d'orchestre soutenant un récitatif d'opéra. Lesscorbutiquescliantaient toujours; Cœlum mi regia^ Stabnlum non requis ; Qui donas ivipeTia^ Sermformam induis Sic teris superbia^m.. , Vous me trouvez prolixe, continuait Laverdière mis en verve par la musique, vous me jugez bavard^ intarissable. Que voulez^vous l je siiis comme les anciens, j'aime à parler, à m'appuyer sur mes idées favorites, comme ceux-là, quand ils mar- chent, sur les épaules solides ou le bras vigoureux de leurs enfants. Mes souvenirs, voCà mes meil- leurs bâtons de vieillesse 1 Je vous ai donné tout à Theure le développement historique, Tamplification littéraire des idées reli- gieuses et nationales que m'inspire la prière du Vent Créa for chantée dans nos églises. A vous mainte- nant, cher ami, de répéter Texpérience, de la repren- dre sur d'autres hymnes liturgiques, avec le Te Dettmy par exemple, un beau sujet, facile et tout exubérant d*tmagination. Je vous le donne allons, marchez ! Et, comme s'il se fût douté que je n^en ferais rien, il poursuivit avec cet accent d'enthousiasme qui lui était familier " Rappelez-vous le TV Dmmi chanté, à St-Malo, au retour de la célèbre expédition de Tannée 1535, par l'équipage de Jacques Cartier, pour remercier la Providence de la découverte du Canada ; le Te Deum chanté à Québec, par Samuel de Cham- plain, le 23 mai 1633, pour rendre grâce à Dieu de la recouvrance du pays ; le Te Deum, chanté, cel u i -1 à^d an s tou tes 1 es églis es d e 1 a colon [e,e n mém oi r e 10 ï 146 LA PETITE HERMINE de rhéroïque triomphe de Dollard des Ormeaux sur les féroces Iroquoîs ; plus tard, le Te Deum chanté, à Notre Dame de Québec, à la nouvelle de la découverte du Mîssissîpi ; le Ti^i?^/^w chanté, par Louis Hennepîn, au lancement du Griffon sur la rivière Niagara ; puis les Te Deum militaires, portant, comme des drapeaux de régiments, le chiffre de leurs glorieux millésimes 1690, 171 1, 1*758 ; celui de Frontenac, à Notre Dame de Québec, avec le pavillon-amiral de Sir William Phîps suspendu coAime trophée à la voûte sonore ; celui de Vaudreuil, à la chapelle de Notre Dame des Victoires, pour remercier Dieu d'avoir prévenu par une catastrophe effroyable la flotte de Tamiral Walker, et sauvé le Canada d'une conquête certaine ; celui de Montcalm enfin, chanté comme à Bouvines, par les aumôniers de l'armée canadienne- française, en plein champ de bataille, sous le rempart de Carillon ! Ce Te Deum est sans conteste la plus brillante de toutes ces répétitions d'actions de grâces. Que son éclat cependant ne vous fasse pas oublier le le Deum que Marie de l'Incarnation récitait avec ses religieuses, à genoux sur la neige, dans la nuit du 30 décembre 1650, pour remercier Dieu. , , . de r incendie de leur couvent. N'est-ce pas que devant une pareille grandeur d'âme la Providence dut elle- même trouver son épreuve petite } Rappelez- vous encore cet autre Te Deum que les Jésuites chantaient à la chapelle de leur séminaire chaque fois que Ton apportait au Collège la bonne nouvelle qu'un père missionnaire avait été assassiné au pays des Hurons, ou bien encore, martyrisé dans les terri- bles bourgades iroquoises. Bonnes nouvelles \ comme il leur en est venues t-^ LA PETITE HERMINE 147 en dix ans ! Ce .fut d'abord celle du Pire Jogues*; presque aussitôt celle du Père Daniel Un an plus tard il en vint deux à Ja fois, les deux meilleures souvenez- vous des morts glorieuses de Jean de Bré- beuf et de Gabriel Lalemant. Puis, à leur tour, les meurtres de Charles Garnier,de Chabanel, de Buteux, de Léonard Garreau. Tant et tant, qu*à la fin, la population de la petite ville de Québec en était arrivée à pleurer moins au carillon des cloches sonnant un glas qu'à la voix des Jésuites chantant un Te Deum ! Le maître-ès-arts me dit encore Ecoute !^ — * Mais Laverdière ne parla plus. L'infirmerie seule continuaient d'une voix plaintive et lente Nohis uUro similem, Teprssbes in omnibus ; Debilibus debilem, Mortalem mortalibus ; His trahis nos vinculis. Cum œgriè confunderisj Morbi labem nesciens ; • Pro peccatis pateris^ Peccatum nonfaciens Hoc uno dissimilis. Quelles paroles ! s'écria le maître-ès-arts ! En savez-vous de plus intimes, de plus attachantes, de plus attendries ? En seraient-ils de mieux appro- priées au divin caractère de cette fête et à la situa- tion désespérée de ces infirmes qui chantent avec des bouches souffrantes l'allégresse anniversaire de la Grande Délivrance ? Etudiez cette hymne de Noël en elle-même la mélodie de son thème et l'adorable simplicité de son récit semblent faites, comme les joies d'Andromaque, ^dpgt^r^ 14S LA PETITE HERMINE de sourires et de larmes. Cette musîque inspirée traduit tout à la fois et le bonheur extatique de TEpouse du Christ, pleurant de joie devant la beauté ëternellc de son Bien-Aimé, et Tamertume inconso- lable de la Mère du Christ, sanglotant de tristesse devant la pauvreté volontaire, l'indigence absolue du Dieu fait Homme. Tel est mon sentiment artistique à son égard, et je vous le donne pour ce qu'il vaut. Mais le charme divin de cette mélopée grégorienne se cen- *tuple pour moi, s'idéalise, quand, au lieu de lui prôter Toreille sévère du critique musical, il m'arrivé et cela très souvent de l'écouter avec ma seule mémoire reconnaissante de prêtre-historien. Comme ils chantent alors dans mon âme ravie, les noëls captifs, les noëls d'exil, les noëls douloureux de la patrie absente — 25 Décembre 1629 — 25 Décembre 1630—25 Décembre 163 i — Alors je me souviens de Guillaume Couillard, d'Abraham Martin, de Guil- laume Huboust 1 , de Pierre Desportes, de Nicolas Pivert, 2 réunis avec leurs familles dans la chapelle déserte de notre Vieux Château St Louis, et récitant à chaudes larmes la prière du matin. 3 Connaissez- K Guillaume Huboust épousa la veuve de notre premier jiaj^san Louis Hébert, mort le 27 Janvier 1627, à la suite d'un accident. Di^'ionriaire Généalogique de l'abbé Tanguay. 2, Les cinq seuls paysans français demeurés au Canada après bt prise de Québec par les Kertk. 3. ^* Le 13 Juillet 1632, Québec fut remis entre les mains *^ d'Emery de Caën et du Sieur DuPIbssis Bochart et le même ** jour, leiï Atigjjàis firent voile sur deux navires de chargés ""' pellctoriea et de marchandises. Il y avait déjà près de trçis ** aus qu^ils s'étaient emparés du Canada. Les Français restés " tlaua le p^iys avaient trouvé ce temps bien long aussi furent- ** ila remplifl de joie, lorsqu'à la place du pavillon anglais ils LA PETITE HERMINE 149 VOUS spectacle plus navrant que cet autel sans prêtre et cette communion des fidèles sans hostie ? 1 Cela ne rappelle-t-il pas le déjeuner d'un Premier l'An où des orphelins regardent à travers leurs sanglots les chaises vacantes de la table familiale, attendant en vain cette bénédiction maternelle que seule donnera maintenant à leur foyer l'invisible main de la Provi- dence ? Mais la Providence, poursuivit le maîtrc-ès-arts avec un renouveau de chaleur éloquente, mais la Pro- vidence ne se laissa pas vaincre en générosité. Sa récompense dépassa l'épreuve de si haut qu^elle faillit tuer de joie ces stoïques paysans qui avaient eu l'immense courage de croire en elle jusqu'à la fin ï La récompense ! demandez ce qu'elle fut à ces femmes et à ces enfants de laboureurs à genoux sur la petite grève de la Basse-Ville ; demandez ce qu'elle fut à ces habitants héroïques, à ces robustes patriotes, qui criaient, pleuraient, riaient, tout à la fois, au spectacle de trois grands navires portant à leurs cornes d'artimon le drapeau blanc d'Henri IV, le vieux pavillon des anciens marins de la Bretagne, *' virent flotter le drapeau blanc. Leur satisfaction f\it coni- '* plëte quand ils purent assister au saint sacrilice de l.'i meaae ** qui fut célébrée dans la demeure de Louis Hébert. Depuis le *' départ de Champlain 24 Juillet 1629 ils avaient été privés ** de ce bonheur." Ferland Histoire du Canada, Toni I, page 252. 1. Une sinistre prière du matin est celle que le Chevalier de Lorimier récita lui-même dans la chapelle de hi prison de Mont- réal le jour de son exécution. ** Aussitôt que sa toiletta! fut ** terminée De Lorimier sortit du cachot, et s'îKlressant à tous *' les prisonniers leur demanda de dire en comniun la prière du *' matin. Ce fut lui-même qui la fit d'une voix haute, feruie, et ** bien accentuée." L. O. David ** Les patriotes de 1837-88.'' page 24J5, 'v;^.'^ 150 LA PETITE HERMINE de Roberval, le petit roi de Vimeux, 1 de Pontgravé, le marchand'corsaire, 2 de Jacques Cartier, le hardi capitaine Découvreur ! Les trois grands navires se nommaient le Saint- Pierrey le Saint-Jean, le Don de Dieu, Ils portaient la fortune d'un homme plus heureux que César, et qui rentrait en possession de toute sa conquête, une conquête supérieure à celle des Gaules, un pays plus vaste que sa République, une terre plus large que la frontière du vieil Empire Romain. ^ Le Saint-Pierre ! le Saint- Jean \\\^ Donde Dieu ! ! ! Dites-moi, quel prophète eût mieux trouvé les allé- goriques légendes de ces trois vaisseaux ? Pierre ! Tapôtre de la Foi. Quel homme plus que Champlain avait eu cette foi absolue d'une absolue Providence, lui qui estimait le salut d'une âme préférable à la conquête d'un empire } Jean ! l'apôtre de l'amour. Quel homme plus que Samuel Champlain avait 1, François de la Roque, sieur de Roberval, que François 1er appelait ly " Feiit Roi de Vimeux^^ à cause du crédit illi- mité d^^nt ce gentilhomme jouissait dans sa province. Ferland Histoire du Canada, Tome 1er, page 38. 2, *' Poïitgravé, dit Emile Souvestre, était un de ces naviga- '"^ tours moitié -marchands, moitié-corsaires, qui, lorsqu'on les * ^ hêlrùt sur r Océan, arboraient le pavillon de leur maison de com- " morco, criaient *' Malouin " et passaient sous la protection de " leur courage.'* 3, L'éteiidue àa Canada est évaluée à 3,610,257 milles carrés C'est la plus grandes des possessions britanniques. L'Angleterre et l'Irlande réunies n'ont que 121,115 milles carrés d'étendue, de sorte que le Canada est trente fois plus grand que le Royaume-Uni. L'^^tendue de TEurope entière n'est que de 3,751,002 milles carrés j et par conséquent, il ne s'en manque que de 145,745 milles carrés que le Canada à lui seul soit aussi grand que toute l'Eu- rope, La surface du monde entier est évaluée par les géographes à 52,611^004 milles carrés, et par conséquent le Canada, à lui seul, forme un quatorzième de l'étendue du monde entier. i..;2 LA PETITE HEKMTNE 151 aimé le Canada Français, cette colonie née de lui, de son cœur et de son âme, plus étroîtement encore que sa famille, les enfants de son propre sang, lui que l'Histoire appellera jusqu'à la fin du Teirps Père û€ la Nouvelle France f Le Don de Dieu \ Après le Paradis, en connaissez-vous un plus magni- que sur la terre que , celui de la patrie recou- vrée ? ^ Ici le maître-ès-arts cessa de parler, moins encore pour me permettre de répondre à ses questions rapides, que pour reprendre haleine. Ce dont il me parut avoir grand et urgent besoin. L'infirmerie de la caravelle achevait la Prose de Noëlj et disait Amen à la belle et sainte aspiration du dernier verset i hijus igné cœlituSf Caritas acccnditur^ Ades ahne Spiritus ; Qui pro nrthi^ Tiascititr^ Da Jcsum diligere. Je vous le confesse à ma honte, ajouta Laver- dière^ en manière de péroraison, je vous le confesse à ma honte, ces réminiscences historiques me hantent obstinément la mémoire, même à l'église. Je m'y arrête complaisamment, au lieu de bien prier Que voulez'vous, ces hymnes magistrales du Venî Creator^ 1. Samuel ûq Chiimplain avait fait vœu à la Très Sainte Yiergti, s'il recouvrait jamais le Canada à la France, de lui hâfir nne égliae- Ce fut en accomplieflem^int de ce vœu autant qu'on mémoire de cette faveur ïnostimable que le Pfere de la Nouvelle France ^leva, sur le site actuel de notre Basilique, une église âoua le Tocablc caractéristique de Notre-Dame de Eêùvuvrancû. 