PubliĂ© le 18 janv. 2022 Ă 638Mis Ă jour le 18 janv. 2022 Ă 1026Il y a deux ans, toute la France applaudissait les soignants. Aujourd'hui, l'avenir de l'hĂŽpital public est loin d'ĂȘtre un thĂšme dominant de la campagne prĂ©sidentielle , alors mĂȘme que la pandĂ©mie perdure. Les soignants se sentent-ils oubliĂ©s ? Dans le second volet de notre sĂ©rie de tĂ©moignages sur l'Ă©tat de l'hĂŽpital, quatre d'entre eux racontent leurs façons de tenir malgrĂ© l'Ă©puisement, leurs projets et leur inquiĂ©tude pour l'avenir de notre systĂšme de santĂ©. Un vrai dĂ©bat d'Ă©lection prĂ©sidentielle »VĂ©ronique HentgenKim Roselier pour Les Echos »VĂ©ronique HentgenPĂ©diatre et spĂ©cialiste des maladies rares Ă l'hĂŽpital de Versailles En l'espace de deux ans, le staff infirmier des urgences pĂ©diatriques oĂč je fais des gardes s'est entiĂšrement renouvelĂ© je n'y connais plus personne. Dans mon service de pĂ©diatrie, nous aurions dĂ» fermer quatre lits pendant les FĂȘtes, faute de personnels, mais devant le nombre d'enfants Ă hospitaliser, nous les avons maintenus ouverts malgrĂ© le fait qu'il n'y avait pas assez d'infirmiĂšres. Certains jours, une infirmiĂšre devait s'occuper de 12 enfants hospitalisĂ©s. Or l'hiver est une saison chargĂ©e en pĂ©diatrie Ă cause des bronchiolites. Les enfants ne dĂ©veloppent pas de formes graves de Covid, mais ils arrivent avec le Covid en sus de la maladie pour lesquels on les hospitalise, ce qui nĂ©cessite des rĂšgles d'isolement supplĂ©mentaires et augmente la charge de travail des Ă©quipes Covid a Ă©tĂ© un rĂ©vĂ©lateur et un accĂ©lĂ©rateur de la crise de l'hĂŽpital public qui est bien plus ancienne. Pour moi, la bascule s'est faite en 2019. Bien sĂ»r, il y a eu les augmentations de salaires du SĂ©gur, mais ce qui fait fuir les infirmiĂšres et les aides-soignantes, c'est d'abord la difficultĂ© de faire correctement leur travail pour le bien des patients, le temps perdu en actes administratifs et le manque de temps pour le 'care'.Sur ce point, le SĂ©gur n'a rien rĂ©glĂ©. 'Je ne peux pas faire correctement le boulot et en plus on me rappelle tout le temps pour des remplacements et des heures sup', me disent celles qui partent. Elles estiment sacrifier leur vie de famille pour un travail qui n'a plus de sens. Tout l'automne, elles Ă©taient en colĂšre contre les mĂ©dias qui en faisaient des tonnes sur les questions identitaires, alors que l'avenir de notre systĂšme de santĂ© et les moyens que le prochain gouvernement donnera ou pas pour le prĂ©server seraient un vrai dĂ©bat d'Ă©lection prĂ©sidentielle. Pour ma part, je crains de voir l'hĂŽpital public s'effondrer en silence. » C'est dingue ce que l'institution obtient de nous »Julie DarrasKim Roselier pour Les Echos »Julie DarrasInfirmiĂšre anesthĂ©siste dans un hĂŽpital francilien Lors d'une garde fin dĂ©cembre, un collĂšgue a dĂ» rentrer chez lui il avait de la fiĂšvre, les yeux brillants ; il Ă©tait positif au Covid et trĂšs fatiguĂ©, mais il Ă©tait quand mĂȘme venu pour ne pas nuire au bon fonctionnement du service. C'est toujours compliquĂ© de trouver des remplaçants au pied levĂ© ! C'est dingue ce que l'institution demande et obtient des soignants on peut venir travailler avec des symptĂŽmes dits 'lĂ©gers' mais en rĂ©alitĂ© infirmiers de bloc opĂ©ratoire sont pas mal touchĂ©s par le Covid. Nous avons souvent Ă peine une demi-heure pour dĂ©jeuner nous n'allons donc pas au self, et nous nous retrouvons dans des salles de repos exiguĂ«s. Quand je vois qu'il y a trop de monde, je vais fumer une cigarette dehors plutĂŽt que de dĂ©jeuner. C'est mal de fumer [Rires], mais je n'ai jamais eu le Covid et je prĂ©fĂšre me prĂ©server. Nous nous remplaçons souvent entre collĂšgues, nous bouchons les trous rĂ©cemment, je suis allĂ©e en salle de rĂ©veil au pied levĂ© car un infirmier de cette salle avait dĂ» descendre