152 LA PETITE HERMINE du Te Deuntj du Vexilla Régis prodeunt, 1 de \Ave Maris Stella^ du Pange lingiui gloriosi m'entraînent irrésistiblement à la suite des glorieux cortèges qui marchent à leur rhythme. Le bon Dieu m'a par- donné ces fautes de recueillement,'ces défaillances de Tesprit, ces distractions mondaines, car toutes ces escapades de mon imagination fatiguée d'études, se fondaient en un sentiment intense d'amour recon- naissant, de gratitude exaltée pour cet étendard du Monarqtce Eternel déployé, ponr ce mystère de la croix éclatant aux yeux de l'univers, et qui valait à mon pays, à cette adorée terre du Canada catholique et français d'inestimables bienfaits, et un honneur immortel ! Tout-à-coup Guillaume Le Marié, le maître du CourlieUy apparut sur l'escalier d'honneur de la cara- velle. Il revenait de la Gravide Hermine, Il entra précipitamment dans le carré formé par l'équipage et dit " A la gloire de Dieu ! à l'honneur de la Petite 1. Le chant du Vexilla Begis se rattache à deux événements historiques également fameux et de circonstance presque iden- tique. Le premier — 14 Juin 1671 — fut la prise de possession par Daumont de Saint Lusson, au nom du Roi de France Louis XIY, du lac Huron, du lac Supérieur, de la Grande Ile du Manitoulin et de toutes les terres découvertes et à découvrir entre les mers du Nord, de l'Ouest et du Sud. Le second— 9 Avril 1682 — fut la prise de possession de la Louisiane, par René Robert Cavelier, Sieur de la Salle, au nom du même Roi de France, Louis XIV. Le chant du Vexilla Begis Prodeunt rappelle encore les tortures du Père Poncet captif chez les Iroquois '* J'offris mon *^ sang et mes souffrances pour la paix, regardant ce petit " sacrifice la perte d'un doigt d'un œil doux, d'un visage *' serein et d'un cœur ferme, chantant le Vexilla et je me '* souviens que je réiteray deux ou trois fois le couplet ou la LA PETITE HERMINE 153 HerminCy en ma qualité de maistre de la nef^ je demande deux trompettes pour répondre sur le pont aux sonneries du vaisseau-amiral.'* L'on entendait en effet en ce moment, au dehors, deux clairons chanter la diane 1. Guillaume Le Marié n'avait pas achevé sa phrase que dix hommes sortirent des rangs et coururent au vaigrage de tribord où deux bugles étaient sus* pendus à leurs glands de soie verte. C'était une véritable curiosité pour l'œil que le spectacle de tous ces bras tendus vers les trompettes de cuivre. Un ** strophe Impleta s^mt qiiœ concinit, David fiddi carminé^ *' dicendo yiationihus, regnavit a ligno Deiis." Relations des Jésuites^ année 1653, ch. IV, pago 12* Le chant du Patige li^igua gloriosi rappelle une égale triateHae, peut-être même un plus long courage ** Mon cher amy, ** Je n'ay plus presque de doigts, ainsi ne vous eatonni^z pas '* si j'écris si mal. J'ay bien souffert depuis ma prise ; mais j'^ty " bien prié Dieu aussi. Nous sommes trois François hy qui fi\ ona ** été tourmentés ensemble, et nous nous estions accordez, que ** pendant que l'on tourmenteroit l'un des trois, les deux autres ** prieroient Dieu pour luy, ce que nous faisions touji^urs ; et *' nous nous estions accordez aussi que pendant que les deux *' prieroient Dieu, celuy qui seroit tourmenté chanteroit les ** Litanies de la Sainte Vierge, ou bien VAve MarU BUlhiy ou *' bien le Fange Ihigtia, ce qui se faisoit. Il est vrai que nos ** Iroquois s'en moquoient, et faisoient de grandes huées, quAVid ** ils nous entendoient ainsi chanter ; mais cela ne nous envpes- *' choient pas de le faire." Lettre d'un Français captif à un sien ami des Trois- Rkiières. Relations des Jésidtes^ 1661, page 35. 1. A ceux qui m'accuseraient de faire de la haut..^ fantaisie en donnant des trompettes aux matelots de Jacques Cartier je réponds de la manière suivante " Ce fait la distribution des cadeaux aux sauvages d' Hoche - ** laga, hommes, femmes et enfants le dit cappitaine com- ** manda sonner les trompettes et autres instrums^its de mu^iqite^ ** desquels le dit peuple fust fort réjoui." Voyage de Jacgiies CaHier. 1535-36, verso du feuilet 26, édition 1545, Aussi référer à la note de la page 81, Chapitre Deuxième de ce livre La Grande HermÂne. 154 LA PETITE HERMINE instant les deux clairons disparurent dans ce fouillis de mains insatiables. Puis deux hommes se préci- pitèrent sur le pont par l'échelle d'écoutille. Les vainqueurs de cette lutte chevaleresque, les bravî de cet ht^roïque tournoi se nommaient Yvon LeGal et Bertrand Samboste, les deux gars de St-Brieuc. A vos ran^s ! commanda le maistre de nef. L'équipage ou plutôt les invalides reformèrent le carré. Presque aussitôt une fanfare éclatante joua sur le pont C'était une musique étrange, triste comme le der- nier appeldu corde Roland,fantastique autant que IVîw/- lali du Féroce Chasseur passant à la vitesse d'un galop infernal dans les ballades de Burger. Mais toutes les nuances de cette sonnerie martiale se fondaient en un seul caractère harmonique pour l'équipage de la Petite Hermine l'orgueil de la caravelle ! Et ce sentiment unique du fier honneur relevait spontané- ment la tête à ces hardis marins de Bretagne et de Normandie. Les bugles avaient à peine sonné les dernières me- sures de la diane, que tout à coup, un détonnant vivat partit du bord de la Grande Hermine, C'étaient les gaillards de la nef-générale qui acclamaient leurs frères d'armes et d'aventure, les invalides du Cour lien. Perjou! 1 il ne fallait pas qu'une aussi grande et haute clameur allât s'éteindre sans réponse dans les ténébreuses profondeurs de la solitude. Au mépris de la discipline, malgré la voix terrible du maître de la nef qui le rappelait à la consigne, l'équi- page en délire brisa les rangs, courut à l'écoutille et 1, pÊr 'jQu^ abréviation de Fer Jovem, c'est-à-dire par Jupiter [ LA PETITE HERMINE 155 s'engouffra dans son carré avec la violence d'une foule prise de terreur panique et qui s'écrase aux portes. En un clin d'œil, les matelots envahirent le pont avec un bruit de paquet de mer qui tombe d 'aplomb ^ emportant, comme un fétu, les bois et les ferrures des bastingages. Et tandis que les matelots de la flottille échan- geaient là haut, au-dessus de nos têtes, des Noéh 1 interminables, je m'approchai avec Laverdière d'Y von LeGal et de Bertrand Samboste, les héroïques trom- pettes redescendus à la chambre des batteries. Ils 'offraient un spectacle lamentable. Toutes les plaies de la bouche s'étaient rouvertes ! Qu'importe ! ils leur avaient fameusement joué la diane ! Allons toi, dit tout à coup Ivon LeGal, où donc as-tu pris ce courage ? L'autre, confidentiel, se rapprocha du ^camarade. Tu sais il parlait tout bas, tu sais, la nuit est calme, l'atmosphère sonore et le vent souffle de l'ouest ! Je me suis dit un son que la brise emportemit dans cette direction vers l'est arriverait, , . , Bertrand Samboste n'acheva pas. Arrête, lui cria LeGal, pas avant moi. Alors ces deux hommes se rencontrèrent du regard — un regard aveuglé de larmes — puis ils marchèrent précipitamment l'un sur l'autre, se saisirent aux mains, comme des lutteurs qui s'éprouvent, dans une étreinte formidable qui leur broya les doigts et fit craquer toutes leurs phalanges. Un instant ils demeu- rèrent immobiles, comme les personnages d'une œuvre statuaire, puis leurs voix sourdes d^émotion 1. Noél ! le cri do joie du Moyen-Age. 156 LA PETITE HERMINE dirent ensemble En France ! En France ! Si, là -bas, on nous avait entendus ! Alors je m'expliquai leur courage ! Que lewr importait, après tout, à ces croyants de Tamour natal, les principes ou les utopies de la physi- que ? L'illusion des âmes ferventes supplée à toute science, et, mieux qu'elle, console et fortifie. Coquin va ! bégayait Bertrand Samboste, en riant mal, tu Us dans les yeux ! Da-oui ! répondait Yvon LeGal, par les yeux dans le ci^ur. Et, silencieusement, les deux compagnons mari- niers 5*embras3èrent ! Croyez-moi, disait Laverdière, m'entraînant loin du bord de la Petite Hermine, croyez-moi, compa- triote, le mal du pays en tuera plus ici que le mal de terre ^. Et, m'en allant, je songeais avec un amer senti- ment de tristesse et de sourde colère à tous ces cœurs 1, Mal de Urre ancien nom du scorbut. — *' L'hivernage de Caïtier à Sainte- Croix 1535-36 est surtout remarquable par la maliidie qui décima ses hommes. C'était une espèce de scorbut appelé plus tard mal de terre mais que l'on pourrait qualifier plus proprement de maî de mer, parce que, selon toute évidence, il provenait des vieilles salaisons que portaient les vaisseaux. Pour n'iivoir pas su se nourrir de viandes fraîches que pouvait produire la chasse, les marins perdirent vingt-cinq ou trente hoiuïiies des leurs, ceux-là même qui probablement manquent à la liste que nous possédons, car les trois équipages s'élevaient à cent dix hommes. Les autres malades furent guéris par les sauvages qui leur firent boire à cette effet une décoction d'épi- nette blanche," Benjanim Suite Histoire des Canadietis- Français, Tome 1er, page 13. L'épidémio du scorbut fut encore plus violente en Acadie, dans rhiver de Tannée 1604 et 1605 '* M, de Monta passa environ un mois à faire avec Champlain LA PETITE HERMINE 157 magnanimes qui battent dans la poitrine des hum- bles, des petits, dés obscurs de ce monde, et dont r Histoire ne s'occupe pas ; à ces manœuvres de toutes les besognes, paysans, soldats, marins, héros anonymes que nulles fanfares ne saluent, que nulles acclama- tions n'accompagnent, qui rentrent, au sortir de leurs homériques' aventures, dans les ténèbres de la vie quotidienne comme des figurants s'effacent dans les coulisses à la fin du Drame, eux, les acteurs princi- paux, eux, les premiers rôles ! Et je me demandais, avec angoisse, si l'injustice resterait irréparable, si de pareils dévouements, de telles abnégations ne se trahiraient pas un jour, et ne vaudraient pas à leurs auteurs l'éclat de cette vaine gloire, passagère comme son nom, fausse comme son lustre la reconnaissance humaine ! '* l'exploration des côtes de la presqu'île et de la baie Française " Fundy et vint enfin fixer sa colonie à l'entrée de la Riviëre ** des Etchemins ou Sainte-Croix sur une petite île qui fut " aussi nommée île de Sainte-Croix. Cette île, n'ayant qu'une *' demi-lieue de circuit, fut bientôt défrichée, on eut même le " temps de commencer des jardinages à la terre ferme. Mais '* l'hiver venu on se trouva sans eau et sans bois, et comme on " fut bien^tôt réduit aux viandes salées, le scorbut se mit dans " la nouvelle colonie et enleva trente-six personnes jusqu'au •' printemps." Laverdière Histoire du Canada, page 21. CHAPITRE QUATRIÈME L'ÉMÉRILLON. Je me rappellerai longtemps la sensation de bien- être indicible qui me pénétra tout entier à la sortie de la caravelle. Contre l'atmosphère horrible de cette infirmerie improvisée, les émanations pestilentielles, les miasmes nauséabonds, l'haleine infecte de toutes ces bouches putrides, mes poumons aspiraient main- tenant avec délices le plein air vif et pur d'une nuit d'hiver splendide, au cœur de la forêt immobile, debout comme une silencieuse sentinelle au pied du promotoire où dormait, dans son aire, la royale bourgade de Stadaconé ; au cœur de cette forêt primitive, sauvage, impénétrable, que des milliards d*étoiles, aperçues par les à-jours d'un fouillis de branches colossales, semblaient poudrer d'un givre étincelant. Ce plein air froid et sec, une voluptueuse caresse pour les lèvres, vaporisait la respiration et mettait à la bouche comme une fumée de cigarette. Le silence absolu de cette immense forêt faisait penser au recueillement des âmes contemplatives. Les senteurs résineuses de conifères énormes, pins, sapins, mélèzes et cèdres, continuaient cette compa- raison religieuse en mon esprit ; car, au parfum de ces grands arbres, 1 je croyais reconnaître cet encéfts 1. " Les arbrea y e&toyent trèa beaux et de grande odeur." Voyage de Jacques Cartier j 1534, page 41, ^^ Nou^noinmasmes le dicb lieu Sainte Oraix parce que le dicb , r 160 L*EMÉRILLON d'agréable odetir que l'Ecriture Sainte voit monter au ciel, comme un nuage, avec la prière de l'âme. Muet et sublime hommage d'une grandiose Nature seule à connaître Dieu dans un pays peuplé d'hommes créés à son image et seule à l'annoncer par l'incom- parable beauté de son spectacle. La nuit est délicieuse, me dit Laverdière, et il n'est pas tard à peine deux heures du matin. Si nous allions voir le Fort Jacques Cartier } Cela prend une minute à s'y rendre et autant à le regarder, car il est tout petit. Allons, en route ! C'était un grossier rempart fait d'une suite de troncs d'arbres, chênes, pins, merisiers, droits comme des fûts de colonnes, aussi solidement enfoncés dans la terre qu'étroitement serrés les uns contre les autres, et reliés ensemble par de fortes attaches. Ces pieux, aiguisés de la tête, rappelaient aux yeux les clôtures de vergers toutes hérissées de longs clous et de fiches aiguës, précautions menaçantes et narquoises s'il en fut jamais, désespoir du braconnage et de la maraude. Des couleuvrines, des caronades, disposées à inter- valles égaux sur toute la circonférence de la palis- sade, allongeaient le cou au dessus du parapet du rampart comme autant de chiens de garde, de boule- dogues en arrêt, flairant le vent et l'ennemi com- mun, le sauvage. Vous savez, me disait Laverdière, qu'en l'absence '* jour nous y arrivâmes embouchure de la rivière Sfc. Charles. ** Auprès d'iceluy lieu y a un peuple dont est seigneur Donnacona " et y est sa demeurance qui se nomme Stadaconé qui est aussi '* bonne terre qu'il soit possible de voir et bien fructiferente, " pleine de fort beaulx arbres de la nature et sorte de France, " comme chesnes, ormes, noyers, yfs, cèdres, vignes, aubéspines ** qui portent le fruit aussi gros que prunes de Damas et autres *' arbres. " Voyage de Jacques Cartier 1535-36, recto du feuillet 14. Litt_ l'émérillon 16Î de Jacques Cartier, qui visitait alors le royaume d'Hochelaga, les maistres compagnons mariniers et charpentiers de navires, demeurés au havre de Ste- Croix, construisirent auprès des deux caravelles une palissade fortifiée qu'ils garnirent d'artillerie. 1 Je fis le tour de cette étrange fortification. Sa physionomie indienne, profondément accentuée, répondait si parfaitement aux idées préconçues que je m'étais faites d'une bourgade palis* sadée, telle que décrite par les historiens du pays, qu'au mépris de tout ce que me disait Laverdière, et contre ma propre expérience, je me surprenais à guetter entre les couleuvrines ou derrière les à-joufs des pieux dentelés, la silhouette fantastique, la tête emplumée de quelque farouche algonquin. Mais une porte bardée de fer comme un bou- clier du moyen-âge, une porte taillée dans l'épaisseur de la muraille en troncs d'arbres, me fit reconnaître tout de suite à son travail la main d 'œuvre européenne. Les gonds, les pentures, les têtes de clous forgés, les lames de fer de cette porte massive étaient énormes. Les à-jours des pièces laissaient apercevoir deux verrous formidables qui soutenaient vaillamment, en apparence du moins, l'action de la serrure. Laverdière sonda la porte elle était barrée. Je la secouai à mon tour, mais le meilleur de mes efforts ne réussit qu'à me faire constater le jeu de ses ver- rous dans leurs crampons.^ Il aurait fallu un vent 1. Le lundy onzdesme jour d'Octobre nous arriva&mea au dict hable Sainte-Croix ou estoient noz navires, et troQvaames que les maistres et mariniers qui étoient demourez, avaient faict ung fort devant les dictes navires, toutcloz do grosses pièces de boy a, fdantez debout joignans les unes et autres, etc^ Relation du Second Voyage de Jacques-Cartier^ verso du feuil* let 28, édition de 1545. 11 162 l'émérillon de tempête pour la remuer, Tébranler, tant elle était pesamment empalée* sur ses gonds. D'un coup d'oeil à travers les interstices des pieux je saisis tout l'aménagement intérieur du Fort Jacques Cartier. Alentour de la palissade il y avait une estrade soliden\ent bâtie, appuyée à des poutres de gros diamètre, elles-mêmes soutenues par des piliers de large carrure.. L'extrême force de la galerie s'expli- quait par le fait qu'elle avait à supporter tout le poids des caronades et des couletivrines, y comprise la charge de leurs affûts et de leurs projectiles. En ce moment, et tel que prescrit par l'Ordon- nance, le guet de la nuit annonça, à voix de trompettes sonnantes, un changement de quart. Tout aussitôt des aboiements furieux éclatèrent dans la montagne. Les chiens sauvages de Stadaconé répondaient à leur manière afù " Qui-vive ! " des sentinelles françaises. Ces aboiements colères en provoquèrent d'autres qui partirent, cette fois, de notre côté, et se répétè- rent en échos interminables dans la forêt boisant alors le territoire des futures paroisses de Beau- port, de Charlehourg, de St. Roch-Nord, de La Canar- dière, des deux Lorette. C'étaient des jappements beaucoup plus brefs et beaucoup plus rauques que eux des chiens, pour cette excellente raison que ce n'étaient plus des chiens mais des loups qui hurlaient. Et Laverdière me dit d'une voix grave Tout fait bonne garde ici la Forêt, le Peau-Rouge et le Blanc. 1. Et tout à lentour du fort garny d'artillerie et bien en ** ordre pour soy deffendre contre toute la puissance du païs." Voyage de Cartier^ 1535-36, verso du feuillet 28. •'VWP^*^- l'émérjllon 163 Je m'en allais songeur, le regard dans la neîge, une neige épaisse et molle comme un velours, sourde comme un tapis turc, où le bruit des pas s'étouffait. Et je pensais avec un charme délicieux à tous ces compagnons de Jacques Cartier que j'avais vus de mes yeux, écoutés de mes propres oreilles. Je les entendais causer encore au fotid de ma mémoire, avec cette loquacité naturelle au caractère breton. Je me demanda^is seiîllement, avec une certaine inquiétude, comment il se pouvait que je fusse devenu tout à coup le contemporain du découvreur du Canada. J'avais absolument, dans mon aventure, perdu la mémoire du point de départ, et cette réflexion me causait la fatigue oppressante d'un homme pris de cauchemar et qui rêverait rêver. Mais le maitre-ès-arts me secoua brusquement. A quoi pensez-vous, me cria-t-il ? Cette question m'éveilla net. — Au grand plaisir d'avoir connu les compagnons de Jacques Cartier. J'en suis ravi. Et d'autant plus que, satisfaisant votre légitime curiosité historique, j'établis du même coup la vérité de l'une de mes thèses favorites, savoir çue les pires angoisses de V incertitude ne sont pas toujours aussi crucifixntes que certaines réalités horribles. Le spectacle des scorbutiques de la Petite Hermine en demeure pour vous une mémorable et saisissante démonstration. Saisissante, oui ; mais concluante, jamais. Pardon- nez-moi ce franc parler, il entre dans mes habitudes. Très-bien, donnez m'en la raison s'il vous plaît. Ne me la demandez pas, ce serait de la mauvaise foi, car sa clarté aveugle. La mère de Dom Anthoine, la sœur d'Yvon LeGal, les enfants de Reumevel, tous ^^T^xW}J^jr 164 l'émérillon les parents, tous les amis prochains ou éloignés de ces hardis matelots vous eussent payé, au poids de l'or, la faveur de cette vision, au coût du sang, la hideur de ce spectacle. Savoir malade celui que Ton croyait mort ! quel réveil pour Tespérance ! Comme elle accourt, comme elle s'installe, cette radieuse infirmière ! Nommez-moi une garde- malade attentive, infatigable, courageuse, active comme cette incomparable Vaillante ! Elle croit à la guérison comme à un dogme, elle lui garde la foi jurée comme l'amour à une fiancée, elle espère jusqu'à la fin, comme une âme ! Elle va si loin qu'on la voit suivre la convalescence jusque dans l'agonie du bîen- aimé ; elle ne meurt qu'avec lui. Le maître-ès-arts ne me répondit pas tout d'abord ; seulement il leva les épaules avec l'air ennuyé d'un homme qui se résigne à écouter sans vouloir rien admettre. Puis, il me regarda avec un sourire froid qui me glaça comme un attouchement cadavérique. Mais, dit-il, si le bien-aimé était mort, ne vau- drait-il pas mieux pour la mère, la sœur, le bon fils s'imaginer pareille catastrophe toute la vie, qu'en acquérir la certitude une seule minute devant son cercueil ? Si le bien-aimé était mort ! Il me disait cela d'un ton railleur, méchant. Et le mauvais rire avec lequel il me fixait tout à l'heure lui revînt aux lèvres, y demeura quelques secondes, puis, finalement, se perdit avej son regard dans la neige floconneuse du chemin. Nous nous en allions marchant l'un devant l'autre, suivant la rive du bois, comme chantent les dode- linettes et les complaintes canadiennes françaises qui ont bercé pour nous tous le sommeil de notre pre- L^ÉM^RILLÛK ilSS mlère enfance. Nous marchions par un petit sentier battu dans la neige et dont les sinuosités multiples semblaient calquées sur les méandres de la rivière. Tout à coup nous arrivâmes à une clairière, à une baie coupée en demi-lune, comme à la serpe, dans l'alluvion de la berge droite, et qui ressemblait à rembouchure de quelque cours d'eau dans le Ste. Croix, Je pensai tout de suite au ruisseau St Michel, car les vieilles chroniques fixaient aux alentours Thivemage des vaisseaux de Jacques Car- tier, Le vent de nord -est qui souffle avec violence toute Tannée, et particulièrement à la saison d*hiver, avait balayé la neige à cet endroit sur un espace considérable, et la surface plane de îa glace transparente étîncelait comme le cristal d'un miroir. J'aperçus au fond de la crique, enlîzé jusqu'à sa ligne de flottaison dans un immense banc de neige, un petit bâtiment de la mâture et de la taille de nos goélettes modernes qui font aujourd'hui le cabotage entre Québec et les paroisses rîpuaîres du bas St Laurent Laverdîère leva la main dans la direction de la galiote \JE7neriU0n ! s'ecrîa-t-il. Puis, faisant écho à sa propre voix, Tarchéologue répéta dans un éclat de rire VEmérillou ! Cette fois il semblait se parler à lui-mênne. Etant donné que Ton connût au préalable la pas- sion grande du maître-ès-arts pour les sports nautî- ques,cette gaieté singulière s'expliquait par le souvenir hilarîant d'une aventure héroï -comique, La cliaioupe de Laverdière ! mais elle avait plus couru d'aventures à elle seule que tous les yachts réunis de notre rade. Donc, Témulatîon, Tamourde la gloire, les émotions "''^.'IJI'llyi*'.'' 