aux fais 24 heures supplĂ©mentaires par mois pour arriver Ă un salaire de euros net, augmentation du SĂ©gur comprise, avec un diplĂŽme bac+5 et 10 ans d'anciennetĂ©. Cette augmentation a Ă©tĂ© une avancĂ©e, c'est certain, mais l'argent n'amĂ©liore pas la qualitĂ© des soins que l'on peut apporter au patient. Et cette qualitĂ© dĂ©pend du temps qui nous est allouĂ© dans nos prises en charge. En salle de rĂ©veil, j'ai dĂ» me battre avec le logiciel qui n'est pas le mĂȘme qu'au bloc pour consulter le dossier des patients et les consignes des mĂ©decins au point de me dire que les anciennes transmissions papier avaient du bon. J'ai d'ailleurs perdu la bataille et laissĂ© une collĂšgue se charger de la partie bloc, la programmation opĂ©ratoire est telle merci la tarification Ă l'acte ! qu'il n'y a plus de marge pour les imprĂ©vus. Or, l'humain est par dĂ©finition imprĂ©visible. Une opĂ©ration qui dure plus longtemps que prĂ©vu ou plus simplement un patient stressĂ© au moment de l'anesthĂ©sie peu faire dĂ©border le programme. Il est prouvĂ© qu'on se rĂ©veille comme on s'endort un patient anxieux qu'on ne prend pas le temps de rassurer avant l'anesthĂ©sie gardera une angoisse de l'anesthĂ©sie pendant des annĂ©es car le corps a une mĂ©moire. Quand on refuse d'en rabattre sur la qualitĂ© des soins, on dĂ©borde sur l'horaire programmĂ© dans les tableaux Excel et il n'est pas rare qu'on doive reporter les derniĂšres opĂ©rations de la comprends le dĂ©couragement des collĂšgues. Je rĂ©siste encore en me lançant dans des projets qui renouvellent la curiositĂ© et me sortent la tĂȘte du Covid. La premiĂšre vague avait montrĂ© un problĂšme de communication entre nous. Avec deux autres infirmiĂšres du bloc, nous avons donc créé un journal interne mensuel. C'est utile au service et cela crĂ©e du lien. Nous listons les arrivĂ©es et les dĂ©parts ainsi que les informations principales de la vie du service, mais nous rĂ©digeons aussi une rubrique historique sur l'anesthĂ©sie, la rĂ©animation ou la chirurgie, des portraits ou encore le mot du mois. Mon prĂ©fĂ©rĂ© est 'ultracrĂ©pidarianisme', ce qui signifie donner son avis sur un sujet sur lequel on n'a pas assez de compĂ©tences. C'est l'autre Ă©pidĂ©mie en cours depuis deux ans. [Rires.] » Ce qui me fait tenir, c'est l'esprit d'Ă©quipe »Pascale BladtKim Roselier pour Les Echos »Pascale BladtCadre de santĂ© au service de pneumologie de l'hĂŽpital de Saint-Denis Il y a deux ans, les Français nous applaudissaient tous les soirs Ă 20 heures, beaucoup d'habitants de Saint-Denis Ă©taient venus nous aider en apportant des habits pour les malades, des gĂąteaux et des dessins pour les soignants. Cette solidaritĂ© Ă©tait trĂšs prĂ©cieuse, elle nous a aidĂ©s Ă tenir et cela me paraĂźt loin. Les gens sont lassĂ©s des restrictions, ils font moins attention aux gestes barriĂšres et je peux le que cela a des consĂ©quences, sur eux et leurs proches, qui peuvent tomber malades, et sur nous, qui les soignons. Il arrive que des familles nous rabrouent quand on leur demande de mettre le masque Ă l'hĂŽpital et que d'autres nous reprochent de ne pas ĂȘtre constamment au chevet de leur malade. MĂȘme si ces gens sont trĂšs minoritaires, cela nous marque. Probablement Ă cause de la fatigue et de la lassitude. Nous avons vu beaucoup de gens mourir depuis le dĂ©but de la crise, c'est Ă©puisant psychologiquement et des images restent gravĂ©es en qui me fait tenir, c'est l'esprit d'Ă©quipe avec les infirmiĂšres et les aides-soignantes, nous nous serrons les coudes et nous sommes attentives les unes aux autres pour passer les coups de Ă©tions soudĂ©es avant l'arrivĂ©e du Covid. Du coup, je n'ai eu Ă dĂ©plorer aucun dĂ©part, Ă l'exception d'une personne qui a pris sa retraite. Depuis la premiĂšre vague, nous avons aussi dĂ©veloppĂ© l'entraide interservices et le dialogue