166 l'émérillôn de la lutte, quelque diable enfin le poussant, Laver- dière construisit un yacht superbe, à seule fin d'arra- cher la victoire à la Mouette du Dr. Wells, une triomphante, s'il en fût jamais. En bon historien national qu'il était notre prêtre-matelot donna à son léger navire un beau nom de baptême, et l'appela Eniêrillon. Ce qui n*empêcha pas XEmérillon d'arriver bon dernier, en touage d'un remorqueur, le jour l'unique jour qu'il disputa la palme à sa glorieuse rivale. Cela n'était pas très illustre pour VEmériilon, mais en revanche très historique. Il y avait d'ailleurs une grandeur d'âme incompa- rable, une abnégation absolument artistique, à perdre ainsi, de gaieté de cœur, trois mille piastres et quel- ques centins pour l'honneur de livrer une seconde bataille d'Actium. Ce fut un véritable sinistre mari- time. , > .et financier. Le souvenir en flotta sur la mémoire de Laverdière encore plus légèrement que VEmériilôn dans l'entre-quai de la Douane ; car la conscience du marin n'était pas engagée dans la responsabilité de la catastrophe, le modèle, au dire des connaisseurs» ayant été reconnu chef-d'œuvre d'architecture navale, malgré que Y EmérilloUy assis dans l'eau, prenait la bande à tribord. La faute était- elle à. . , , ? Neptune, et avec lui les copeaux discrets de la Rivière St Charles en gardent encore le for- midable secret. Toute la gaieté de cette anecdote me revenait au cœur et aux lèvres en écoutant rire mon compagnon de route, qui me cria ; " A l'abordage !" avec un bel accent martial, en même temps qu'il enjambait leste- ment le bastingage du galion. En un clin d'œil nous eûmes enlevé le panneau I t l'émérillon 167 de récoutille et nous nous trouvâmes sous le tillac, dans la chambre du château de proue. Une lampe suspendue par une chaînette de cuivre ëclairait mal cet appartement où le souffle continu d'une violente rafale faisait sauter la flamme du lumignon. Ce cou- rant d'air était provoqué par deux sabords — corres- pondant, en position! aux sabords de chasse dans les vaisseaux de guerre du temps— que j'aperçus grands ouverts. Ce qui m étonna beaucoup. Il y avait par toute la chambrette une bonne odeur de bois neuf fraîchement travaillé, provenant sans doute d'une grande boîte, en bois de sapin, dont les planches rudes^ varlopées à la diable» étaient criblées de nœuds suintant une gomme parfumée, couleur d'ambre et qui revêtait dans la lumière tourmentée du lumignon les scintillements et les reflets de l'on Cette boîte, longue de sept pieds, haute et large de deux, reposait sur des tréteaux et son couv^ercle s appuyait debout au vaigrage de la galiote. Tout auprès, sur le plancher, îl y avait un coffre d'outils, et dans le casier de ce coffre, un rabot, une scie, un marteau^ une livre de grands clous forgés. Que renfermait cette boîte ? Quels ouvriers atten^ daient ces outils ? Je ne fus pas longtemps à me le demander, car Laverdière, prévenant ma curiosité, me dit aussitôt ; Venez voir. Il détacha la lampe du bau où elle était suspendue et fît tomber sa lumière au fond du mystérieux colis. Je reculât d'épouvante ; cette boîte était un cer* cueil ; son contenu, le cadavre d'un homme 1 Vous aurez mal refermé Técoutille, me dit Laver- diÊre, Elle est entrée ! ^^"?^W^- 168 l'émérillon Je le regardai avec stupeur. Les lèvres nerveuses de Tarchiviste, convulsivement contractées, dessi- naient un sourire étrange, d*une expression indéfinis- sable. Elle est entrée, répéta le prêtre. Qui, elle ? — bégayai-je absolument ahuri, dérouté par le mysticisme de mon interlocuteur. Le maître-ès-arts se pencha sur moi La Mort ! dit-il, avec une voix creuse comme la tombe. Et pour achever de m'épouvanter sans doute, il accompagna cette sinistre farce d*un éclat de rire effrayant. Eh ! regardez donc derrière vous, ricana-t-il méchamment, je parie que vous verrez quelqu'un. J'avoue que je n'osai pas tourner la tête ! Oui, nous sommes quatre ici, continua l'impi- toyable railleur, Elle est entrée, pas la mort, mais Elle^ la. folle, Idi pauvre folle dû logis ! Ah ! jeune homme, jeune homme, quels pièges vous tend l'imagi- nation. Et comme on y tombe ! Cette plaisante mystification eut le mérite de me fâcher rouge. Je la trouvai mauvaise, inconvenante, exécrable, précisément parce qu'elle était bonne, excellente même, et m'avait fait grelotter de peur. Allons nous-en, lui dis-je, allons nous-en ! Et je gagnai précipitamment l'échelle de l'écoutille. Pourquoi } me demanda l'autre ; le pauvre enfant est si seul ! A ce moment, un courant d'air passa si vite qu'il coucha la flamme du lumignon comme pour l'étein- dre. Laverdière ajouta Vous ne me demandez pas son nom ? Je lui répondis avec humeur Evidemment vous^ l'émérillon 169 tenez à me rapprendre ; moi je ne tiens pas à le savoir voUà la différence. ' Pardon, reprit-il, ce sera plus tard, pour votre mémoire, une grande joie de s*en souvenir. C'est le premier des vingt-cinq, le Benjamin de Téquipage, Philippe Rougemont, 1 Toute ma mauvaise humeur tomba à cette parole. Je compris alors où menait le cliemin de Rougemonty et ce que Bertrand Samboste entendait par la toilette de Philippe. La toilette de Philippe, c'était Tagoni- sant porté dans la chambre du maître de la nef et couché sur un lit de camp ; c'était l'aumônier, Dom Anthoine, revêtant le surplis et Tétole ; c'était la petite table du Viatique avec sa garniture de linge couleur de neige, ses deux chandeliers d'argent, les flammes immobiles et silencieuses des cierges jaunes auprès du crucifix ; c'étaient les matelots des trois équipages k genoux dans la batterie de la caravelle, et récitant les dernières prières pour le camarade qui allait rece- voir les derniers sacrements ; c'était le décor du cin- quième acte, tous les acteurs en scène, comme au théâtre. Et, me rappelant les regards effrayés de Bertrand Samboste encore mal revenu des émotions profondes du drame, je me disais qu'il avait dû se passer quel* que chose de terrible à la fin, à la chute du rideau. Qui sait, mon Dieu ! le petit Philippe Rougemont, pour parler le langage coloré des gabiers, le petit 1. '' Celuj jour trespasaa Philippea Rougomoiit^uatii d'Am- boise, de l'âge de environ vingt deux ans/^ Voyage de Jacques Cartier ^ 1535-S6, verao du feuillet 35* C'est le seul mort que Jact^ues Cartier nomme. Charlevoix, dans Bou Hîiytvlre du Canada^ en nomme un autre JJe Goyelh, Ce sont les doux stul^ scorbutiques déc^d^s dont noua sachions lea noms* rXVMJH* 170 l'émérillon Philippe Rougcmont n'avait peut-être pas voulu s'en aller, avaler sa gaffe. Cela se voit à vingt ans ! En vérité le navrant spectacle que celui d'une âme qui part ainsi dans un cri de désespoir ! C'était le corps d'un marin apparamment très jeune, car sa figure accusait à peine dix-sept ans. On l'avait enseveli dans son costume, il en était vêtu de pied en cap ; rien ne manquait, pas même le chapeau goudronné, 11 n'avait pas de linceul, mais il était couché dans sa bière, sur un lit épais de branches de sapin. La tête reposait sur un oreiller où le duvet était remplacé par des rameaux de cèdre, un bon édredon pour le dormeur de tel somme. C'était vraiment une aubaine, car il était, celui-là, plus heureux que bien d'autres qui n'emportent sous la terre que leur traversin de copeaux, ceux du cercueil ! Et la pensée me vint que ce malheureux avait une mère ; qu'elle était, à cette heure même, dans quelque obscure chapelle de hameau, au fond de la Bretagne ou de la Normandie, à genoux devant une de ces naïves Eiabks de Bethléem, toutes étoilées de lumières et peuplées en même temps de bergers et d'agneaux, d'anges et de mages. Sur la paille fraîche de son berceau, l'Enfant Jésus souriait à cette pauvre femme, lui tendait ses petits bras avec une ravissante mignardise, comme autrefois, cet autre, le premîer-né de son sang, qu'elle regardait dormir au foyer de sa chaumière, épiant, avec une délicieuse impatience, la première joie de son regard et s'ou- bliant quelquefois jusqu'à l'éveiller par une délirante caresse. Vingt ans avaient passé sur ce bonheur suprême sans rien enlever à l'ivresse et à la vivacité du souvenir. l'émérillon 171 Revenue de l'église je revoyais cette femme mettre le couvert du cher absent à la table familiale, rap- procher la chaise vacante ; puis, le traditionnel réveillon terminé, se glisser, à la dérobée du père et des enfants, dans la chambre solit^Lire du jeune marin, déposer sur l'oreiller froid un baiser rapide et brûlant. Enfin, elle-même endormie, rêvait que les trois vaisseaux de Cartier, voiles hautes et mâts pavoises, entraient dans le port de St. Malo, au bruit des cloches et des salves, avec tous les équipages de la flottille ; et plus haut, dominant les clameurs de la foule sur les quais et les vivats des équipages des navires en rade, il y avait pour elle, une voix grêle, une voix enfantine criant " Mère ! mère, me voici, il n'y a plus d'exil ! Et devant le spectacle de cette pauvre femme, toute entière livrée au ravissement de son extase, je louais Dieu en moi-même, le remerciant de lui faire oublier sa prière, de peur qu'elle ne lui demandât le retour de son fils comme une grâce. Autrement, sa Providence m'eût paru odieuse ! N'est-ce pas } répondit tout haut mon étrange interlocuteur, qui m'écoutait penser, suivant sa fantas- tique habitude. Voyez, par contre, comme la Divine Providence prépare de loin, comme elle résigne à l'avance cette tendre mère à la terrible épreuve. Elle retarde de six mois la fatale nouvelle, et met à douze cents lieues le cadavre du bien-aimé. Combien de jeunes gens, partis comme lui, rayonnants de santé et de force, ont été rapportés morts à leurs demeures, le soir même de leur départ ! Pour le matelot il existe autant de morts subites que de fausses manœuvres. Pour toute préparation les mères, les 172 l'émérillon femmes, les sœurs de ces misérables n'auront eu que le retard de la civière portée par deux camarades et cachant mal, sous son drap blanc, le corps mutilé,, sanglant de la victime. La miséricorde du bon Dieu n'a pas crié " Gare ! " à ces pauvresses, mais elle leur a broyé le cœur d*un seul coup, à la première étreinte. Et cependant, c'est cette main-là qu'il faut bénir. Ici, l'espérance va s'éteindre avec lenteur, s'éva- nouir doucement dans le cœur maternel, comme la belle lumière d'un jour d'été. La pensée de son fils demeure dans cette âme à la manière des parfums pénétrants qui embaument les cassolettes longtemps après que l'aromate a disparu. Aux premiers jours de Juillet, Jacques Cartier, l'immortel Découvreur, va revenir en France. Un matin 1 toute la population de St-Malo envahira, comme un flot irrésistible, les quais, les môles, les jetées, les phares, tous les postes avancés du rivage. Une caravelle, toutes voiles dehors et pavoisée à ses trois mâts, entre dans la rade. L'artillerie gronde à la citadelle de St-Malo et les sabords du grand navire sont pleins d'éclairs et de fumée. L'équipage crie avec enthousiasme le nom d'une terre inconnue " Canada ! Canada ! ! " Et la foule en 1. *' Et nous vinsmes au Cap de Raze et entrasmes dedans un *' hable nommé Rougnoze où prinsmes eaues et boys pour '* traverser la mer et là laissâmes l'une de nos barques et ** appareillasmes du dict hable le lundi, 19ième jour du dict ** mois de, Juin. Et avec bon temps avons navigué parla Mer, ** tellement que le 6ième jour de Juillet 1536 sommes arrivez au '* hable de Sainct Malo, par la grâce du Créateur. Lequel ** prions faisant fin à notre navigation, nous donner sa grâce et ** paradis à la fin. Amen," '* Voyage de Jacques Cartier 1635-36, feuillet 46 et verso. siiâiiU-. l'émérillon 173 délire de répondre " Cartier ! Cartier ! ! la Grande Hermine /" La mère de Rougemont sera là, venue d'Amboîse, 2 à genoux, elle aussi; sur la grève, avec les femmes, les filles, les sœurs et les fiancées des marins, grâce à Dieu, revenus ! Ce sera un grand et cruel crève-cœur lorsqu'on dira à cette femme que son Philippe n'est pas à bord du vaisseau-amiral. Son beau rêve, blessé à Taile, s'abattra un instant, mais pour s'envoler pres- que aussitôt plus loin au large. L'envergure répondra, croyez m'en, à la distance. Ils étaient trois vaisseaux. Pour sûr, Philippe revient sur le Courlieu. La Mer et le Vent ont de ces caprices incorrigibles d'épar- piller à fantaisie les navires ; ils ont du temps et de l'espace pour cela. UEmérilton arrive. C'est le plus vieux comme le plus petit des trois vaisseaux. Pauvre mère ! L'enfant attendu n'y est pas encore ! Et puis, voyez-vous, il y en a qui disent, par la ville, que vingt-cinq Aesprin- cipatix et bons mais très compagnons mariniers sont restés là-bas, sous la terre, à cause du scorbut. Cette fois le cœur saigne beaucoup dans la poitrine de la crucifiée, l'espoir exubérant, vivace, le rêve, le divin rêve sont bien malades. Le pauvre oisillon volète encore, mais à fleur du sol, dans les pierres du che- min, comme un perdreau blessé qui se rase au creux d'un sillon. Ils étaient trois vaisseaux ! La Petite Hermine retarde encore. Oh ! lequel d'entre vous, camarades survivants de Philippe, aura le courage de lui dire que le Courlieu a été abandonné à Stadaconé . . . • 2. " Philippes Rougemont, natif d'Amboise." Voyage de Jacques Cartier, 1635-36, verso du feuillet 35. 174 ^ l'émérillon faute de bras pour la manœuvre ? 1 Cette fois, Tillu- sion ne sera plus possible. Malgré cette grande épreuve de la foi, admirez la tendresse de la Providenoe qui amène par degrés, au cœur de cette femme, la certitude de la catastrophe, qui multiplie les étapes du chemin, atténue la roi- deur de l'ascension au calvaire. Puis, le sacrifice accompli, accepté, un soir de grande solitude et dé silencieuse douleur pour la chaumière des Rougemont, voici Taumônier de Jacques Cartier, dom Anthoine, venu exprès de St. Malo, qui se présente à Amboise, et qui raconte à cette mère en deuil la mort sainte de Philippe ; non pas une agonie d'abandonné, de lépreux, au fond d'une cabane sauvage, mais une belle mort de Catho- lique et de Français, une mort en présence des pays des trois équipages, à bord d'une caravelle où l'on avait parlé d'Amboise et dç St. Malo tout le temps .... avant l'agonie. Puis les dernières paroles, les derniers messages, le dernier à- Dieu, rapportés avec une précision sacramentelle. Enfin, l'heure du départ. . . .la Mort venue à quatre heures du soir, la veille de Noël. 2 Mort la veille de Noël ! quelle révélation ! Oh l comme je m'explique maintenant pourquoi cet attendrissement involontaire, subit, irrésistible, qui l'avait fait pleurer, comme de force, à la vue de rEtable de Bethléem ; — pourquoi les triangles de 1. La Petite Hermine avait été abandonnée à Québec, au printemps de 1536. — On en a retrouvé la carcasse, en 1843,^à l'embouchure du ruisseau St Michel. 2 Cette mort est anti-datée. — Philippe Rougemont, d'aprëft les meilleurs archivistes chroniqueurs, mourut un dimanche de Février 1536— Le lecteur saisira quels avantages d'imagination cet anachronisme procurait à Fauteur. u l'émérillon 175 lumières semblaient avoir la pâleur des cierges sur les herses d'un catafalque ; — pourquoi elle trouvait au Jésus de la Crèche la figure souriants de son Philippe, petit enfant j^pourquoi elle le voyait assis à la table famiUale, sur la chaise vacante ; — ^pourquoi elle lui avait servi sa part de gâteau, rempli son verre'; pourquoi ce baiser de feu sur l'oreiller froid du lit vide ;— pourquoi ce rêve de calions voilés en course entrant dans le port de St. Malo, — Ah ! sa maison était alors visitée, bénie, sanctifiée par l'âme présente de son enfant, âme bienheureuse, âme con- firmée en grâces et en joies éternelles, âme revenue elle aussi ! Dites-moi, en toute sincérité^ consolation plus suave pouvait-elle humainement s'échapper d'un plus funèbre souvenir ? Seule, la Providence a le don de pareilles antidotes, et parce qu elle n'en vend pas le secret, ses négateurs l'cippellent Hasard / Cela me fait penser au blasphème d'un mauvais hli qui dit " marâtre " à sa mère 1 A ce moment un bruit de bottes ferrées retentit sur le pont de la galiote, droit audessus de nos têtes, Presque aussitôt les panneaux de l'écoutille s'ou- vrirent bruyamment et trois hommes descendirent dans la chambre. Les croque - morts ! me souffla Laverdière à roreille. Les ouvriers de la dernière heure et de la dernière besogne ! Ce face-à-face imprévu, cette confrontation instantanée, me glaça d'effroi. J'avoue que la pré- sence du cercueil de Rouge mont aurait dû m'y pré- parer. Je nen subis pas moins cependant cette poussée de recul que provoque lapparition du bour- reau sur la foule qui regarde une potence. 176 l'émérillon Je les reconnus tous les trois le plus grand se nommait Guillaume Séquart, le charpentier ; la moyenne taille, Jehan Duvert, aussi lui charpentier de navire ; le plus petit, Eustache Grossin, un maître compagnon marinier. 1 Laverdière me les avait tous signalés à bord de la Grande Hermine, Un moment les croque-morts regardèrent silen- cieusement le cadavre au visage. Puis Eustache Grossin lui toucha la joue, lui palpa les mains et le frappa au front, à petits coups rapides, à la manière d'un visiteur s'annonçant discrètement à une porte. La tête rendit un son mat comme le marbre d'une statue. Il est parfaitement gelé dit Séquart, fermons la boite. Alors je m'expliquai pourquoi les sabords de chasse avaient été laissés grands ouverts. C'est une singulière idée, tout de même, dit Eustache Grossin, c'est une singulière idée de geler ainsi notre petit Philippe avant de l'enterrer. M'est avis qu'il aurait eu assez froid dans sa fosse. Pauvre Rougemont, lui qui nous faisait promettre de le ramener à Amboise ! Comme nous lui tenons bien parole ! Ça, dites moi donc, la bonne raison que l'on a de geler ainsi le compagnon. ^La forêt, répondit Jehan Duvert, la forêt est infestée de chiens sauvages, de renards et de loups. Au printemps, à la fonte des neiges, l'odeur du 1. Ce nom de Grossin se retrouvait sur le rôle d'équipage de l'aviso français Le Bouvet ancre en rade de Québec pendant l'été de 1887. — On y lisait, parmi les oflSciers, Grossin, enseigne de vaianeau. Consulter Le Canadien du 2 septembre 1887. / l'émérillon 177 cadavre pourrait en trahîr la présence. Ces animaux, dont Taudace et la férocité se décuplent par Texcès du froid et de la faim, ont un flair merveilleux, et seraient prompts à découvrir le corps du camarade. Par ce moyen le Capitaine-Général espère qu'il n'y aura plus à craindre que les restes mortels d'un chrétien, les cendres baptisées d'un homme devien- nent la pâture des fauves* comme une charogne d'animal. Très bien ! Où les Le Gentilhomme doivent-ils creuser la tombe ? Tout près d'ici, à l'embouchure du ruisseau St. Michel, sur la glace même de la rivière. On calcule qu'il faudra creuser à douze pieds pour l'atteindre, car la neige, à cet endroit, est amoncelée à telle épais- seur. Mais c'est étrange, remarqua Duvert ; pourquoi ne pas l'enterrer au rivage ? lui donner une fosse bénie, avec une croix de bois à la tête, comme à la tombe d'un catholique ? Dans un mois d'ici, répondit Séquart avec un long soupir, dans un mois d'idi, compterons-nous encore dix hommes valides ? Et combien sur ce nombre seront en état de creuser le sol à six pieds de pro- fondeur ? Si le fléau cesse, il sera toujours facile aux survivants de relever sous neige les cadavres des camarades et de les ensevelir en terre. Mais si le scorbut doit nous dévorer l'un après l'autre 1 jusqu'au 1. Et tellement ,se esprint se déclara la dicte maladie le scorbut à nos trois navires que à la my-Février de cent dix hommes que nous estions il n'y en avait pas dix sains, en sorte que Tun ne pouvait secourir l'autre qui estait chose piteuse à veoir, considéré le lieu où nous estions. Car les gens du pays venaient tous les jours devant notre fort, qui peu de gens 12 178 l'émérillon dernier, ne vaut-il pas mieux mille fois s'en aller à l'Atlantique par le St Laurent, sur les glaces flot- tantes de la rivière, que de savoir nos ossements, nos pauvres corps jetés à la voirie, abandonnés à la grève en pâture aux chiens, aux renards et aux loups ? Que le corps d'un homme s'en retourne en pous- sière au fond de la terre, ou qu'il pourrisse dans l'eau, cela revient toujours au même limon. Seulement, s'il nous faut partir pendant l'exercice, je préfère m'en aller par le sabord, suivant la coutume du navire. L'Océan ! voilà le cimetière par excellence du matelot, le véritable champ du sommeil, labouré, celui-là, avec des proues de navires, mieux que tous les autres avec des socs de charrues. Là, mes gail- lards, toutes les tombe*; creusées d'avance et dans le sens que Ton veut ; ce qui est un avantage pour ceux qui ont un côté pour dormir. Pas de fossoyeurs à payer, choix absolu des places, et liberté complète de changer de coin si le voisin vous importune ou voyentj et ia déjà j en avait huict de morts et plus de dnqtuinte erî qui oTi ne espérait plus de vie. l'^oifage du Jacques VaHkf% 1535-36, feuillet 35. Et depuis jour en aultre s'est tellement continuée la dicte maladie, que telle heurt a esté que par tous les trois iiavires n'y avait pas trois humuies ^nins, de sorte que en l'ung des dits navire a n'y avait hmnme gui eut pu descendre sous le tillac pour tirera holm tant ptjur lui que pour son compagnon. Et pour r heure y en avait déjà plusieurs de morts. Lesquels ils nous com-int de rnettre j^t faiblesse sous les neiges car il tie nou>s estoit possible dÉ pouvoir p . . Eh ! Eh ! vogue la galée^ Dminez-lui du vent ! Quelle honte, quel affront pour des gabiers de notre marque, vieux comme la mer, de nous savoir personnifiés dans ces vachers de la terre ferme, des rebuts de cabotage, des épaves d'auberge, le déshon- neur de la profession ! l'émérillok 1S9 Doucement, camarade, doucement, Fer fou ! TTOilà de la haute fantaisie. Par Dieu et Notre-Dame de Roc-Amadou^ il y aura encore, dans quatre ou cinq cents ans d'ici, de fiers, de braves et solides matelots français. Notre marine sera une gloire ou TOcéan sera tari. Je te le dis, Séquart, faudra descendre des huniers et Grossin parlant ahisi montrait le cîel, faudra des- cendre des huniers pour voir passer la procession historique. Da-oui ! ça vaudra la peine de constater par nous-mêmes si les gars du vingtième siècle auront un bon mouvement de tangage dans les jambes, un beau costume, de belles voîx, des chan- sons gaies comme les nôtres, Dites donc, entendre parler françaiSj après quatre cents ans de latin dans le Paradis, quel dessert î Séquart et Du vert s'écrièrent ensemble 3£h ! l'on parle latin là-haut ? Qu'en sais -tu, naon pauvre Eustache ? Da-oui ! Cest mon curé qui prétend ça. Laisse-le dire ; tu vois bien que, dans ce cas, cela serait fait exprès pour faire taire les matelots. Ce n*est pas juste ; faudra tenir pour le bas-breton et le français. N'est-ce pas, vous autres ? Terr-i'ben / répondit Grossin, qui mourra verra ! Je ne suis pas même certain de comprendre le fran- çais de mes enfants dans quatre cents ans d'ici. As pas peury répliqua Duvert. Il faudra que la langue ait bien vieilli pour que la terre, en français, ne s'appelle plus la terre ; la mer, la mer ; le ciel, le ciel ; un navire, un navire ; pour que l'on ne nous comprenne pas quand nous demanderons du pain, de l'eau, du vin, une rame, un poignard, un cordage, une futaille ! 