entre les mĂ©decins et les Ă©quipes paramĂ©dicales. C'est un effet bĂ©nĂ©fique de cette n'oblige pas les infirmiĂšres et les aides-soignantes Ă faire des heures supplĂ©mentaires je n'appelle que celles qui se sont signalĂ©es par avance comme volontaires et je m'y tiens, car elles ont le droit de faire autre chose de leur vie que d'ĂȘtre Ă l'hĂŽpital. Pour les patients Covid ou lorsque la charge de travail est trop lourde, j'obtiens du personnel supplĂ©mentaire, mais j'aimerais bien en avoir davantage hors pĂ©riode de crise, car nos patients de pneumologie font aussi des dĂ©compensations du SĂ©gur qui n'a pas concernĂ© les cadres Ă©tait bienvenue pour les personnels, mais on ne peut pas s'empĂȘcher de comparer nos salaires avec ceux, bien plus Ă©levĂ©s, d'autres professions qui n'ont pas de vies humaines entre leurs mains. Pendant des annĂ©es, les politiques n'ont jurĂ© que par l'ambulatoire, supprimant des lits d'hĂŽpitaux Ă tour de bras. Puis, avec la pandĂ©mie, ils se sont rendu compte qu'on manquait de lits. Alors je ne prĂȘte pas trop attention aux promesses de campagne, j'attends de voir plutĂŽt que d'espĂ©rer. Cela Ă©vite d'ĂȘtre déçu. » Je suis inquiet pour la suite »Pr Marc LoneKim Roselier pour Les Echos »Pr Marc LeoneChef du service d'anesthĂ©sie-rĂ©animation de l'hĂŽpital Nord Ă Marseille La plupart des patients non vaccinĂ©s que nous accueillons en rĂ©animation ne sont pas des antivax ; ils Ă©taient juste persuadĂ©s que cela ne leur arriverait pas Ă eux parce qu'ils sont jeunes ou sportifs ou qu'ils ne pensaient pas avoir de comorbiditĂ©s. Comme cet homme de trente-deux ans atteint d'une hypertension artĂ©rielle mais qui ne pensait pas ĂȘtre une personne Ă niveau de vaccination est faible dans les quartiers nord de Marseille. L'Ă©tat du dĂ©bat public n'aide pas leurs habitants Ă y voir clair, car il introduit le doute sur la vaccination ou la dangerositĂ© du virus chez des gens dĂ©jĂ dĂ©fiants Ă l'Ă©gard des institutions. Cela dit, quand ils arrivent en rĂ©animation, ils ont dĂ©jĂ fait du chemin par rapport Ă la propagande antivax. Souvent ils regrettent, mais en aucun cas nous ne sommes lĂ pour leur faire la morale. Tout comme on ne la fait pas Ă ceux qui conduisent sous emprise de l'alcool et ont un nous soignants, le serment d'Hippocrate n'est pas une vague charte mais une doctrine fondatrice Ă aucun moment, les opinions ou les croyances d'un patient ne doivent influer sur notre prise en charge. Alors on continue l'hĂŽpital Nord est passĂ© de 39 lits de rĂ©animation Ă 44, dont 32 sont occupĂ©s par des patients Covid. C'est plein, mais on ne dĂ©passe pas les sommets des vagues prĂ©cĂ©dentes. Sauf qu'au bout de deux ans, les soignants ressentent une grande lassitude. GrĂące Ă la dynamique de groupe, je n'ai eu Ă dĂ©plorer aucun dĂ©part dans mon service. Je m'en fĂ©licite, mais je ne m'en glorifie pas, car une seule dĂ©fection pourrait tout des annĂ©es, on a vu des cabinets d'expertise nous expliquer comment gĂ©rer les soins et les personnels Ă partir de tableaux sur le coĂ»t et le temps optimal pour chaque acte, sans prĂ©voir de marges de manoeuvre pour les alĂ©as de la vie. Puis face Ă la pandĂ©mie, on s'est aperçu que les marges de manoeuvre pouvaient avoir du bon. L'hĂŽpital public dans son ensemble a montrĂ© sa rĂ©silience et absorbĂ© la crise. Mais je suis inquiet pour la suite. Car les rustines et les ajustements ne suffiront pas. Si on n'aide pas l'hĂŽpital public Ă redevenir attractif - par des moyens mais aussi en arrĂȘtant de lui demander de faire tout et son contraire -, il y a un moment oĂč l'effondrement sera tel qu'on privatisera. Pour avoir voyagĂ© et vu d'autres systĂšmes de santĂ©, la population serait vraiment perdante. »VIDEO - Covid-19 les chiffres clefs de l'Ă©pidĂ©mie en France
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