1^ l'émérillon Changeront-ils aussi le mot patrie î Ils le conserveront, même malgré eux, car, voîs-tu^ ce mot là est impérissable» Il se garde immortel dans toutes les langues du monde. Seulement, ajouta Duvert^ seulement j'ai bien peur qu'ils le traduisent I Traduire quoi ? demanda Séquart, je ne comprends pas. Je dis que dans quatre cents ans d'ici les Cana- diens n'auront peut-être plus le mot France pour répondre au mot patrie. Hein ? Qu'est-ce que tu dis-la ? Ce pays que nous avons Tintention de nommer N -nivelle France sur nos cartes géographiques et dans l'histoire du globe, ce pays s'appellera peut-être alors Noîivelle Espagne ou Nouvelle Angleterre. A tous les âges du monde, amis, les conquérants ont eu cette manière de traduire. Eustache Grossin se leva debout Il faudrait pour cela, dit-il, il faudrait que l'empire de la mer appartint à TAngleterre ou à l'Espagne. Ce qui n'est pas, ce qui ne sera pas, par St, Malo ! aussi longtemps que Ton verra dans T Atlantique les galions, les nefs, les chebecs et les caravelles de la Bretagne, — Rappelle-toi, Duvert, que les Normands ont conquis l'Angleterre, et n'oublie pas que tu es français ! Duvert regarda le compagnon marinier avec orgueil et lui répondit simplement J'aimerais mieux, Grossin, me rappeler que je suis Breton ! Avant que la France s'appelât Gaule, la Bretagne se nommait Armorique ! Nous ne sommes français que d'hier, ^ L Lii BmtaETiie n© fut déânitivenient attachée au royaume de FrïiTice qu'en 1532. • l'émérillon 191 camarade, et le courage date de plus loin. Le cou- rage, ami, n'est pas exclusivement une qualité fran- çaise, c'est plus qu'un caractère national, c'est une vertu humaine. Seulement, à la gloire de notre nou- veau! drapeau, nous sommes de tous les peuples actuels de l'Europe, son meilleur terme de compa- raison. Et voilà pourquoi tu désespères de la colonie, pourquoi tu oses croire à sa ruine, le jour même de sa découverte ? dit Grossin avec colère. Tu sais mieux que cela, Eustache. Ce n'est pas souhaiter un événement que d'y penser. Même avec ce pressentiment au fond du cœur, je me ferais tuer pour notre conquête. Très-bien, cela. Ce qui ne m'empêche pas de croire et de dire que les futurs habitants de la grande ville que nous croyons voir cette nuit, à travers les ténèbres de quatre siècles d'avenir, ne nous ressembleront peut- être en aucune sorte, ni par le visage, ni par l'habit, ni par la langue. Alors, dit Grossin, il faudra écouter attentivement carillonner les églises pour ne pas s'y trouver tout-à- fait étrangers. Comment cela ? dit Séquart. Toutes les cloches seront venues de France, et les cloches, voyez-vous, sont les dernières à perdre l'accent du pays ! A moins, ajouta Séquart, qui aussi lui paraissait tourmenté par l'horreur d'un pressentiment invin- cible, à moins qu'on ne les ait fondues pour couler des boulets. Pendant un long siège les canons, comme les hommes, finissent par avoir faim. Dieu aimera trop la colonie pour la réduire à ce 192 l'émérillon désespoir. Non, impossible ; avant que d'en venir là, tous les Français de là-bas seront morts. On enfume un renard, on accule un sanglier, on relance un dix- cors, mais on n'affame pas un Français. Quand on Tassiège trop longtemps, il fait comme les lion^, il sort de la citadelle comme Tautre de sa caverne, la garnison quitte la muraille et se fait tuer, à décou- vert, debout, en pleine lumière^ Puis, quand Tcnnemi enterre les coips mutilés au fond de la tranchée béante, il voit avec terreurles têtes de cadavres garder leurs yeux ouverts, comme si la revanche était encore possible et que la mémoire de chacun de ces morts eût un nom, un visage à retenir, pour les colères de l'autre monde. Cette opinion confirme mes craintes, conclut Jehan Duvert. Une fois la garnison tuée jusqu'à son dernier homme, qui çmpêchera la ville d'être emportée d'assaut ? Les Espagnols ou les Anglais auront alors la victoire facile.' Avec les pièces d'artillerie trouvées sur les remparts, sans affûts, sans boulets, sans canon- niers, ils couleront des cloches d'églises. Et ce seront elles qui chanteront, avec des carillons écla- tants, les Te Deum anniversaires de leur triomphe ! Eustache Grossin se recueillit un moment, puis il répondit avec une voix grave Il vaudra mieux alors, camarades, ne pas s'éveiller, garder pour nous seuls le secret de nos tombes, demander au bon Dieu qu'il nous efface de la mémoire des vivants et que sa Paix nous endorme jusqu'à la fin ! Ecouter de pareilles cloches ! Moi je pleurerais trop si je les entendais sonner. Et toi aussi Guillaume, et toi aussi Jehan, et tous aussi, les autres, mes vieux compagnons mariniers. - 4W^f^yi^ l'émérillon 1Ô8 Ainsi causaient ces trois hommes quand soudain ^ln bruit de pas retentit là-haut sur le pont de la galiote. Presque aussitôt Técoutille s'ouvrît brusque- ment etje vis, par son échelle, neuf personnages descen- dre au milieu de la chambre mortuaire. Je reconnus Jehan PouUet et DeGoyelle^ de la Grande Hermine^ puis Marc Jallobert, capitaine et pilote du Courlieu^ Guillaume ,LeMarié, maitre de la Petite Hermine, Guillaume LeBreton Bastille, capitaïne et pilote de VEmérillon avec le maitre de la galiote, Jacques Maingard, puis enfin Garnier de Cham beaux, Jean Garnier, sieur de Chambeaux, Charles de !a Pomme- raye, tous trois gentilshommes de St-Malo. La messe vient de finir à bord de la Grande Her- mine^ dit Marc Jallobert à Séquart. Nous venons réciter la dernière prière. Tous les gars de St. Malo sont-ils présents ? Présents, répondirent ensemble les douze hommes. Jallobert ajouta Il faut se hâter, la bénédiction du feu a lieu dans un quart d'heure et le Capitaine-Géné- ral nous y attend. — Etes-vous prêt, Grossîn ? Le matelot baissa silencieusement la tête et s'en alla chercher le couvercle du cercueil, Séquart, de son côté, ramassa le marteau et Duvert se mit à choisir les clous au fond du coffre d'outils. Ces derniers préparatifs, si petits qu'ils fussent, me parurent épouvantables. Guillaume Le Breton Bastille demanda Va-t-on le fermer maintenant ? Non, dit Jacques Maingard, le maître de YEméril^ lofiy seulement après la prière ; ça nous conservera quelques minutes de plus dans rilîusion de croire que Philippe Rougement nous entend mieux et qu'il est moins parti ! 13 194 l'émérillon Les douze Malouins s'agenouillèrent alors auprès du cercueil- — Jallobert alluma un cierge qu^fl avait apporté de la nef-amirak et le plaça entre les doigts du mort Fuis il dit Guillaume Le Breton Bastille, en votre qualité de capitaine et pilote de T^^/W/A?», la parole vous appar- tient, récitez le De Profundis, Cet honneur vous revient, Jallobert, répondit l'offi- cier en se récusant, vous êtes à mon bord s*ans doute,, mais vous représentez le Capitaine-Général, le Pilote du Roi.^ — Moi, je dirai le Notre Père. Alors commencèrent les alternances lugubres du De profundis ; et quand l'auditoire eut répondu Amen à Marc Jallobert qui récitait Toraison, Guillaume le Breton Bastille, les yeux fixés sur le pâle visage du jeune marin, commença le Notre Père lentement,, lentement, comme pour donner à cet incomparable graveur que nous appelons la Mémoire, le temps de fixer dans son cœur et dans son âme une image éter- nelle de rétemel absent. Enfin, les dernières invocations dites, celles-là, par le maître de la galiote. Saint Philippe ! — le patron du mort. — Et Tassis- tance qui répondait — Priez pour lui. Saint Malo! — le patron de la ville. — Et Tassis- tance qui répondait ; — Priez pour lui. Saint Louis ! — ^le patron du royaume. — Et Tassis- tance qui répondait i — Priez pour lui ! Alors, suivant ordre de grades, la petite colonie malouiae défila devant le cercueil. Marc Jallobert passa le premier. Il éteignit le cierge de Philippe Rougemont, et le donnant à Guil- laume Le Breton Bastille, il dit " tu le rapporteras à Amboise, tu sais, c'est pour la mère." Et il déposa l'émérïllon 195 sur le front glacé du camarade le baiser de Tadîeu suprême. Puis vînt Guillaume Le Breton Bastille ; ce fut ensuite le tour de Guillaume Le Marié et celui de Jacques Maîngard, de Jean et de Garnîer de Chambeaux et celui de Charles de la Pommeraye* Jean Poullet et De Goyelle s'approchèrent les der- niers. Et comme personne n*attendait après eux, ils embrassèrent Rougemont longuement, à leur aîseJoël^ pour se reposer dans sa Crèche ? — S'en déta- che -t-il, à r Ascension, pour remonter ,au ciel ? A Pâques enfin, n'est-ce pas la croix du Vendredi- âaint avec son crucifié qui rayonne aux splendeurs delà résurrection? — Il est toujours cloué! Voilà le dernier mot de la vie ! et la dernière raison de l'au- mônier ! Ah ! ne m'accusez pas de vouloir exagérer, par tristesse de caractère, la mélancolie de ce noèl histo- rique, hélas ! déjà trop lugubre. Vous me reprochez aujourd'hui de charger les couleurs ; la Providence assombrira davantage le Noël de 1635- Oui, frère, dans cent ans d'ici, à la même heure, à pareil jour, tout comme elle emporte aujourd'hui le petit matelot découvreur sur les caravelles de Jacques Cartier, la Mort viendra chercher, au Château des Gouverneurs Français, Samuel de Champlain, le père de la Nou- UN NOËL BRETON 199 velle France 1 Oseriez-vous comparer la douleur de réquipagc au deuil de la Colonie ? 2 Serez- vous encore étonné, et trouverez- vous étrange r Eglise Catholique qui chante le De Profundis aux grandes vêpres de la Nativité ? De Profundis, De Profundù ! Eh 1 eh ! ce n'est pas, comme vous le dites, absolument, absolument g^^ai ; il n'en demeure pas moins cependant un psaume historique, et de caractère absolument humain- De Praf midis ! voilà bien le propre des joies de ce monde ; de la tris- tesse mise en musique \ A ce moment nous rejoignîmes nos compagnons 1. Samuel de Ohamplain mourut à Québec le 25 décembre 1636. 2, Parlerai- je dei Noëls passés à l'île de Sable, {25 Décembre 1598, 1599, 1600, 1601 et 1602 de eea t^ii^U du Désespoir quts les bandits du Marquis de la Ruche, les abandonnés de Cbédotel, célébraient, à leutr abominable façon, par le meurtre et le blas- phème î L'intérêt de ce fait historique est petit et Testime qu'on en peut avoir encore moindre. Il se réduit à une curiùsité delà mémoire pour qui étudie l'Histoire du Canada, Lescarbot raconte qu^en 1598 le Marquis de la Roche e* embarqua avec environ 60 hommoa, et n'ayant pas encore reconnu le paya, fit descente à l'Isle de Sable, Il le a quitta dans le dessein de les rejoindre aussitôt qu'il aurait trouvé en Acadie un lieu propice à l'établissement d une colonie. Mais les tempêtes rompirent toutes ses me sures et il se vit obligé de repasser la mer abandon- nant a^H gens au hasard, lis dameurèrc^nt cinq ans retenus dans la dite Ile, se mutinèrent et se coupure ïit la gorge, en bandits qu'ils étaient Henri IV, étant à Rouen, commanda à Chodotel, ou GIiêf-d%ostélf d'aller recueillir ces pauvres diables. Ce qu^il fit. De cinquante hommes qu'ils étaient» Tancien ijilote de l'expédition de 1598 n'en ramena que onze. Le roi se les fit présenter dans leurs habits de peaux de loups-marins^ leur fit grâce de toutes les condamnations qui pesaient sur aux et fit remettre à chacun d'eux cinquante écua. Les Registres d'Au- dience du Parlement de Rouen, année 1603, nous ont conservé leur noms i Jacques Simon dit la Rivière, Olivier Delin, Michel Heulin, Robert Piquet, Mathurin Saint Gilles, Gilles de Bultel, Jacques Simoneau, Franmbattent dans V^ir." Dictionnaire de Bescherelle, au mot '^ anvor^ " page 291. Le Groëîiland {qr^€,n ]jtxud {ittrt rei-iej uinai nommé à CAUse de Bon aspect verdoyant fut découvert par Tlàlandftis Eric Randa lâQ 932. La colonie qu'U y fonda diaparut en 1406. J I 901 UN NOËL BRETON Alphonse, et le maître-ès-arts me répondît qu'il n'était autre que le fameux Jean Alphonse, de Xantoigne,. DU bien encore Jean Alfonse le Saintongeois, celui- là même qui devait commander, sept ans plus tard, en qualité de premier pilote, l'expédition du Sieur de Roberval, Tauteur du ROUTIER célèbre de 1542 cil est représenté le eours du fleuve St-Laurenty depuis le Détroit de Belle-lsle jusqties au Fort de France-Roy^ au Canada^ Tu as raison, camarade, répartit Guillaume Le Breton Bastille, c'est un grand voyageur. Il est allé si loin vers la terre du Nord, que le jour lui a duré trois mois comptés par la réverbération du soleil ! 1 Les compagnons de mer, tous gens avides de merveilleux, poussèrent un grand cri d'admiration- et firent cercle autour du maistre de la galiote,, pour mieux entendre raconter les fabuleuses aven- tures de rhomme de Cognac. 2 En vérité, continua LeBreton Bastille, en vérité, c'est un vieux loup, un gaillard d'avant, un hardi de la mâture. Voilà quarante ans qu'il navigue trois océans. A lui seul, dans sa galiasse, il a plus couru l'Atlan- tique que toutes les caravelles de la Bretagne ensem- ble î Fer Jou ! mes gars, il fait honneur à la marine de France î Or, parlons-en. 1. ^^ ToutoBfois j'aj esté en ung lieu là où le jour m'a duré " trois moya comptez par b réverbération du soleil, etn'aypas *' voulu attendre davantage de craincte que la nuict aie ** aurprînt/' Cosmographie de Jean Alfonse, — Voir Les Décou- luttes Françaises et la Révolution Maritime du Unième au lôième siècle par Pierre Margry— Y. L* Hydrographie d'un Découvreur dîi Ca^mda et les Pilotes de Faida^rueU page 317 2 Jean Alfonse naquit au pays de Saintonge, près de la ville de Cognac. ^Paya ici est Tëquivalent de box,rg, d'après le mot latin pag^is. Siùntonge est du canton de Segonzac. Pierre Margry Dtko^vmrtes Françaises, page 226. UN NOËL BRETON 205 Autres fois Jean Alfonse passa en Angleterre. Il y vit des arbres étranges, verdoyant au printemps comme les nôtres, mais qui,_ l'automne venu, opéraient miracles. Car leurs feuilles se changeaient tout à coup en poissons et tout à coup en oiseaux, suivant qu'elles tombaient à la surface de Teau, dans les rivières, ou bien à la surface du sol, dans les terres labourées, au gré du vent ^ Autres fois Jean Alfonse naviguant les mers d'Asie, retrouva à Babylone . * . • devinez quoi, chers amis ! Les pommes du Paradis Terrestre, marquées chacune, au dedans de leur chair, à la figure d'un crucifix ! ^ A ce mot grave de crucifix les compagnons mari- niers se signèrent dévotementi comme à Véglise, quand le prédicateur nommait Notre Seigneur au sermon. Autres fois Jean Alfonse a vu, bien loin, là -bas, au delà de TEquinoxial, 3 des hommes à visages de chiens, et d'autres à pieds de chèvres ; d'autres bor- gnes en cyclopes, n'ayant qu'un œil au milieu du 1, ** En cestô terre Angleterre j a une tnanifere d'arbrea que quand la feuille d'iceuls tombe en Tettue se canvertiat eo poisson, et ai elle tombe sut k trre ae converfciat en ojseau/' Cosmographie de Jean Alfonse I}éçeaux, elles ne choisis- sent pas leur arbre pour chanter. Elles ne deman- dent que du silence et du soleil. La Providence inspire souvent l'âme naïve d'un berger plutôt que iUllBr l'intelligence hautaine d'un penseur. Quels hommes de Foi ! s'écriait Laverdière avec admiration. Tous les mêmes, ces découvreurs ; depuis Colomb jusqu'à Champlain, l'idée du ciel les hante. Ils voient le Paradis partout et le premier toujours, au bout du monde comme à la fin de la vie. Ils en cherchent le chemin dans toutes leurs hardies décou- vertes ; la route même de la Chine n'est qu'un pré- texte pour retrouver celui-là. Le Paradis ! voilà pour ces croyants la Terre Promise par excellence, une terre que les vigies de leurs caravelles signalent avant les îles merveilleuses et les contihents richissimes du Nouveau Monde. Aux yeux de ces visionnaires la Mort est un horizon, l'Eternité un rivage. 1 1. Lors de son troisième voyage 1498-1500 Christophe Colomb poussant plus loin son erreur, .celle de prendre l'Amé- rique pour l'Asie — erreur qui se complique alors d'autres rêveries du moyen-âge, pense en son âme et conscience qu'il était près du Paradis. Les cosmographes du moyen -âge, Saint Isidore, Béda, le maître de l'histoire scolastique, saint Ambroise, Scott, et les autres savants théologiens plaçaient tous le Paradis à la fin de l'Orient et en faisaient dériver les quatre grands fleuves de la terre. L'abondance des eaux et tout ce qu'il voyait lui paraissait des indices de ce lieu oh. il ne croyait pas toutefois qu'on put arriver autrement que par la permission expresse de Dieu. Pierre Margry Découvertes Françaises, page 172. 14 210 UN NOËL BRETON Et cependant, comme ils commandent à d'ignares- et superstitieux équipages ! Quelles tortures morales, quels supplices physiques n'ont-ils pas infligés à Christophe Colomb, à Jacques Cartier, à Jean Alphonse ! Pour n'en rappeler qu'un exemple, sou- venez-vous que les mariniers d'Amerigho Vespucci croyaient inspirés par le Démon les géographes qui déterminaient les longitudes. Ailleurs qu'au bord de leurs propres navires ces illustres capitaines n'au- raient pas dit avec un meilleur à propos Et in tene- bris spero lucem ? 1 Él Tout à coup une grande lueur sanglante apparut à la rive du bois et nous fûmes enveloppés d'un reflet rouge comme les personnages d'un féerie aperçus dans la lumière d'un feu de Bengale. A distance les tambours battaient aux champs et les trompettes sonnaient une éclatante fanfare. A rencontre des prévisions de Laverdière, cette musique, bien loin de compléter le rêve des gars de St-Malo fut pour eux un réveil instantané, un réveil de catastrophe, brusque, violent, brutal, un de ces réveils qui glacent le corps d'un tel froid que l'âme en est elle-même transie jusqu'à la peur. Les Français laissèrent échapper un grand cri, vous savez le cri des cataleptiques et des somnam- bules que l'on a nommés tout haut par mégarde, et qui s'éveillent tout à coup avec un sursaut formidable. Puis, comme une bande de chevreuils affolés par un 1. Beaucoup de marins, au commencement du XVIe siècle, croyaient encore inspirés par un démon ceux qui déterminaient les longitudes, comme l'avait fait en 1501 Amerigho Vespucci, cet homme que sa science fit choisir plus tard, en Espagne, pour- grand pilote de la flotte royale. Pierre Margry DécouveHes Françaises, page 258. UN NOÏL BRETON 2ll feu de carabine, les Malouîns s'élancèrent dans ta. direction du Fort Jacques Cartier. Il nous fallut bien emboiter ce pas forcené^ sous peine de manquer leur trace et les perdre sans retour» Ils marchaient droit devant eux, sur la glace de 1 rivière, en dehors de tout sentier connu, entrant jusqu'aux hanches dans les bancs de neige, plutôt que de les tourner. Nous filions de Tavant avec une vitesse de yacht voilé en course qu'un vent de tempête emporterait. ^Etrange, en vérité, fut le spectacle qui frappa mes regards, A la distance de plus d'un demi-mille, en aval du Fort Jacques Cartier, non pas à la grève, mais sur la glace de la rivière, au centre précis de sa largeur, j'aperçus un immense bûcher flamboyant de la base à la pointe, et tout autour deT lui, se tenant par la main, comme dans une ronde, cinquante hommes environ dansant une sarabande effrénée. Les Français ! me dit Laverdière. Et comme J'hésitais à les reconnaître Venez, ajoutat-il, nous allons les identifier. Je crus un instant, et pour de bon, que la Barbarie avait repris ces hommes civilisés, tant la joie qui les possédait manifestait un caractère sauvage. C'était une sauterie hideuse, à cabrioles grotesques, entre- mêlées de cris féroces et de gambades ressemblant aux rondes infernales des Iroquois autour de leurs pri- sonniers de guerre liés au poteau de la torture. I 1. Ces retours de la civilisation à la barbarie sont très rares. Ils existent cependant, même dans notre histoire. L'un des plus célèbres est celui rapporté par l'immortel découvreur de la Louisiane. Au mois d'Août de l'année 1680, Cavelier De La Salle, dans son voyage à la recherche de Tonti au pays des Illinois, raconte que les hommes qu'il avait chargés de reconstruire le Griffyn et de garder le fort Crève-Cœur, avaient déserté et s'al- liant aux sauvages étaient devenus aussi sauvages qu'eux-mêmes» 212 UN NOËL BRETON Chacun de ces hommes portait un flambeau à la main, celle-ci tenue à hauteur de la tête. C'était une espèce de torche, grossièrement fabriquée d'écorces de bouleau gommées de résine, comme lé prouvaient d'ailleurs, surabondamment, l'odeur acre de leur rouge fumée et le pétillement de la flamme. Les marins vêtus de peaux de bêtes ^ étaient en outre coiffés ame^ pour prendre en amrsion ; — voir son pied^ pour sortir de prison ; 1S73 — Dictionnaire de la hatigue Fra^içaise^ par C Hippeau. Je Fiei^ da aignaler quelques archaïames de la langue fran- içaiae au temps de Jacquoë Cartier ] le lecteur aimera peut-être ^ connaitï'e auââi certiahis mots de la lan^e sauvage parlée, il cette mê m a époque, pat les Algonquins du Canada. En voici tguelquea uns, choisis parmi lea phia euphouiques Ils appellent seigneur, agouha^ina i la neige ^ eanisa ; le vent, tcahoka ; le feu, azLsta Teau, cîme ; la terre, dA^'mga ; le blé, on^y ; Je pain, carra^onny ; la fumée, qtiea ; la mer agofiasy ; lea vagues de la mer, cwïa ; le boiflla forêt, tjoîuia; les feuilles, hoga;\^ che- min, adde ; uu chien, agayo ; bonjour, aujtiaz ; un petit enfant, f^xioBta ; le nombre 1, segtida ; le nombre é^ ^nadelon etc., etc., ^etc. Ils appellent une ville ; Cdiiada, La traduction sauvée du jnot chie^t^ est partie uliërem en t heureuse agayo^ on croirait entendre japper. Second Voyage de. Jacqiies Cartier 1&35-36 feuillet 13, verao da feiilHet 46 et feuilleta 47 et 48. > ÉPILOGUE 231 vivement les yeux sur les trois croque-morts de VEmérillon qui chargeaient maintenant le bois car* bonisésurlatabagane. Et j'entendis Guillaume Séquart qui disait à ses camarades Pauvre petit Rougemont ! ça lui aurait fait grand heur tout de même de voir la fête ! Il regarde mieux que cela, répondit Duvert, accom- pagnant cette réflexion d'un geste énergique de la tête qui montrait bien le ciel à ses auditeurs. N'empêche, ajouta Eustache Grossin, en manière de réflexion mentale, n'empêche qu'on ne s'habitue pas à voir mourir la jeunesse, et que ça peine d'y songer ! Pour la seconde fois Charles Laverdière me dit d'un ton impératif Regarde vite, vite .... le jour arrive ! * Phénomène étrange ! le propre du rêve et sa carac- téristique dominante, plus j'ouvrais les yeux t moins les objets m'apparaissaient visibles. Par contre, il me suffisait de fermer énergiquement les paupières pour ramener fixe, distincte, précise et de netteté photographique absolue, la vision des choses naguère troublées et flottantes. Je ne savais trop comment expliquer cet événement bizarre, sinon que les lueurs expirantes du brasier faisaient vaciller, sauter à leur lumière, tous les profils du paysage. Le feu, comme la vie humaine, a quelquefois une agonie tourmentée. Je regardai derrière moi pour m'en convaincre. A ma grande stupéfaction, je m'aperçus que le feu de joie était mort, bien mort sous ses braises éteintes et ses charbons noirs. De ses cendres épaisses, encore tièdes, s'élevait une lente spirale de pesante fumée, fumée blafarde, fumée grise comme le matin d'un jour de pluie. 232 ÉPILOGUE Etais-je donc le jouet d'un songe ? Quand je retournai la tête, Grossîn, Séquart et Duvert avaient disparu, à la magique façon des autres, les maîtres compagnons mariniers et charpentiers de navires. . Si loin que je pouvais regarder à la ligne de Thorizon et sur tous les points d^ sa circonférence, il m'était impossible d'apercevoir aucune silhouette humaine^ Le maître-ès-arts, seulement, demeurait auprès de moi. A ce moment précis le vent m'apporta de grandes bouffées d'orgue et de voix chantantes, comme de la musique échappée par Tentrebaillement d'une porte ouverte et close presque aussitôt. Je voulus demander à mon guide d'où venait cette étrange mélodie, cette musique d'église orchestrée, savante, comme le chant moderne de nos maîtrises. Mais la métamorphose quelui-même, Laverdière, subis- sait, me rendit muet d'épouvante. Je n'avais plus de lumière suffisante pour l'apercevoir, et sa silhouette indécise semblait appartenir maintenant aux ténè- bres extérieures, s'y fondre par degrés. Cet efface- ment fantasmagorique rappelait, par l'identité des effets, ces accidents de lanterne magique où, la lumière venant tout à coup à manquer^ la flamme du lampa- daire à s'affaisser dans son brûleur de cuivre, la lame de verre colorié ne projette plus sur la muraille blan- che qu'une image vacillante, indéterminée. Ainsi; m'apparaissait Charles Honoré Laverdière. Son ombre n'était plus maintenant qu'un fantôme affreu- sement pâli aux lueurs grandissantes de l'aube, un spectre si léger, si ondulant, si subtil, que la brise l'entraînait déjà dans sa course inconsciente, que je le voyais enfin s'évanouir, et pour jamais, comme une ÉPILOGUE 235 buée de marécage dans Tatmosphère diaphane de Taurore. Je courus à lui avec l'énergique impétuosité du désespoir, craignant, à tout instant, de le voir me laisser seul. Ce qui me causait une peur horrible. Mais égale se maintenait la fatale et infranchissable distance. Cette course affolée dura longtemps. Soudain,, je lâchai un cri terrible, tendis les bras en avant, et demeurai stupéfait. . . Un rayon de soleil venait de fondre dans sa lumière le spectre du prêtre-archéolo- gue. Seulement, une voix grêle, diluée, flottante, et dont le timbre me restera pour jamais au fond de Toreilleet de la mémoire, vint expirer, en lointain écho, ces paroles ailées, faibles comme un souffle, timides comme un aveu " Jour venu ! adieu ! ! Souviens-toi ! ! ! " Et je n'entendis plus rien .... rien .... rien . . . . qu'un puissant accord longuement soutenu sur un clavier d'orgue, des voix de jeunes filles, des voix merveilleusement belles, chantant une partition soprane, des strettes de violons, une grande rumeur d'orchestre roulant un flot d'harmonie, comme un ressac sur une grève sonore, des cuivres soutenant les notes basses et lentes d'un accompagnement magistral écrit par quelque auteur célèbre. J'cvris de grands yeux cette fois, des yeux bien éveillés, que les lumières éblouissantes des gazeliers aveuglèrent et je me retrouvai scandaleuse- ment assis, au fond de mon banc, à l'église, au franc milieu de la Basilique Notre-Dame de Québec, tandis que mes voisins, tandis que mes voisines, pieusement agenouillés, priaient avec ferveur. 234 ÉPILOGUE L'on chantait au chœur de l'orgue une phrase de VAgm4s Dei et l'orchestre, en guise d'accompagne- ment, jouait sur ses premiers violons un délicieux motif de berceuse, charmeur, endormant, d'un effet irrésistible sur des auditeurs bien disposés et bien assis. Cette œuvre magistrale de Fauconnier sa Messe Solennelle de Noël 1 avait ceci de particulier que les accompagnements d'orchestre soutenaient une mélo- die identique au Kyrie et à Y'Agniis Deu La berceuse, qui m'avait endormi avec les premières stances musi- cales du Kyriey m'éveillait maintenant au rhythme somnolent de ses mêmes mesures. Cette singularité confirmait, d'ailleurs, l'exactitude d'une vieille expé- rience physiologique sur les phénomènes naturels du sommeil, savoir que le son de paroles habituelles, l'accent connu, le timbre d'une voix familière, le nom du dormeur prononcé, même à voix basse, réveillent plus vite que l'éclat d'un grand bruit. Vous savez maintenant, lecteurs, quel rêve histo- rique a traversé cette nuit-là mon sommeil, pourquoi -et comment Une Fête de Noël sous [acques Cartier est devenue le sujet et le titre de mon premier essai littéraire. 1. La Messe Solennelle de Noël de Fauconnier, fut exécutée à la Basilique de Notre-Dame de Québec, le 25 DécembM 1885. APPENDICE. Réponse dd Son Excellence VhûmraHe Auguste Rèaî Angers, aune adresse dt filicitations présentée par î^ Institut Cana- dien Français de Québec^ le ij janvier i888, à T occasion de son élévation à la charge de Lieutenant Gouverneur de la province de Québec. - Monsieur le présidant de rinstitut Canadien de Québec, Messieurs, Je constate avec un vif plaisir que votre influence a su réunir à une fête dé l'esprit l'élite de la société française de Québec. Avec un rare succès vous avez inspiré à. la jeunesse le goût de s'in-^truire, à l'âge mûr le désir de se perfectionner ; goût qui absorbe les entraînements premiers de l'adolescent, désir qui captive rambition de l'homme fait. C'est par vos soins que nous voyons rangés dans votre bibliothèque et classés dans votre catalogue, les plus beaux produits du génie dtr rhonime dans les sciences et dans les lettres* Vous avez fait le travail de l'essaim qui envahit la plaine^ cueillant^ des prés en fleurs, les meilleurs parfums,* les sucs les plus purs. Amsi butinant, vous avez comblé vos rayons de livres précieux, honnêtes et charmants, miel dont se nourrit l'intelligence, manne que nous pouvons ramasser à toutes les heures. Du haut de leur cases, combien d^amis me reconnaissent et me squrient, comme si je ne les avais depuis longtemps délaissés/ Comme je me sens tenté d'entreprendre avec vous, monsieur le président, un voyage autour de cette bibliothè- que. Il nous faudrait passer à travers l'histoire contempo- raine, nous arrêtant aux hauts faits de nos incomparables annales canadiennes ; voyager au moyen âge oti resplendit Vhéroïque é[opée de la chevalerie et des croisades, et lemonter jusqu'aux temps anciens, faisant halte aux Ther- mopyles, nom qui au Canada, depuis 1813, se prononce Chateauguaj i 236 APPENDICE Dans un si long retour vers des temps envolés, nous nous verrions délaissés des dames dont Tesprit, comme le charme,- est toujours au présent, jamais au passé. Puis, conduits par l'ordre alphabétique du catalogue^ nous arriverions devant la porte close de la philosophie, et la clef en est aux mains du maître-ès-sciences. Dans le catalogue, la poésie est sa voisine. Similitude des choses de la vie réelle, c'est auprès des buissons inextricables qu'il faut chercher les fleurs. La poésie est une fée qui connaît tous les accents. Dans son domaine, à côté des plus riches moissons, que de pervenches, de muguets et de violettes pour vos parures, mesdames ; mais la discrétion de Tâge me soupire à Toreille passez, passez ! Comment éviter ce secrétaire en bois de santal incrusté de filigranes d'argent, ce sachet capitonné de soie bleue oà repose l'art épistolaire ? ces lettres dont l'écriture courante reconstruit les traits, le regard, le sourire des chers absents, évoque l'image, la personnalité entière d'êtres aimés. Lisez des lettres, surtout des lettres de femmes. Elles sont comme ces médailles d'un autre âge, ces portraits sur ivoire, qui,, par la délicatesse des lignes, la carnation des chairs, le relief des figures, font revivre des causeries à cœur ouvert et re- mettent sous la main le velouté des meilleures heures de l'existence. Nous, le grand nombre, nous qui n'aurons jamais cette seconde vie qui attend l'auteur, cultivons l'art de la correspondance. Quelques lettres seront peut-être , tout ce qui restera de nous aux soins discrets de l'amitié. Votre catalogue révèle le choix judicieux des livres qu'il contient et ne me laisse rien à dire de ceux qu'il faut évi- ter. Vous inviter à l'étude et à la lecture serait aussi ua hors-d'œuvre. Le goût des lettres nous pénètre dans cette salle avec l'atmosphère qu'on y respire, et nous en voyons les brillants résultats au dehors. Au printemps dernier, un phare allumé aux terres d'Evangéline a percé les brumes qui envelop^ paient l'histoire du Bassin des Mines. Une revue nouvelle,. Le Canada-Français^ rajeunira de jets de lumière bien des feuilles détachées et oubliées de nos annales ; la religion,, les sciences et les lettres entreront aussi dans le cadre de cette publication.. Au nombre des ouvriers de la pensée qui lui ont promis leur concours, je trouve plusieurs des- membres de votre institut ; un autre a clos l'année 1887 par JùM^_ APPENDICE 287 la'* Légende d'un Peuple" que Jules Claretie a tenu sur les fonts et que le secrétaire perpétuel de TAcadémie fran çaise a saluée d'un carillon joyeux, 1888 va commencer par la venue prochaine â^ un autre îivre^fih du taknt d'un des vôtres. Il est de noble Hgnk ; sa source remonte à nos plus vieux parchemins. Il a nom *' Nael 1535 sous Jacques Cartier^ NûUvelh'I^ranceJ' Vous le reeonnài Irez, f espère^ à son ètat^ il ' est roman-histoire ; roman par la grâce du style, la mise en scène et I intérêt, histoire par l'exactitude desfa